Les Bois de Quezériol - 10 -

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Sur le fleuve


Grâce au vent froid certes, mais constant, la barge glissait rapidement sur le fleuve. La bise glaciale gonflait la voile. Avec habileté, Jolo  guidait l'embarcation. Obro, quant à lui, emmitouflé dans une ample fourrure, essayait de ne pas penser au gel ambiant qui, malgré tout, tétanisait l'extrémité de ses membres.   

Quelques flocons virevoltaient toujours autour d'eux. Le ciel était couvert et le soleil était dissimulé derrière d'épais nuages.

Obro souffla dans ses mains pour les réchauffer et les frotta ensuite l'une contre l'autre. Il songea brièvement à la paire de gants rangée dans le coffre de bois de sa petite chambre, en Ikryl. Assurément, il en aurait bien eu besoin à cet instant-là. Il soupira, une fine buée sortit de ses lèvres asséchées par le froid. Il jeta un bref coup d'œil à Jolo. Ce dernier, imperturbable, et sans paraître souffrir du gel plus que ça, poursuivait sa tâche. Le cavalier lui demanda :

— À ton avis, nous serons en vue de la crique dans combien de temps ?

— Quelques heures tout au plus, si aucun imprévu ne se présente.

Obro dit alors :

— J'espère que nous n'aurons pas de problème majeur là-bas.

— Paméo a dit que les lieux étaient abandonnés.

— Prions pour que les pécheurs n'aient pas été remplacés par une brochette de démons !

Le jeune homme des marais déclara :

— Je peux me tromper, mais je pense que tous les démons n'ont qu'un but à présent : Le Surilor. C'est là qu'ils sont apparus et c'est là qu'ils disparaîtront.

— Te voilà bien optimiste, tu crois qu'ils rejoindront les enfers aussi simplement ?

— Que pourraient-ils faire d'autre ? Notre monde leur est devenu hostile !

Obro ne trouva rien à répondre à ça. Cependant, Jolo ajouta :

— Je pense que Dame Ovaïa désirera poursuivre jusque là-bas aussi !

— Sauf si elle rattrape le chef des démons plus tôt !

Jolo secoua négativement la tête, en assurant :

— Même dans ce cas-là, elle poursuivra jusqu'en Surilor, car c'est là-bas qu'elle perdit vraiment son mari ! Elle veut des réponses et elle fera en sorte de les obtenir coûte que coûte !

Obro ne put pas contrer un tel argument, il n'était pas loin de penser la même chose. Il se tut donc. La barge continua à glisser sur le fleuve...


Dans les bois


Ovaïa et Evalane avançaient aussi, pas aussi vite que la Dame d'Ikryl l'aurait souhaité cependant. Elle dit :

— Je compte vraiment sur cet éventuel bateau dans ce village de pêcheurs.

— Hum... Je ne suis pas certaine que nous trouverons quoi que ce soit. Si les habitants ont fui, ils l'auront sûrement fait à bord de leurs embarcations.

— Avec un peu de chance, il en restera au moins un !

Evalane alla regarder le malfaisant qui les devançait sur le chemin. Elle dit :

— Tu crois qu'il va supporter un tel trajet ?

— Nous ferons en sorte de le maintenir au sec.

Sa belle-sœur soupira :

— J'espère que nous n'aurons pas à regretter de l'avoir épargné !

— Il suffira d'être attentives et prudentes !

À ce moment-là, le démon se figea. Soudain, il quitta le layon en détalant, puis disparut dans le sous-bois.

Les jeunes femmes stupéfaites l'avaient suivi des yeux, puis une cavalcade retentit. Une troupe de cavaliers surgit brusquement au détour du chemin. Elle les entoura.

Evalane remarqua qu'ils portaient les étendards de la maison royale. Cela la rassura. Ovaïa, par contre, était un peu inquiète. Elle avait déjà compris que le démon était allé se cacher. Cependant, la Dame d'Eraland se demanda si sa belle-sœur comprendrait qu'il était préférable qu'elle n'en parle pas aux chevaliers.

L'un d'eux justement ôta son heaume. Les jeunes femmes s'exclamèrent ensemble :

— Paméo !

Celui-ci sourit, les salua respectueusement et dit :

— Je suis heureux de vous revoir, Mesdames !

Ensuite, il ordonna à ses hommes :

— Fouillez le secteur, il y a peut-être quelques malfaisants qui se dissimulent.

Ovaïa déclara :

— Je suis soulagée de te savoir vivant, Paméo. D'après ta sœur, tu étais mort lors de l'attaque de ton domaine par les diables !

— Je me suis cru mort aussi, mais j'ai eu de la chance.

Il s'assombrit légèrement puis se reprit, il fixa Evalane et demanda :

— Alors dis-moi, comment va ton époux ?

Par cette question, la dame comprit que Paméo ne voulait pas parler de la relation qu'elle entretenait avec Leenel. Elle répondit :

— Quand je l'ai laissé près du volcan Oleko avec mon frère, il était en forme.

— J'en suis fort aise, Syvan est un homme de vertu.

Puis il reprit :

— Je ne vais pas retarder votre quête plus longtemps, Mesdames, si ce n'est pour vous dire que vous êtes attendues par Obro et ce jeune pêcheur Jolo, au village de la crique blanche.

Sur cette phrase, il éperonna son destrier. Ceux qu'il avait envoyés battre les bois revinrent bredouilles. Ainsi, il salua les jeunes femmes d'un bref :

— Bonne chance dans votre voyage, Mesdames.

Sans autres explications, il s'éloigna d'elles, suivi par toute sa troupe. Une fois celle-ci suffisamment éloignée, Evalane s'étonna :

— Comment ont-ils fait pour nous devancer ?

Elle parlait, bien sûr, de Jolo et Obro. Ovaïa répondit :

— C'est évident, ils ont pris un bateau. Quoi qu'il en soit, ils vont sûrement tenter de nous convaincre de renoncer à notre poursuite. Je te le dis tout net, pour moi il n'en est pas question.

— Pour moi aussi, je tiens à savoir ce qu'il en est de ce portail.

Puis elle tourna son regard vers le chemin, elle eut un sourire sans joie et dit :

— Eh bien, revoilà ton démon, Ovaïa !

À son tour, elle fixa la laie où venait de réapparaître le diable. Elle dit :

— Ce n'est pas mon démon !

Elle talonna son cheval, Evalane fit de même. Quand Ovaïa fut à la hauteur du malfaisant, elle lui demanda :

— Où étais-tu donc passé ?

Il répondit :

— Je me suis caché, ma Reine, pour que vous ne soyez pas ennuyée !

Ovaïa ne le remercia pas pour autant, elle lui fit signe de les devancer. Il obtempéra. Les deux cavalières reprirent leur route.


Sur le fleuve - Fin de journée


Le soleil venait de se coucher quand la barque accosta sur le ponton de la crique blanche. Comme Paméo l'avait dit, le village était désert. Par contre, rien n'avait été détruit. Il y régnait juste un silence quelque peu angoissant, juste brisé par le bruit du vent glacial de l'hiver.

Obro s'occupa avant tout de son cheval, il trouva un appentis bâti dans le prolongement d'une maison. Il l'installa, avant de sortir des fontes de sa selle, de la nourriture pour son destrier.

Ensuite, il rejoignit Jolo dans l'habitation attenante. Le jeune homme du marais avait fait un feu. Tous deux s'y installèrent. Ils se restaurèrent. Puis Obro déclara :

— À présent, tout ce qu'il nous reste à faire, c'est d'attendre ces dames.

Jolo l'approuva. Ils continuèrent à discuter. Dehors, la bise soufflait plus fort...


Dans les bois


Les jeunes femmes s'étaient aussi arrêtées pour la nuit. Non sans mal, elles étaient parvenues à faire du feu. Elles avaient stoppé aux alentours d'un bosquet d'arbustes, qui ne les abritaient pas vraiment du vent. Aussi étaient-elles pelotonnées très près du foyer. Les pieds du démon avaient été attachés, avant qu'il ne soit installé à la droite de la Dame d'Eraland. Celle-ci s'était délestée de son épée, elle l'avait mise à côté d'elle. Evalane avait distribué la nourriture ; de mauvaise grâce, elle avait offert du pain de voyage au démon. Il l'avait dévoré aussitôt. Evalane avait grimacé devant la goinfrerie du malfaisant. Ovaïa s'était contentée d'un demi-sourire.

Les deux femmes avaient commencé à manger. Elles avaient peu parlé, chacune étant perdue dans ses pensées. Puis Ovaïa avait fouillé dans son sac pour sortir des plantes pour leurs infusions. Ne les trouvant pas, elle avait demandé à sa belle-sœur :

— Tu ne sais, par hasard, où j'ai mis ma camomille et le reste de mes plantes, ce matin ?

— Dans les fontes de ta selle, il me semble, tu voulais garder de la place dans ton sac, au cas où nous trouverions quelques baies ou autres à ramasser. Ne bouge pas, je vais les chercher.

Ainsi, elle commença à se lever. Elle posa sa main sur la garde de l'épée d'Onyx. Elle la retira aussitôt en s'exclamant :

— Aïe !

Ovaïa fronça les sourcils, Evalane fixa ses doigts. Elle les montra à la dame d'Eraland, en s'écriant :

— Ton épée, elle m'a brûlée ! 

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