Les bois de Quezériol - 8 -

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Ovaïa, interloquée contemplait le malfaisant, prosterné à ses pieds. Evalane s'était saisie de son épée qu'elle pointait vers cet intrus peu ordinaire, elle s'étonna cependant :

— Mais qu'est-ce qu'il fait ?

La Dame d'Eraland parvint à se reprendre, elle s'adressa au diable, sans réellement tenir compte de la présence de sa belle-sœur :

— Donne-moi une seule bonne raison de ne pas t'occire dès à présent  !

— Je peux vous servir, Ma Reine, oui, je le  peux, et je le veux !

— Toi et les tiens avez anéanti ma famille et ma terre ; je ne suis pas disposée à faire preuve d'indulgence ; alors sois plus précis, de quelle manière pourrais-tu me... servir ?

Evalane, effarée, écoutait sa compagne de voyage parler au malfaisant et elle entendait les réponses du démon qu'elle ne comprenait pas, ce qui apparemment, n'était pas le cas d'Ovaïa...

"Qu'est-ce que cela veut dire ?" se disait-elle.

Le dialogue entre la dame d'Eraland et le malfaisant se poursuivait ; ce dernier disait :

— Je peux vous conduire en Surilor, Ô Ma Reine. Je peux vous mener à la porte, là où tout a commencé. Là où mes frères et moi avons surgi...

— Je sais déjà qu'il faut aller en Surilor. Je n'ai pas besoin d'un guide !

— Le pays de la porte est immense, une fois là-bas, dans quelle direction comptez-vous aller ? Vous allez perdre un temps précieux. Un temps suffisant pour qu'Ozerel vous devance et appelle peut-être, d'autres renforts issus du monde incandescent...

Ovaïa ne le montra pas, mais le démon était parvenu à l'inquiéter. Quoi ? D'autres renforts ? D'autres bataillons ?  Et puis, la jeune femme croisa le regard sombre du démon, elle réalisa que même s'il pouvait effectivement la guider, il était aussi capable de choisir la trahison. Il restait un opportuniste, au moins le pensait-elle...

Le choix se présentait donc comme suit : 

Elle acceptait sa proposition. De là, ou il la guidait jusqu'à la porte du Surilor, ou à la première occasion, il la trahissait et la livrait pieds et poings liés à son général. 

Deuxième cas de figure :

Elle refusait sa proposition, le tuait comme le sale démon qu'il était, et se rendait en Surilor, sans guide, au risque de s'y perdre jusqu'à la fin des temps. 

En définitive, aucune de ces options ne lui convenait. Soudain, la voix d'Evalane intervint, froide et coupante, elle lui demandait :

— Je peux savoir ce que vous êtes en train de vous dire, ou du moins ce que ce malfaisant te raconte ? 

Ovaïa pivota vers elle et croisa son regard. Un regard farouche et empli de détermination. Sa belle-sœur pointait son épée dans sa direction...  

La Dame d'Eraland fronça les sourcils :

— Qu'est-ce qu'il te prend ?

— Et toi ? Qui es-tu vraiment ? Une sorcière ? Un démon aurait-il pris possession du corps de mon amie ?

— J'ignorais que tu pouvais te réclamer de concepts aussi réducteurs. 

 La voix d'Ovaïa était calme et elle souriait. Evalane la scruta puis soupira en déclarant : 

— Bon, d'accord, mais avoue que c'est effrayant de te voir converser avec cette... chose aussi facilement...

Elle rengaina son épée. Ovaïa, soulagée, désigna négligemment le démon qui, toujours aplati sur le sol attendait sa réponse.

— Il propose de nous guider jusqu'à la porte du Surilor. 

— Celle que Rovor aurait soi-disant ouverte ?

— Celle-ci en effet !

— Et tu es prête à lui faire confiance ? 

— Pas une seule seconde, si j'accepte, il faudra surveiller nos arrières. 

Evalane rétorqua :

— Tu penses que nous ne pouvons pas y parvenir seules ? 

— Si, mais peut-être que nous pourrions arriver trop tard !

Ovaïa confia à sa belle-sœur, les "révélations" du démon concernant Ozerel. 

Evalane, dubitative, demanda :

— Tu crois qu'il dit la vérité ? 

— Dans un mensonge bien construit, il y a toujours une part de vérité dont il faut tenir compte. Je pense qu'il a raison sur un point ; le Surilor est grand et, sans un guide, il nous faudra beaucoup de temps pour localiser le fameux portail. 

Evalane prit le temps de la réflexion, puis déclara :

— D'accord, prenons le risque, mais mettons toutes les chances de notre côté. 

C'est d'un pas décidé qu'elle alla chercher dans les fontes de sa selle des cordes solides pour attacher le malfaisant. 

Alors que la dame d'Ikryl terminait de ligoter le Démon, elle demanda :

— Si nous rattrapons ce général avant d'arriver à cette fameuse porte, ce que je n'ose espérer, as-tu l'intention de poursuivre ta route, jusque là-bas ? 

La réponse de la jeune mère fut franche et sans détour :

— Oui...

— Et quand nous y serons, ce sera pour faire quoi ?

— Trouver un moyen de refermer la porte, si cela est possible, car je suis certaine qu'elle est toujours ouverte. Tant que ce sera le cas, nous serons tous en danger. 

Evalane effectua un dernier nœud. Le malfaisant émit un sifflement plaintif. Sans en tenir compte, la jeune femme traîna le démon jusqu'à l'arbre le plus proche. Ovaïa objecta :

— Tu n'exagères pas un peu ? 

— Permets-moi d'être prudente. 

— Le maintenir aussi loin du feu aura pour conséquence sa mort physique. Si c'est le cas, autant le tuer tout de suite. 

Evalane bougonna, mais renonça à attacher à l'arbre le malfaisant. Elle le ramena vers le foyer. Satisfaite, la dame d'Eraland s'installa à son tour près du feu. Evalane la rejoignit. Là, elle dit :

— Pour en revenir à cette porte, crois-tu que nous pourrons la refermer sans l'assistance d'un mage ?

— Je n'en sais rien...

Ovaïa alla regarder le démon et ajouta :

— Mais peut-être que lui le sait !

La Dame d'Ikryl jeta un regard haineux au diable, puis se détourna et bâilla. Elles décidèrent alors d'un commun accord, qu'il était temps de dormir


Plus tard - Dans la nuit


Le diable ne dormait pas, mais il ne bougeait pas non plus. Son regard de ténèbres était fixé sur Ovaïa. Il entendait la voix du maître lui dire : "Dorénavant, ne faillit plus, sers bien son Altesse et tu seras pardonné."

Il marmonna pour lui-même : "Oui, servir Ma Reine, la soutenir, glorifier sa magnificence."

Il la contemplait toujours, mais ne voyait pas ce corps humain qui était le sien en ce monde. Oui, il la découvrait au-delà, grâce au maître qui lui avait ouvert les yeux. Avec révérence et exaltation, il rassasiait son regard du visage de sa Reine, couronné de flammes... 

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