Les bois de Quezeriol - 1 -

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"... Dès le sortilège rompu, le monde entra dans l'hiver, les démons prirent la fuite devant l'héritière. Mais le Général des Malfaisants gardait son pouvoir de nuisance, car il avait conservé avec lui, la sphère des âmes, celle qui contenait l'esprit du Nécromancien."

Chroniques des Temps Obscurs. Bibliothèque Royale de la Cité de Jade.


Bois de Quezériol

Ozerel et la cinquantaine de démons qui lui restaient venaient de franchir la frontière séparant la région d'Oleko, des bois de Quezériol. Il s'agissait du dernier rempart avant la cité de Jade. Ils venaient de pénétrer sur les terres royales.

Si le Nécromancien était parvenu à investir un corps, les troupes démoniaques seraient en passe d'assiéger la ville du roi, et de vaincre définitivement la race des hommes. À présent, tout était compromis. Même si par miracle, Ozerel trouvait un hôte pour le sorcier, ses troupes étaient tellement réduites qu'il ne risquait plus de faire la guerre à qui que ce soit.

La seule option qui se présentait, c'était de rejoindre le comté de Surilor, et d'ouvrir la porte dimensionnelle sur un autre monde à l'environnement plus favorable aux malfaisants.

Le général espérait y parvenir avant que l'héritière ne le rattrape. Car il ne se faisait aucune illusion, elle devait déjà être sur ses traces.

Pour l'heure, la nuit tombait sur les bois sombres et froids où les démons avaient stoppé. Ozerel avait ordonné un arrêt jusqu'au lendemain matin. Il les laissa s'installer, tandis qu'il s'envolait hors de leur portée. Le chef des malfaisants n'était pas idiot. Il savait que la révolte grondait parmi les démons survivants de l'hécatombe de la Plaine de Cendres.

Donc, tant qu'Ozerel n'aurait pas trouvé une solution pérenne pour qu'ils s'en sortent définitivement, il était préférable pour le général de se tenir à l'écart.

Le chef se posa sur l'une des branches d'un imposant sapin, l'un des plus gros de cette forêt d'arbres persistants. Le regard perçant d'Ozerel se focalisa sur les malfaisants qui grouillaient en contrebas. Ceux-ci commençaient à faire du feu. Ozerel frissonna, il était frigorifié. Il ne comptait pas quitter son belvédère pour les rejoindre. Une longue nuit d'insomnie l'attendait.

À quelques kilomètres de là

Les jeunes femmes avaient dû reporter au lendemain matin leur passage du pays d'Oleko à celui de Quezériol. Ovaïa n'en était pas vraiment satisfaite. La nuit était tombée très vite. Les températures avaient chuté également. À présent, une fine buée blanche se formait à chacune de leur respiration.

Evalane, qui était prévoyante, avait sorti des fontes de sa selle deux épaisses couvertures de fourrure.

Elles avaient appartenu à une ourse des montagnes qui avait bien failli l'égorger. À l'époque, c'était trois ans auparavant, elle s'était très imprudemment égarée sur le territoire d'une femelle gestante. C'était juste avant la période d'hibernation. Evalane n'avait dû son salut qu'à la chance et son incontestable habilité au combat. Malheureusement tuer l'ourse fut nécessaire.

Pour Evalane, la pénitence s'avéra incontournable. Elle l'effectua auprès des religieux d'un monastère tout proche qui révéraient dame Nature. Durant trois semaines, elle avait récité des prières, s'était nourrie chichement et avait travaillé dur. La Dame d'Ikryl avait effectué cette pénitence avec humilité.

Quand elle était rentrée, son frère lui avait offert ces fourrures qu'il avait fait apprêter et tannées par les meilleurs spécialistes. La jeune femme s'en était étonnée. Il lui avait dit : "Pour que tu n'oublies plus d'agir avec circonspection."

Il est vrai qu'à présent, elle était prudente, mais pour le reste Evalane restait impulsive.

En sortant les fourrures, la jeune femme repensa à cet épisode. Cela la fit sourire. Ovaïa, toute à ses préoccupations, ne remarqua rien. Elle cherchait autour d'elle un éventuel refuge afin de se préserver de la froidure nocturne.

C'est sa belle-sœur qui repéra dans la semi-pénombre, et à moins de cinquante mètres d'elles, un bâtiment à moitié écroulé. Il semblait abandonné. Evalane le désigna silencieusement à sa compagne de voyage. Ovaïa se détendit, toutes deux rejoignirent la bâtisse.

À ce moment-là, de petits brins de neige virevoltaient autour des jeunes femmes. Les saisons inexorablement se remettaient en place.

*****

Les jeunes femmes étaient parvenues à faire un feu dans l'imposante cheminée de la maison où elles s'étaient abritées. Ovaïa examinait les lieux alors qu'Evalane sortait quelques paquets de pain de voyage. La Dame d'Ikryl entendit sa belle-sœur déclarer :

— Je me demande qui habitait ici.

— Des fermiers sans doute, qui ont fui lors de l'invasion des malfaisants.

Ovaïa ouvrit un placard. Des écuelles de bois y étaient empilées, mais aussi des carrés de coton soigneusement pliés. Le cœur serré, la jeune femme assura :

— C'était sûrement une famille.

Elle soupira encore :

— J'espère qu'ils ont survécu.

— Moi aussi, je prierai pour cela.

Evalane avait répondu avec conviction. Ovaïa ne souligna pas ce témoignage évident de la foi de sa belle-sœur. Elle se contenta d'aller s'asseoir à ses côtés. À ce moment-là, elle sentit le lait couler de ses seins. La jeune mère soupira :

— Mon bébé me manque. Peut-être que j'aurais dû l'emmener avec moi.

— Il est préférable qu'il soit resté avec sa nourrice.

— C'est vrai, il n'empêche qu'il me manque.

Evalane contempla le visage empreint de tristesse de la jeune mère et lui dit :

— Tu le reverras bientôt, j'en suis sûre.

En même temps, elle lui tendit un paquet de nourriture. Ovaïa la remercia et commença à manger en silence. Sa belle-sœur fit de même.

Hors de leur refuge, la neige s'était mise à tomber drue.

Bois de Quezériol

Ozerel s'était enveloppé dans une couverture. L'arrivée subite de la neige l'avait plongé dans l'inquiétude. Le sortilège se délitait plus vite qu'il avait été complexe à mettre en place. Maintenant, le chef des démons se demandait s'il ne crèverait pas avant l'arrivée de l'héritière. La chose était fort possible, si ce n'est inévitable.

Ses yeux sans pupille brillaient d'effroi. Le teint sombre de sa peau se ternissait, ses lèvres jadis rouge-sang prenaient une teinte à peine rosée.

Les démons agglutinés autour du feu, n'étaient pas en meilleur état. C'était même pire. Ozerel, qui les scrutait de son refuge, réalisa que peu arriveraient au terme de cette nuit glaciale. Le désespoir, le chagrin et la nostalgie des rivières enflammées de son monde natal envahit le général. Malgré lui, ses yeux se fermaient, le rêve l'emporta...

*****

Ozerel était enfin de retour chez lui. Il arpentait puissamment les chemins de braise du royaume ardent. Il admirait au loin les rivières de feu, les cascades de magma et les montagnes de roches en fusion. Le général se laissait griser par l'exaltation. Son pas se faisait plus rapide. Il s'empressait vers le palais incandescent afin de rendre hommage à son roi, à son père !

Soudain il voyait une silhouette venir à lui. Il l'identifiait comme une démone, une superbe démone. Son corps était d'ébène brillant nimbé d'ignescence. Son visage était éclairé d'yeux à l'éclat fulgurant, ses cheveux l'embrasaient tout entière. Il la reconnut, bien qu'il ne l'eût jamais vue, il s'agissait de l'héritière !

Elle arrivait vers lui en brandissant l'épée-talisman, symbole de la royauté, et elle le transperçait. Il sombrait...

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