La porte du Surilor - 2 -
Pays du Surilor - Fleuve Ikryl
Le bateau glissait rapidement sur les eaux légèrement agitées du fleuve. Un vent constant poussait l'embarcation en direction de sa destination.
Grâce à la barge et en seulement quelques heures, le groupe composé des deux femmes, de Jolo et bien sûr du Démon, avait gagné plusieurs jours de voyage.
Pourtant Ovaïa trouvait que cela n'allait pas assez vite encore. Cependant, elle se taisait, enfoncée dans une angoisse réelle, due aux nombreuses révélations la concernant, son humeur s'assombrissait inexorablement.
Personne ne le remarqua autant que Jolo. Evalane pour sa part, était beaucoup trop occupée à surveiller du coin de l'œil, le diable. Au demeurant, celui-ci restait bien tranquille. La Dame d'Eraland avait assuré à sa belle-sœur, qu'ils n'avaient rien à craindre du malfaisant, mais la dame d'Ikryl n'était pas convaincue, alors elle restait attentive à l'endroit de ce singulier allié.
La créature était trop occupée à lutter contre un certain affaiblissement de son organisme, pour ne serait-ce qu'envisager de tromper ses compagnons de voyage. D'autant plus qu'il avait vraiment fait sienne la quête d'Ovaïa. Dans l'immédiat, ce qui le tourmentait le plus, était l'humidité qui l'entourait. Pire que le froid, elle mettait sa résistance physique à rude épreuve : il grelottait !
Ovaïa, sortant quelques brèves secondes de son mutisme, leva les yeux sur le malfaisant. Elle remarqua aussitôt son teint livide et visqueux et les frissons qui l'agitaient. La jeune femme constata : "La proximité du fleuve ne lui réussit pas !"
Sans hésiter, elle se leva et fouilla dans le coffre de l'embarcation. Elle en sortit une fourrure. En même temps, un objet rond s'échappa hors du caisson de bois et roula jusqu'aux pieds d'Evalane : il s'agissait de la sphère où était emprisonnée l'esprit du Nécromancien.
La jeune femme instinctivement eut un mouvement de recul. Le diable quant à lui, avait sursauté et blêmi, il s'adressa à Ovaïa :
— Prenez garde, Ma Reine, cette sphère appartenait au sorcier, elle est sans doute maléfique.
La Dame d'Ikryl épouvantée la poussa du pied en direction d'Ovaïa. En même temps, elle déclara :
— C'est sûrement celle où a été emprisonné l'esprit de ce magicien démoniaque !
Elle alla regarder Jolo et demanda :
— Comment est-elle en ta possession ?
Le jeune homme, en peu de mots, donna l'explication requise. Evalane alla regarder sa belle-sœur. Celle-ci, sans hésitation ramassa l'orbe.
Intensément, la Dame d'Eraland scrutait les volutes bleues-gris qui se mouvaient dans la sphère. Étrangement, cet objet, qui aurait pu l'effrayer, la rassurait. Elle détourna les yeux, puis sans hésiter, le glissa dans son sac.
Evalane objecta :
— Ce n'est pas très prudent.
Ovaïa haussa les épaules sans répondre. Jolo se taisait, mais n'en pensait pas moins. La jeune mère déplia la fourrure qu'elle venait de sortir du coffre, sans hésiter, elle en recouvrit les épaules grelottantes du Diable.
Celui-ci, éperdu de reconnaissance, lui dit :
— Merci, Ma Reine !
Elle n'eut qu'un hochement de la tête en réponse et retourna s'asseoir. Evalane la contemplait, sans rien dire, avant de parcourir des yeux les méandres agités du fleuve... Le bateau filait toujours avec rapidité... Toute la question était de savoir s'il les conduirait suffisamment vite jusqu'au portail, assez pour éviter le désastre !
Cité de Jade - Pays de Quezériol
Édifiée sur un haut promontoire rocheux, la ville était entourée de hautes et solides murailles. Les habitations les plus excentrées restaient les plus modestes. En revanche, la majorité des temples et maisons seigneuriales, s'accrochaient aux murs de la résidence royale, structure vaste, mastoc et fortifiée, elle dominait la ville.
C'est ainsi qu'elle se révéla au regard d'Obro. La cité semblait immobile, dans l'air glacé de cette fin d'après-midi et seulement éclairée par les feux d'un soleil couchant hivernal.
Le cavalier talonna sa monture en entraînant derrière lui, les juments d'Ovaïa et Evalane. Le cavalier espérait que les portes ne seraient pas fermées, il n'avait guère envie de passer la nuit qui arrivait, à l'extérieur des remparts.
Obro arriva juste au moment où les soldats les poussaient pour les clore et les passa de justesse. De l'autre côté des murailles, une surprise l'attendait, une voix l'interpella ainsi :
— Hé, mon ami ! Que fais-tu donc là ?
Obro se focalisa sur cet intervenant, il s'agissait d'Ulkir !
L'arrivant descendit de cheval puis se précipita vers lui. Ils s'étreignirent comme les deux camarades qu'ils étaient. Ils se séparèrent et Obro demanda :
— Depuis quand êtes-vous là ?
— Nous sommes arrivés dans l'après-midi. Dis-moi, tu ne devais pas retrouver ces Dames et les ramener ? Ou alors les accompagner, au besoin jusqu'en Surilor ?
— Il y a eu des événements inattendus. Je dois parler au seigneur Dokar. Où se trouve-t-il ?
— Il confère avec notre Roi et ses principaux seigneurs.
En parlant, il l'entraînait avec lui. Ils s'engagèrent dans une ruelle. Obro remarqua çà et là des maisons aux murs fendillés, certaines avaient même perdu quelques pierres. Il supposa que cela était dû aux récents tremblements de terre. Il n'eut pas le temps d'approfondir le sujet, Ulkir le guidait déjà en direction du château royal.
Pays de Surilor
Péniblement, Ozerel arrivait devant l'antique Kixorlig. En constatant l'état délabré des lieux, il se dit que le phénomène de jonction des deux mondes, allait beaucoup plus vite qu'il ne l'aurait pensé. Il porta son regard sur le portail. Sa flamboyance s'étendait à présent sur toute la surface du temple écroulé.
Le général effrayé malgré lui, mais aussi fasciné, pensa encore : "Quel spectacle sublime et extraordinaire ! Assurément la fin sera à la hauteur de cette éclatante manifestation..."
Il se posa sans trop de mal, juste devant le pœcile. Là, il remarqua une quinzaine de Démons qui paraissaient attendre. Surpris, il en interrogea un :
— Que faites-vous ici, au lieu de retourner mourir en notre ardent pays ?
— Le maître nous en interdit l'accès, mais rien n'est perdu, l'héritière approche, elle nous sauvera tous.
Ozerel, consterné, jeta sur eux un regard circulaire, puis il partit d'un rire nerveux et sardonique.
Les autres démons, soudain effrayés reculèrent. Quelques-uns effectuèrent même une retraite stratégique. Ils venaient de réaliser que la violence du Général n'allait pas tarder à se manifester.
Cela ne tarda pas. Brusquement Ozerel cessa de rire. Il attrapa le premier de ses congénères à sa portée. De ses mains puissantes, il le plia tel un fétu de paille. Le corps du démon se déchira, un sang noir se déversa sur le sol, ainsi que ses entrailles et viscères.
Il jeta les morceaux de l'infortuné malfaisant à ses pieds, en agrippa un second et lui fit subir le même sort, puis un troisième et un quatrième. Très peu échappèrent à sa folie meurtrière.
Seul l'épuisement le força à s'arrêter. Il tomba à genoux, et sentant le chagrin l'envahir, il s'adressa au miroir étincelant du portail, il cria :
— Pourquoi ? Qu'ai-je fait pour que vous me détestiez au point de me spolier, Père ? N'étais-je pas l'héritier légitime ? N'étais-je pas celui qui aurait dû logiquement vous succéder ?
Il attendit une réponse qui ne vint pas. Le désespoir le submergea et il commença à hurler sa colère...
Les diables survivants le contemplaient. De la pitié brilla bientôt dans leurs yeux.
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