Les Bois de Quezériol - 7 -

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La nuit s'imposait sur la clairière où étaient installés Paméo et les cavaliers du roi. Obro et Jolo étaient restés le reste de la journée avec eux, offrant volontiers leur aide pour, entre autres, ramasser du bois, mais aussi chasser. Les prises avaient été maigres ; aussi, afin de compléter le ravitaillement, Jolo se proposa pour pêcher.

Il retourna au bateau, mais ne resta qu'une heure ou deux sur le fleuve. Il ne prit qu'une vingtaine de poissons, d'ailleurs assez petits ; cependant, ajoutés au gibier, cela fût suffisant pour améliorer le repas du soir.

Après l'intermède du dîner, les cavaliers prirent place autour d'un feu de camp. Assis sur le sol recouvert de quelques fourrures, ils burent du Kaveo. Ils discutèrent, plaisantèrent, racontèrent leurs exploits d'autrefois, évidemment enjolivés. Les hommes entonnèrent, aussi, des chants guerriers et.... de tristes ballades. Cela plomba un peu l'ambiance. Obro vit les yeux de Paméo s'embuer, lorsque l'un de ses hommes à la belle voix de ténor, entonna :

"Il ne reverra plus un été.

Il est tombé face à l'épée,

D'un noir et triste chevalier,

Il ne reverra plus un été,

ni sa femme qui va enfanter

seul dans ..."

Là, Paméo cria :

— En voilà assez !

Un grand silence suivi. Le chanteur penaud s'excusa aussitôt :

— Désolé...

Paméo se leva sans répondre, puis rejoignit sa tente. Cela marqua la fin de soirée.

Tout le monde se coucha, sauf les hommes de garde. Jolo n'avait pas osé demander pourquoi le jeune noble avait réagi ainsi. Il se doutait bien que c'était lié à une perte cruelle.

Cependant, à quelques kilomètres de là, Evalane et Ovaïa s'arrêtaient pour la nuit...



Les jeunes femmes dénichèrent un endroit relativement sec pour établir leur camp. De là, elles rassemblèrent du bois pour faire un feu. C'est Evalane qui s'en chargea.

Quand des flammes hautes et claires commencèrent à crépiter, elles s'installèrent près du foyer. Ovaïa déballa de la nourriture, et sortit un récipient de métal. Elle y versa de l'eau, avant de le rapprocher suffisamment du feu, pour qu'il chauffe. Cela ne tarda pas, elle y jeta donc des herbes aromatiques pour leurs infusions. La jeune femme commença, alors, à grignoter un peu de pain de voyage. Evalane profita de ce moment pour dire :

— Commençons à présent, tu es d'accord ?

La jeune mère hocha la tête. Satisfaite, la dame d'Ikryl reprit :

— Quand Rovor est né, j'avais tout juste quatre ans. Je me souviens de ce jour. Depuis l'aube, il régnait une grande effervescence dans la maison, Dokar pour sa part et à son habitude était renfrogné. Il savait qu'un nouvel enfant allait agrandir le foyer de mes parents, il n'était pas trop heureux, il faisait cette tête-là...

Evalane désigna son visage, aux sourcils froncés, aux lèvres serrées et au regard farouche. Ovaïa s'exclama :

— C'est tout à fait lui !

Elles éclatèrent de rire. Puis Evalane reprit son sérieux. La tristesse envahit son visage. Une larme coula sur sa joue. D'une voix éraillée, elle reprit :

— Ce jour-là, Dokar et moi avons gagné un petit frère, mais nous avons perdu notre mère qui n'a pas survécu à l'accouchement.

Ovaïa connaissait déjà ce tragique dénouement qui avait marqué la naissance de Rovor. Elle-même était née dans de pareilles circonstances. Était-ce pour cela qu'elle s'était toujours sentie proche de feu son époux ?

À chaque visite, que ce soit chez l'un ou chez l'autre, et aussi loin que ses souvenirs remontaient, elle avait recherché sa compagnie et lui la sienne. En conséquence, très tôt les deux familles avaient su qu'ils seraient mari et femme.

Evalane reprit :

— Je crois que mon père n'a jamais vraiment pardonné à Rovor d'être là, alors que sa chère épouse était morte. Il ne l'a jamais maltraité, ni privé de quoi que ce soit et je pense que cette distance, il n'en avait pas conscience, mais cela ne change rien. Rovor, du fait de ce rejet relatif, n'a jamais trouvé sa place au sein de la famille.

Ovaïa objecta :

— J'ignorais cela. C'est curieux, ma mère est morte aussi lorsque je suis née. Mon père ne m'a jamais rejetée, bien au contraire !

Sa belle-sœur haussa les épaules en disant :

— Chacun réagit différemment face à l'adversité. Cela explique en partie pourquoi Rovor ne tenait pas en place. Toujours à la recherche de l'impossible, de quelque chose qui pourrait l'aider à... À quoi, en fait ?

Soudain, Ovaïa s'exclama :

— À retrouver sa mère !

Evalane fronça les sourcils, elle objecta :

— De quoi parles-tu ?

— C'est cela qu'il a cherché toute sa vie ! Sa mère, enfin votre mère !

Evalane qui ne comprenait pas vraiment rétorqua :

— J'ai un peu de mal à te suivre !

— Réfléchis, son inclinaison marquée pour les études, les livres, mais également les écrits religieux et légendaires ! Cette histoire de porte également ? N'en cherchait-il pas une qui le mènerait dans le monde de l'au-delà ? Dans le monde où se trouve votre mère ?

Evalane était troublée, néanmoins elle objecta :

— Tout ceci n'a pas de sens ! On ne peut pas aller dans le monde des esprits. Puis, c'est à condition que ce soit bien Rovor qui ait ouvert cette fameuse porte !

— Tu en doutes encore ?

Elle secoua la tête avec humeur. Cette idée ne lui plaisait pas ! Soudain, un bruit singulier de branches qui craquent les fit sursauter.

Elles se relevèrent aussitôt et portèrent leur attention sur leur droite. C'est de là qu'était venu ce son saugrenu. Leurs regards fouillèrent l'obscurité. Soudain, Ovaïa distingua une sorte d'ombre ramassée sur elle-même et à moitié dissimulée derrière des broussailles toutes proches. Elle exigea sur un ton assez fort :

— Qui que vous soyez, sortez d'ici, sinon que les dieux m'en soient témoins, vous vous en repentirez !

Evalane, à mi-voix objecta :

— Nous sommes deux femmes seules ici, tu crois que cet intrus va être impressionné ?

Ovaïa eut une brève grimace, puis elle clama encore :

— Si c'est moi qui viens vous chercher, prenez garde !

Un bruit de feuilles se fit entendre, ainsi qu'un pas traînant. Une silhouette s'approcha d'elles. D'abord imprécise, elle devint plus reconnaissable. Les voyageuses se figèrent. C'était un diable qui s'avançait. À la grande surprise des deux femmes, la créature se jeta aux pieds d'Ovaïa en se répandant en couinements plaintifs.

La dame d'Ikryl n'en comprit pas un mot, par contre celle d'Eraland entendit très distinctement :

— Pitié, Ma Reine ! Je me rends à vous ! Laissez-moi vous servir...

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