Les bois de Quezériol - 3 -
Une aube froide et humide se levait sur le volcan Oleko. La Plaine de Cendres n'était plus qu'un immense bourbier dans lequel on s'enfonçait à mi-mollets.
Dokar en faisant cette constatation au petit matin réalisa que la moitié des hommes et des chevaux risquait bien de s'y enliser s'il ne trouvait pas une autre voie. C'était sans compter les chariots, les catapultes et autres.... Cette pensée naquit dans son esprit : "Finalement, nous aurons mieux fait de partir hier soir !"
Il savait aussi que s'ils avaient voyagé de nuit, d'autres problèmes se seraient présentés. Il envoya plusieurs hommes sonder le terrain, et se rendit aux abords du ponton où la barge était amarrée. Obro et Jolo s'y trouvaient déjà, prêts au départ. Le chevalier installait son cheval sur le bateau. Le seigneur d'Ikryl objecta :
— Ce n'est pas très judicieux d'emmener ta monture. Elle risque de ne pas apprécier le trajet sur le fleuve !
Sur un ton calme, Obro assura :
— Ouragan s'adaptera !
Dokar qui voyait la nervosité du cheval, en doutait. Il préféra ne pas insister, car Obro, comme tous ses chevaliers, était seul responsable de son destrier. Il assumerait sans faillir les problèmes consécutifs à sa décision.
Le jeune seigneur porta son attention sur Jolo. Celui-ci vérifiait la voile une dernière fois avant de la hisser. Le vent était avec eux, ils comptaient bien en profiter. Dokar lança au jeune homme du marais :
— Comment cela se présente-t-il ?
Jolo le fixa fugitivement et sans cesser son ouvrage, répondit :
— Plutôt bien, mais il ne faut pas trop tarder. Le souffle nous est favorable ; autant l'utiliser avant qu'il ne tombe.
À ce moment-là, Jolo s'adressa à Obro qui était parvenu à calmer la nervosité de sa monture.
— Il est temps de larguer les amarres.
En fait, c'est Dokar qui s'en chargea. Bientôt le bateau à fond plat, aidé par la voile qui se gonflait sous le vent froid, s'éloigna du ponton. L'embarcation quitta le déversoir pour le fleuve.
Le jeune seigneur fit signe aux deux navigateurs, seul Obro lui répondit. Le jeune homme, à présent installé à la barre, était occupé à conduire la barge sur le courant agité de l'Ikryl.
Dokar resta les yeux fixés sur le chaland jusqu'à ce qu'il soit hors de vue. Il se détourna alors en murmurant :
— Puissent les Dieux de l'air et de l'eau leur être favorable.
Ensuite il s'éloigna du ponton, presque persuadé de la réussite de leur mission, il cessa de penser à eux et se focalisa sur le départ de ses troupes.
Une heure plus tard, Dokar quittait enfin les alentours du volcan Oleko. Les pisteurs envoyés examiner l'état de la plaine qui s'étalait devant eux, étaient parvenus à trouver un chemin à peu près correct.
Ceci dit, le jeune seigneur avait pris une autre décision : Renvoyer la nourrice et le fils d'Ovaïa au manoir d'Ikryl. À sa grande surprise, Méeli s'était quelque peu insurgée :
— Milady sera contrariée quand elle réalisera que je ne l'ai pas rejointe avec le bébé...
Agacé, Dokar avait répondu :
— Milady a fait le choix de l'abandonner !
Choquée, la jeune nourrice avait sursauté. Le jeune seigneur ne lui avait pas laissé le temps de protester plus.
— Je prends la meilleure décision pour sa sécurité, mais aussi pour la tienne, Méeli.
Elle s'était soumise à la décision de Dokar. Ainsi la jeune femme était partie de son côté, installée dans un chariot où se trouvaient plusieurs rescapés des exactions commises par les malfaisants. Une dizaine de cavaliers les escortaient.
Les lieux de la bataille furent donc quasiment abandonnés. Ne restaient que quelques pauvres hères, bien trop faibles pour voyager. Heureusement, des religieux appartenant à un monastère proche de là, avaient décidés de prendre soin d'eux et donc de rester sur place.
Cela avait rassuré Dokar qui, sans regrets cette fois, était bien décidé à ne plus dévier de son but : La Cité de Jade, demeure du Roi.
Une heure plus tard
L'embarcation, tant bien que mal, avançait sur les eaux tumultueuses du fleuve. Il ne pleuvait presque plus, mais l'air se rafraîchissait. Cependant, Jolo parvenait à maintenir le chaland dans le lit du vent. Sa maîtrise de la barge impressionnait grandement son compagnon de voyage qui lui lança :
— Où as-tu donc appris à naviguer aussi bien ? Un marais, ce n'est pas si mouvant me semble-t-il ?
Le jeune homme eut un bref sourire. Tout en restant attentif, il rétorqua :
— La saison des pluies dans les marais n'est pas vraiment tranquille. Souvent, nous sommes submergés. Par ailleurs, il arrive à mon peuple de voyager hors de son territoire. Dans ce cas-là, nous empruntons toujours les voies fluviales.
— Je vois, tout s'explique...
Obro eut un léger soupir. En fait, il se sentait un peu inutile. Il s'approcha de l'avant de la barge. Son regard se promena sur les méandres rapides des eaux de l'Ikryl. Ses yeux se perdirent un moment dans les sinuosités, jade, émeraude et olive du courant. Quelques brins de neige commencèrent à tomber. Le chevalier frissonna, puis soudain il demanda :
— Savons-nous où nous allons ?
Jolo, sans lâcher la barre, lui recommanda :
— Regarde à l'arrière dans le coffre, tu trouveras une carte de la région.
Le cavalier obtempéra, mais s'étonna :
— Où as-tu trouvé une carte ?
— Ulkir...
— Comment ça, Ulkir ?
— Tu serais surpris des trésors qu'il traîne avec lui.
Obro eut un bref sourire et cette parole :
— Oui, je ne devrais pas être étonné...
Le cavalier ouvrit le coffre et récupéra la carte en question. Il se rapprocha de Jolo, puis commença à l'étudier. Le jeune homme du marais, sans cesser de diriger la barge, déclara :
— J'ai pris le temps de tracer un trajet qui nous permet de longer les bois de Quezériol. Je pense que la voie des eaux nous fera devancer Dame Ovaïa et Dame Evalane. Si tout va bien, nous pourrons les attendre à la crique des pierres blanches. Le chemin qu'elles doivent théoriquement emprunter passe par là. Il y a quelques maisons de pêcheurs d'après la carte. Il y a des chances que ce hameau soit abandonné ; cependant, si ce n'est pas le cas, les habitants, toujours d'après Ulkir, sont extrêmement accueillants.
Obro, qui étudiait toujours la carte objecta :
— Permets-moi d'être plus pessimiste qu'Ulkir. Le clan des grottes jaunes était censé être très accueillant également, vois ce qu'ils sont devenus après l'arrivée de la grande obscurité !
— Tu n'as pas tort. Néanmoins, je veux croire que ces pêcheurs ont pu échapper à cette malédiction.
Obro soupira :
— Oui, moi aussi.
Puis il poursuivit son étude de la carte, tandis que Jolo continuait la conduite du chaland.
Le froid s'accentua.
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