Les bois de Quezériol -12 -

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Village de la crique blanche

Cela faisait presque deux jours qu'Obro et Jolo patientaient. Ils commençaient à s'inquiéter. Surtout le jeune homme du marais qui redoutait pour les jeunes femmes, une rencontre inopportune et dangereuse.

Ce jour-là, il avait fait très beau, mais très froid. Le soleil se couchait et les ombres nocturnes s'allongeaient sur le village abandonné.

Obro avait fait un feu dehors au milieu du petit groupement de maisons sur une placette de terre brune, non loin d'un arbre figé par le gel. Jolo qui avait pêché ce jour-là, faisait griller la dizaine de poissons qu'il venait de vider. Des hennissements leur firent lever la tête sur le chemin menant au bois. Jolo fut le premier à reconnaître les cavalières qui approchaient au petit trot. Il s'exclama sur un ton éminemment soulagé :

— Enfin, les voilà.

Puis il vit Obro se raidir et l'entendit s'exclamer :

— En effet et elles ne sont pas seules.

Il désigna la chose qui trottinait à leurs côtés, il désigna le malfaisant. Celui-ci en compagnie des deux Dames rentra dans le village.

Obro alla chercher son épée, puis il la brandit en fusillant le démon des yeux. Evalane lui lança :

— On se calme ! Il est avec nous !

— C'est une plaisanterie ?

— Non, pas du tout...

— Alors quoi ? Nous pactisons avec les diables à présent ?

Evalane fixa fugitivement sa belle-sœur, et c'est elle qui répondit :

— La situation est compliquée...

Obro s'adressa à elle :

— Pardonnez mon audace, Dame Ovaïa, mais je vous suggère de la simplifier rapidement, sinon je pourrais bien occire ce démon sans chercher à savoir ce qu'il serait bon de tirer de lui !

Il pointa son épée sur la gorge du malfaisant, qui n'osait bouger et n'en menait pas large. Calmement, la Dame d'Eraland s'avança vers le cavalier, elle se mit entre lui et le démon. Elle écarta l'arme qui menaçait ce dernier. Puis, sur un ton posé, elle déclara :

— Discutons autour d'un bon dîner. Evalane et moi mourrons de faim, nos réserves se sont terminées hier soir, et ces effluves appétissantes sont une vraie torture pour nos ventres creux.

Obro cilla, recula d'un pas, et rangea son épée. Jolo qui s'était tue jusqu'ici, recommanda :

— Allez dans la maison, je termine ma cuisine et je vous rejoins.

Ainsi il fut fait. Les chevaux des jeunes femmes furent installés avec celui d'Obro sous l'appentis. Elles rentrèrent dans l'habitation en compagnie du cavalier. Le démon quant à lui resta dehors. Il s'installa près du feu...

Plus tard - Dans la maison

Les jeunes femmes étaient si affamées qu'elles se jetèrent sur le poisson grillé apporté par Jolo. Les hommes se restaurèrent aussi, mais avec plus de retenue. Pour conclure ce succulent repas, Ovaïa sortie ses dernières fleurs de camomille séchées.

Evalane, avec sincérité complimenta le jeune pêcheur de cette manière :

— Félicitations Jolo, j'envie la femme que tu épouseras, assurément tu seras un soutien précieux pour elle...

Amusé, Jolo rétorqua :

— Parce que je sais cuisiner ?

— Oui ! Tu sais, rares sont les hommes aussi polyvalents que toi.

Elle s'adressa à Obro :

— N'es-tu pas de mon avis ?

Le cavalier d'Ikryl contempla rêveusement le jeune homme et admit :

— Si, tout à fait.

Il eut un léger soupir, but une gorgée d'infusion, puis demanda à brûle-pourpoint :

— Bien, parlons de ce démon à présent !

Evalane alla regarder sa belle-sœur. Celle-ci ne se déroba pas, elle raconta sans attendre ce qu'il en était. Pendant ce temps, dehors le diable s'inquiétait.

Ramassé près du feu, le démon jetait de temps à autre des regards nerveux en direction de l'habitation où sa Reine et les humains s'étaient réfugiés. Il savait que son sort dépendait d'Ovaïa et de sa capacité à convaincre le cavalier qui voulait le tuer, à y renoncer.

Il émit une sorte de soupir, avant de plonger une de ses mains dans le feu, il ferma les yeux et se laissa aller. Cela communiqua à son être une chaleur et un bien-être immédiat. Les souvenirs liés à son pays de braise l'envahirent. II se voyait jeune, à peine sorti de la matrice ardente de sa mère, alors qu'elle le plongeait dans un magma fumant et apaisant. Ses lointaines réminiscences alors qu'il était tout juste né, étaient de plus en plus fréquentes. Au sein du royaume incandescent, il se disait que cela arrivait quand la fin était proche. Sa fin était-elle proche ? Il en était sûr, mais à présent qu'il s'était dévoué au service de sa Reine, il souhaitait qu'elle n'arrive pas avant qu'il ait pu la guider devant le portail des dimensions. La voix du maître retentit en lui, elle disait : "Ne t'inquiète pas, tu survivras jusque-là, si tu es prudent !"

Cela le rassura. Il ôta sa main du feu et regarda la maison. L'inquiétude renaquit en lui...

Ovaïa avait terminé. Obro, incrédule, la fixait, ne sachant s'il devait être effrayé ou pas. La jeune femme n'avait rien caché aux deux hommes. En se disant que tant qu'à faire des révélations, autant tout dire. D'autant plus qu'elle ignorait ce qui l'attendait en Surilor. Il convenait donc qu'elle puisse compter sur des alliés, qui n'ignoraient rien d'elle. Soudain Obro parla :

— Alors vous seriez une sorte de diablesse ?

Jolo fronça les sourcils. La Dame d'Eraland répondit :

— D'après les dires du malfaisant, en quelque sorte.

Le cavalier continua à la regarder sans parler durant plusieurs minutes. Il dit ensuite :

— Vous me semblez tout à fait humaine...

Jolo qui n'avait encore rien dit, déclara soudainement :

— Peut-être faut-il voir cette éventuelle identité, uniquement de manière spirituelle.

Obro se massa les tempes, avant d'objecter :

— L'âme de Dame Ovaïa ? C'est cela qui serait démoniaque ?

— Je ne suis pas sûr que le terme démoniaque convienne, je dirais juste différente.

— Je ne comprends pas ce que tu veux dire. Si elle est une diablesse, elle est démoniaque.

Calmement Jolo, dont l'esprit s'ouvrait rétorqua :

— Et si d'une manière ou d'une autre, le monde que nous appelons enfer, était tout simplement une terre différente de la nôtre. Une terre où, comme chez nous, il y a de mauvaises personnes et de bonnes personnes. Pour une raison que nous ignorons, les mauvaises personnes auraient envahi notre monde pour le conquérir. Si ma théorie est exacte, Dame Ovaïa ferait partie des bonnes personnes.

La Dame d'Eraland fronça les sourcils et objecta :

— Je trouve ta théorie très spéculative.

Elle poursuivit :

— Ceci étant dit, je ne saurai la vérité qu'une fois arrivée en Surilor, devant ce fameux portail.

Obro se taisait, il regardait Ovaïa en réfléchissant. En définitive, il décida :

— Je ne continuerai pas avec vous...

Jolo sursauta, avant de s'exclamer :

— Mais pourquoi ?

— Parce que si Dame Ovaïa dit vrai, si cette théorie est réelle, ce n'est pas à la cité de Jade que nos troupes doivent concentrer leurs efforts, mais là-bas en Surilor. Je dois rapporter ses révélations au seigneur Dokar, qui devra ensuite en référer à notre roi. C'est du Surilor qu'est venu le danger, c'est là-bas que doit être combattu et vaincu le mal...

Ovaïa objecta :

— Je peux me tromper, mais je crains fort que les troupes royales et seigneuriales, quel que soit leur nombre et leur courage soient incapables de fermer un portail magique...

— Quand bien même, il faudrait s'assurer que là-bas, il n'y a plus personne, qu'il soit humain ou démon, capable de l'ouvrir.

La jeune femme soupira :

— Fais comme il te semble bon ; pour ma part, je repars demain matin, et par le fleuve, plus vite je serais arrivée en Surilor, plus vite tout sera terminé, que ce soit dans un sens ou dans un autre.

Elle conclut :

— Donc messieurs, je réquisitionne votre bateau !

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