Les bois de Quezériol - 11 -
Ovaïa se saisit de la main d'Evalane. Au creux de la paume de sa belle-sœur se dessinait une marque rouge qui commençait de se boursoufler. Surprise, elle murmura :
— C'est singulier !
Puis elle fouilla dans son sac, et en sortit une sorte de pot en bois. Elle l'offrit à la jeune femme en conseillant :
— Étale cet onguent !
Evalane obéit. Ovaïa, quant à elle, se saisit avec prudence de son épée. Elle la trouva chaude, mais sans plus. Ce qui l'intrigua par contre, c'est qu'elle la sentait vibrer ! Troublée, elle alla regarder le diable. Celui-ci la contemplait avec un vague sourire sur ses lèvres noires.
Ovaïa reposa son épée à l'écart d'Evalane, mais aussi d'elle-même. Puis, résolument, elle reporta son attention sur le malfaisant. Elle exigea sur un ton impératif :
— Dis-moi ce qu'il se passe avec mon épée, tu sais quelque chose...
— Ce n'est pas une épée, ô ma reine, enfin pas uniquement.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— La vérité, uniquement la vérité !
Ovaïa aurait souhaité lui dire : "Garde-là pour toi."
À la place, elle demanda :
— Révèle-moi cette vérité !
— Elle est le talisman, le symbole, la clef qui ouvre et referme les portes du royaume incandescent. Elle est aussi le prolongement de votre être, Ma Reine. Votre noblesse est inscrite dans l'épée aux sombres joyaux. Seule vous, pouvez la toucher désormais, et plus nous approcherons de la porte du Surilor, plus l'épée royale se magnifiera, et votre essence avec elle.
Soudain, Ovaïa s'exclama :
— Tais-toi ! Tout ceci est une pure invention !
— Majesté, ne le saviez-vous pas déjà ?
Ovaïa ne répondit pas. Evalane, à ses côtés avait écouté sans comprendre. Elle n'osait demander la traduction des propos du démon, tant elle voyait à quel point sa belle-sœur était bouleversée. Néanmoins, elle se posait trop de questions et elle ne voulait pas rester ignorante...
Elle termina de soigner sa main, puis enfin, exigea de sa compagne de voyage :
— Tu dois tout me dire, Ovaïa !
— Que veux-tu savoir ? J'ignore tant de choses...
— Juste ce que tu sais.
Ovaïa soupira :
— D'accord... Tu te souviens de ce rêve que j'ai fait et que je t'ai raconté ?
— Oui, et alors ?
— Je crois que ce rêve m'a montré ce que je suis en réalité...
Elle poursuivit en désignant le démon :
— Il dit que je suis sa reine, il dit qu'il veut me servir ; il assure que mon épée, que je croyais être celle de mon père, est mienne et qu'elle renferme mon essence...
La Dame d'Eraland traduisit pour sa belle-sœur les propos du malfaisant. Ensuite, un silence tendu s'installa entre elles...
Evalane voyait la jeune femme avec d'autres yeux à présent. À la lumière des explications d'Ovaïa, tant de choses s'expliquaient, en premier lieu le Kurior, qui avait été si proche d'elle. Tellement d'autres demeuraient dans l'ombre. Ovaïa lui demanda :
— As-tu peur de moi ?
La dame d'Ikryl s'interrogea. Elle découvrit qu'aucune crainte ne l'habitait. Elle répondit donc par la négative. Ovaïa dit :
— Peut-être que tu devrais !
Evalane sourit, se rapprocha et la prit dans ses bras. Elle l'étreignit avec douceur et murmura :
— Tu es peut-être la Reine de ce Royaume incandescent, mais tu es aussi Ovaïa d'Eraland, une femme remarquable qui a survécu à un désastre sans jamais baisser les bras, sans jamais se laisser aller sur d'effrayants chemins. Tu as protégé ton fils envers et contre tout. Je ne sais rien du périple qui a précédé ton arrivée au Marais, mais je suis certaine d'une chose, c'est que tu as résisté au mal. Tu as gardé ta dignité !
Elle embrassa sa joue, la lâcha et s'éloigna en concluant :
— Alors, s'il y a bien une chose dont je suis sûre, c'est que je n'ai aucune raison d'avoir peur de toi. Je resterai à tes côtés et je franchirai les obstacles avec toi, je t'en fais la promesse.
Profondément émue, Ovaïa répondit :
— Merci.
Evalane rétorqua :
— De rien, ma belle...
Puis elle se leva en déclarant :
— Je vais chercher tes plantes, nous ferons notre infusion et ensuite, on dort, je ne sais pas toi, mais pour ma part, je tombe de sommeil.
— En effet, toute la journée à chevaucher, cela épuise.
Quelques minutes plus tard, elles terminaient leurs infusions. Elles s'allongèrent près du feu, et s'endormirent immédiatement. Ovaïa rêva...
"Elle marchait vite sur le chemin ardent. Celui-ci menait au palais incandescent, le roi l'attendait. Que lui voulait-il ? Elle l'ignorait. Autour d'elle, l'embrasement de l'environnement l'enchantait. Ses pieds étaient caressés par les braises sur lesquelles elle cheminait.
Elle entra enfin dans la demeure brûlante, passa sous un porche de lave et arriva dans une salle crépitante. Au fond, sur un trône de basalte sombre, se tenait le souverain flamboyant de céans... Elle s'avança plus près, l'examinant avec curiosité, et il lui rendit son regard : "Approche" disait-il. Elle obtempéra..."
Ovaïa s'éveilla brusquement. Elle n'était pas effrayée, juste surprise. Elle soupira. Puis se sentant observée, pivota en direction du démon, c'est lui qui la regardait. Il n'y avait aucune méchanceté dans les yeux sombres et brillants, bien au contraire. Il s'adressa à elle :
— Vous ne devez pas avoir peur, Ma Reine, le royaume incandescent n'est pas mauvais, pas totalement en tous les cas.
— Comment penser autrement ?
Là, elle pensait au domaine d'Eraland dévasté par des hordes de démons haineux et sanguinaires ! Le diable dit :
— Nous avons tous été aveuglés par les promesses du général Ozerel...
— C'est une très mauvaise excuse, vous avez massacré les miens et vous y avez pris plaisir.
Le malfaisant ne répondit pas. Il savait qu'elle n'était pas encore prête au pardon. Ovaïa se détourna sans rien dire et sans remarquer la profonde tristesse briller dans le regard du démon. Le chagrin envahissait la jeune femme à présent, elle le laissa s'exprimer. Les larmes noyaient ses joues. Elle pleurait simplement sans sanglots, sans gémissements. Elle avait tant perdu ! Son père, son frère, et Rovor, son époux. Ce fut salvateur pour elle d'exprimer sa détresse. Elle se rendormit, cette fois son sommeil resta sans rêve.
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