La Plaine de Cendres - 8 -

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Quelques heures  plus tard

Les jeunes femmes suivaient sans mal les traces de l'armée démoniaque en déroute. La pluie aidant, les malfaisants tombaient comme des mouches. De ce fait, la route où Ovaïa et Evalane chevauchaient était jonchée des cadavres fondus de démons. La Dame d'Eraland en vint à se demander si elle parviendrait à rattraper le général Ozerel vivant.

La jeune femme ne voulait pas qu'il meure dans l'immédiat. Elle avait des questions à lui poser. Le chef des malfaisants consentirait-il à y répondre ? En tous les cas, la jeune femme était prête à tout pour que ce soit le cas.

Pour le moment présent, il s'agissait de réduire l'écart entre elle et cette créature diabolique. Sans nul doute, cela ne se ferait pas tout seul. Ozerel, grâce à ses ailes, avançait beaucoup plus vite que les cavalières.

Evalane, de son côté, se demandait si les montures résisteraient longtemps au rythme soutenu qui  leur était imposé. Assurément, à un moment ou à un autre, elles devraient s'arrêter pour  les laisser souffler.

La Dame d'Ikryl jeta un coup d'œil à sa belle-sœur. Elle cilla puis en définitive, l'interpela ainsi :

— Ovaïa, nous allons devoir faire une pause. 

Sans la regarder, la jeune femme répondit :

— C'est hors de question ! Freiner notre poursuite, c'est permettre au chef des malfaisants de trouver un corps pour ce mage. S'il y parvient...

Evalane la coupa :

— Si nous continuons ainsi, les juments bien qu'endurantes, crèveront bien avant que nous rattrapions le général des démons. Comment ferons-nous alors ?

Ovaïa fut touchée par cet argument. Elle émit un léger soupir avant de concéder :

— Attendons de sortir du pays d'Oleko, ce qui ne saurait tarder, et nous ferons cette halte que tu préconises. Cela te va-t-il ?

Elle n'en demandait pas plus, elle acquiesça. De là, la Dame d'Eraland commença à ralentir l'allure.

Au pied du volcan Oleko, le nettoyage se terminait. Dokar faisait dresser plusieurs bûchers funéraires.

L'un d'eux était celui de Rovor. Les autres étaient destinés aux nombreuses victimes des malfaisants.

Le prêtre qu'il avait envoyé chercher eut beaucoup à faire, d'autant plus qu'il effectua des exorcismes avant les crémations.

Celui du frère de Dokar fut renforcé. La possession qu'il avait subie l'exigeait. Au moins, c'est le religieux qui l'avait affirmé. Le jeune seigneur n'avait pas osé le contredire.

Dès les cérémonies terminées, Dokar ordonna que tout le monde prenne du repos jusqu'au lendemain. Ensuite il alla voir Jolo...

Celui-ci avait beaucoup donné de sa personne, durant ces heures difficiles où il avait fallu nettoyer le site du volcan, rassembler, mais aussi soigner les survivants des exactions commises par les démoniaques et enfin dresser les bûchers afin d'y déposer les morts.

Il était avec Obro quand Dokar le trouva. Il se restaurait en sa compagnie. 

Le jeune seigneur ne s'éternisa pas en civilités. En fait, il s'adressa aux deux hommes :

— Demain matin, vous partirez sur le fleuve Ikryl. Il y a une barge disponible à deux cents mètres en aval du volcan. Votre mission sera de rattraper Dame Ovaïa et Dame Evalane. Ceci fait, vous essayerez de les décider à revenir avec vous ; si vous n'y parvenez pas, et c'est assez probable, vous devrez les escorter jusqu'au terme de leur route, jusqu'en Surilor, s'il le faut et les épauler.

Là, le visage du jeune homme des marais se teinta d'indécision. Il osa objecter :

— Dame Ovaïa m'a confié son fils,  je lui ai promis...

Dokar le coupa :

— Je te remplacerai pour cette tâche.

Jolo tenta de dire :

— Mais...

La voix du seigneur d'Ikryl claqua sèchement :

— Évidemment, si tu préfères retourner dans ton marais !

Jolo sursauta ainsi qu'Obro. Celui-ci était déçu de l'attitude de son seigneur envers le jeune homme. Il le trouvait injuste.

Cependant, Dokar réalisa aussi sa dureté. Il eut un léger soupir et cette parole :

— Je suis désolé. Fais comme tu veux. Cependant, je crois que s'il existe une seule personne qui peut faire renoncer Ovaïa à sa poursuite, ça ne peut être que toi...

— Vous présumez beaucoup sur mes pouvoirs de persuasion. Par ailleurs, Dame Ovaïa est une personne déterminée ; je doute que quiconque puisse la décider à se détourner de la quête qu'elle a entreprise.

— C'est donc un refus ?

— Je n'ai pas dit ça...

Il jeta un regard fugitif à Obro puis ajouta :

— Je suis prêt à rejoindre Dame Ovaïa et à la suivre en Surilor, s'il le faut.

Obro se permit d'intervenir :

— Il est évident que je l'accompagne. 

Satisfait, Dokar conclut :

— Suivez-moi, nous allons évaluer l'état de cette barge dont je vous ai parlé.

Ils emboîtèrent le pas au jeune seigneur.

La barge était amarrée à un ponton de bois, construit sur un déversoir naturel. Les pluies récentes avaient permis qu'il soit rempli à ras-bord. L'embarcation flottait parfaitement, ce qui tendait à prouver qu'elle était en bon état.

Néanmoins, Dokar demanda à Jolo :

— Tu pourrais la vérifier ? Il fait encore suffisamment clair, au moins je le pense.

— Entendu.

Il sauta dans la barge et en commença l'examen.

Les vérifications du jeune homme furent minutieuses. Aucun centimètre carré du chaland n'échappa à sa vigilance. Quand il eut terminé, il retourna auprès de Dokar, à qui il affirma :

— Le bateau est sain. Cependant la voile est déchirée, et le mat aurait besoin d'être changé, même s'il peut encore servir.

Le jeune seigneur, sans quitter Jolo des yeux, ordonna à Obro :

— Va voir s'il t'est possible de dénicher une voile de remplacement.

— Bien seigneur, mais je crains que cela ne soit difficile. Il n'y a plus grand-chose ici.

— Fais au mieux !

Obro s'éloigna. Jolo et Dokar se retrouvèrent en tête-à-tête.

Le jeune homme des marais porta son attention sur le jeune seigneur. Il comprit que celui-ci n'en avait pas terminé, il devança ses questions éventuelles de cette manière :

— Avez-vous autre chose à me dire ?

Dokar eut un instant d'indécision. En définitive, il dit :

— Je sais que Dame Ovaïa est veuve à présent, néanmoins je te demande de continuer à garder tes distances avec elle.

Il précisa :

— Le temps du deuil débute à peine pour elle.

Jolo éprouva à cet instant un réel agacement. Il se retint à temps pour ne pas envoyer à Dokar un chapelet de grossièretés. À la place, il déclara :

— Pour qui me prenez-vous ? Je suis un homme d'honneur. Que vous puissiez seulement envisager que ce ne soit pas le cas est insultant !

— Tu te méprends !

— Je l'espère, ceci dit, je vous le répète, je resterai toujours infiniment respectueux envers Dame Ovaïa.

Dokar n'eut pas le temps de répondre. Obro revenait. Ses bras étaient encombrés d'une bâche brunâtre. Il s'exclama triomphalement  :

— J'ai eu de la chance, la première hutte que j'ai visitée appartenait à un pêcheur. Je n'ai pas mis longtemps avant de dénicher ce qui nous faisait défaut.

C'est Jolo qui répondit :

— Les Dieux sont avec nous !

Le jeune seigneur d'Ikryl intervint en ces termes :

— Vous vous en occuperez demain matin. Il fait trop sombre à présent.

Ceci dit, il les laissa. Jolo le suivit des yeux. Obro lui dit à ce moment-là :

— J'ignore ce que le jeune seigneur a bien pu te dire, mais quoi que ce soit, ne le prends pas trop au sérieux.

— Ce qui veut dire ?

Obro eut un large sourire et cette parole :

— Suis le chemin que ton cœur te désigne !

Sur ce conseil, le cavalier lui fit un clin d'œil et s'éloigna sous le regard perplexe du jeune homme du marais... 

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