La porte du Surilor - 1 -
"La porte ouverte en Surilor, enflait, s'étendait, était au bord de l'explosion, Le prince renégat du monde ardent s'en réjouissait, mais l'héritière approchait, elle était la seule capable de sauver les deux mondes de l'anéantissement..."
Chroniques des Temps Obscurs. Bibliothèque Royale de la Cité de Jade
Cité Antique de Kixorlig - Porte des Mondes - Pays de Surilor
Le pœcile de minute en minute, semblait s'élargir, s'étendre, prendre de l'ampleur, il palpitait, tel un cœur. Quelques démons tentaient encore de le franchir, d'autres résignés, restaient prostrés à terre. Les malfaisants gémissaient de douleur, car ils savaient qu'ils allaient mourir loin de la contrée ardente.
Brusquement, le sol se mit à trembler. L'ancienne cité oscilla sur ses bases, quelques murs, érodés par le temps, s'effondrèrent.
Dans le temple ancien, près de l'arcade flamboyante, c'était la débandade. Les diables commençaient à l'abandonner, au moins la plupart d'entre eux. Quelques obstinés, malgré tout se jetaient toujours contre la lumière grandissante du pœcile. Soudain, une onde plus forte se propagea sous les pieds fourchus des diables.
Ainsi, même les plus pugnaces se sauvèrent. Tous n'eurent pas le temps d'éviter l'effondrement de l'ancien lieu de culte. Ils restèrent prisonniers sous les décombres, tandis que la vague d'énergie tellurique se propageait dans toutes les directions.
L'ancienne ville n'y résista pas, en quelques minutes tous les murs encore debout s'écroulèrent.
Les ondes poursuivirent leur voyage, elles s'étendirent sur la totalité du pays de Surilor, et même au-delà... Elles devaient se ressentir jusqu'en Ikryl !
Village de la crique blanche - Pays de Quezériol
Les deux femmes et le jeune homme des marais étaient prêts à embarquer, quand le frémissement tellurique atteignit les bois de Quezériol.
Obro qui était là aussi s'exclama :
— Que se passe-t-il ?
Il chancelait, tout comme les jeunes Dames et Jolo. Le fleuve était soudainement très agité.
Le diable s'exclama :
— C'est la porte, la porte ! Ma Reine, il faut nous hâter !
Sans comprendre, Ovaïa s'exclama :
— Comment cela, explique-toi ?
— Tant que le mage était là pour maintenir le sortilège sur ce monde, les forces énergétiques de la porte étaient sous contrôle. À présent que le maléfice est brisé, le portail s'étend sans contrainte, nos mondes risquent de fusionner et de s'anéantir mutuellement.
Ovaïa frémit. Cependant, Obro exigea presque :
— Que vous a raconté le Malfaisant, Madame !
Sans hésiter, elle traduisit mot pour mot les propos du diable. Quand elle eut terminé, Evalane dit :
— Au moins savons-nous que ce n'est pas une armée supplémentaire de démons qui nous menace.
Sur un ton sinistre, Jolo rétorqua :
— Oui, c'est bien pire...
Il frémit d'appréhension.
Cependant, le tremblement de terre cessa. Ovaïa décréta :
— Il est temps de partir.
Jolo hissa la voile, tandis que les jeunes femmes et aussi le démon s'installaient dans la barge. Obro défit la corde qui la retenait au ponton, puis la jeta à l'intérieur. Il entra dans l'eau glacée et poussa l'embarcation dans le sens du courant. Heureusement, le fleuve s'était calmé. Le cavalier remonta sur la terre ferme.
Il fit signe au bateau qui s'éloignait et leur lança :
— Les dieux fassent que votre voyage soit rapide afin que vous nous sauviez tous !
Les deux jeunes femmes agitèrent leurs mains en retour. La barge s'éloigna, Obro la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle ne soit plus visible. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'il se détourna. Il était temps pour lui aussi de préparer son départ.
Manoir d'Ikryl
Les secousses avaient été relativement légères. Cependant, le seigneur des lieux perçut dans celles-ci un désastre à venir. Malgré l'heure matinale, il convoqua son mage.
Celui-ci ne put pas lui dire grand-chose, si ce n'est :
— Cela vient du nord, Seigneur, du Surilor.
Cela inquiéta Réjak. Il pensa à Rovor qui s'était rendu là-bas. Il n'y avait connu qu'un sort funeste. Tout lui avait été raconté par les cavaliers qui avaient escorté la jeune nourrice et l'enfant d'Ovaïa jusqu'au Manoir. Ils étaient arrivés la veille au soir.
Le seigneur d'Ikryl sentit l'accablement le saisir, ainsi que la culpabilité. Car n'avait-il pas sa part de responsabilité dans les agissements de son cadet ? Le Mage qui voyait sur les traits du vieil homme son chagrin, assura :
— Ne vous sentez pas aussi responsable, Milord. Personne n'aurait pu imaginer que le jeune seigneur Rovor avait de tels projets. Même moi, je n'ai rien vu venir. Je ne suis pas le seul magicien dans ce cas.
Réjak ne répondit pas. À la place, il renvoya le sorcier à son ouvrage. Puis il gagna l'étage, dans le but, cette fois de voir son petit-fils.
Il trouva celui-ci avec la nourrice. Elle le berçait doucement afin de calmer ses pleurs. Réjak demanda :
— Que lui arrive-t-il ?
— La colère de la terre l'a réveillé et effrayé, Seigneur.
Celui-ci soupira :
— Je crois que nous avons tous eu peur.
Méeli avait cillé puis demandé :
— Sommes-nous arrivés à la fin des temps, Seigneur ?
Il se fit rassurant :
— Bien sûr que non !
Elle ne l'avait cru qu'à moitié. Comme l'enfant peinait à se calmer, Meéli prit place sur un siège, se défit et lui présenta l'un de ses seins blancs. Réjak se détourna alors en disant :
— Je reviendrai plus tard.
Il quitta la pièce. Le bébé cessa de pleurer et commença à téter.
Steppes du Surilor
La surprise d'Ozerel avait été totale quand le sol s'était mis à trembler. Il n'avait pas été long à en trouver la raison.
"La porte !" S'était-il exclamé intérieurement.
"La mémoire du général lui restitua une mise en garde du nécromancien. Elle concernait le portail. Il lui avait dit :
— Mon sortilège sur ce monde englobe aussi la mise en place d'une sorte de sécurité. La porte restera stable tant que le maléfice durera.
Ozerel avait demandé :
— Et dans le cas contraire ?
— L'énergie de la porte s'amplifiera, au point d'élargir le seuil. De là, le monde ardent et celui-ci seront en passe de fusionner, ils se détruiront mutuellement.
Le général avait alors répondu :
— Il n'y a aucune raison que cela arrive !"
Il était très confiant à l'époque. Depuis bien sûr, cela avait fait long feu.
Ozerel sortit de ce souvenir et poursuivit sa route, en sachant qu'il n'obtiendrait pas de renforts pour qu'il puisse reprendre la main. Il se jura alors que s'il tombait, alors tous tomberaient avec lui, qu'ils soient humains ou créatures du monde ardent. Oui, il laisserait les mondes se rejoindre et se détruire au besoin. Ainsi aurait-il sa vengeance !
Fort de cette décision, il accéléra son allure.
Cité Antique de Kixorlig - Porte des Mondes - Pays de Surilor
Le calme était revenu sur la ville détruite. Un silence total s'était installé. La plupart des démons étaient morts sous les décombres. Une poignée avait survécu. Ils erraient à présent sans but, dans les rues dévastées de l'archaïque cité.
Le portail, quant à lui, était toujours là. Plus brillant qu'auparavant, il scintillait de mille feux. Le spectacle était magnifique. Il attira les survivants. Cette fois, aucun d'eux ne chercha à passer de l'autre côté. Au contraire, ils s'agenouillèrent et implorèrent le maître de leur pardonner.
Cette fois, ils eurent une réponse. Un visage se dessina sur le pœcile. Celui du roi du pays incandescent. Une voix formidable s'adressa à eux :
— Enfants rebelles, le pardon ne vous sera donné que par l'héritière. Elle approche, elle sera là bientôt, prêtez-lui allégeance, aidez-la, et dans ce cas seulement, vous pourrez prétendre à cette indulgence que vous espérez !
Puis le visage disparut. Il ne resta que l'intense luminosité du portail qui continuait à pulser et à s'agrandir, les démons emplis d'espérance se placèrent en attente...
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