La Porte du Surilor - 5 -
Sur le fleuve
L'avant de l'embarcation réduit en miettes, fut emporté par le courant. L'arrière gisait en morceaux sur les rochers que la barge avait percutés.
Par chance, le jeune homme et les Dames avaient été expulsés hors du bateau, par le choc. Tous les trois se retrouvèrent dans l'eau. Ils nagèrent jusqu'à la rive et se hissèrent sur la berge. L'exercice s'avéra épuisant. Jolo avait une belle entaille au front, ils étaient gelés, mais en vie.
Brusquement, Ovaïa se mit debout, puis scruta le courant impétueux du fleuve. Evalane, péniblement, l'imita et lui demanda :
— Qu'est-ce que tu fais ?
— Je cherche le malfaisant.
Jolo plaça sa main en visière, sans rien dire. Ovaïa presque inquiète, faisait de même. En définitive, sa belle-sœur déclara :
— Étant donné ce que l'eau fait aux démons, il est mort !
Soudain une série de modulations vocales, leur fit lever la tête. Ils restèrent bouche bée, le diable les survolait !
Celui-ci, presque gracieusement, se posa près d'Ovaïa. Ses ailes se replièrent. Lentement, la jeune mère se remettait de sa surprise. Elle déclara :
— Ainsi, tu peux voler ?
— En effet, Ma Reine...
— Pourquoi ne me l'as-tu pas dit plus tôt ?
Il hésita avant de répondre :
— Le moment de le faire ne s'est pas présenté.
Elle le scruta avec attention, puis lui posa une autre question :
— Vous n'êtes pas tous capables de voler, n'est-ce pas ?
Là aussi, il parut indécis, il semblait chercher ses mots. Finalement, il déclara :
— Seuls les Éréalios de haut-rang possèdent des ailes, en effet.
Elle répéta :
— Éréalios ?
— C'est là le nom de mon peuple, Ma Reine, Votre peuple.
Le visage d'Ovaïa se durcit soudain, sa voix claqua sèchement :
— Ne dis pas ça !
Il n'insista pas sur ce sujet et répondit :
— Pardonnez-moi, Ma Reine.
Elle soupira et pivota vers Evalane. Celle-ci posait sur le diable un regard suspicieux. Jolo, à son habitude, restait de marbre, même s'il n'en pensait pas moins.
Soudain, l'Éréalios désigna le nord en s'écriant :
— Regardez, Ma Reine.
Elle se retourna et fixa le phénomène qu'il lui montrait. Elle resta stupéfiée. On aurait dit qu'un second soleil s'était brusquement allumé à l'horizon. La lumière palpitante et électrique envahissait le ciel. Ovaïa murmura :
— La porte...
— Oui, Ma Reine.
La jeune femme secoua la tête en s'exclamant presque désespérément :
— Comment suis-je censée arrêter une telle chose ? Jamais je n'y arriverais.
— Oh si, Ma Reine, il suffira que vous acceptiez ce que vous êtes !
Furieuse, elle pivota vers lui et cracha :
— Ferme là ! Je suis Ovaïa d'Eraland, fille d'Aléthis et d'Akéron d'Eraland, et je suis humaine ! Tu entends, HUMAINE !!
Tristement, l'Éréalios la contemplait, il comprenait son désespoir. Il aurait voulu la rassurer, l'aider, mais lui-même n'avait pas toutes les réponses. Cependant, il prophétisa :
— Si vous refusez votre Royale destinée, Ma Reine, nous sommes perdus !
Un lourd silence s'établit entre eux...
Jolo les contemplait. Il aurait souhaité à ce moment-là, comprendre la langue du diable. Soudain, son pragmatisme prit le dessus. Il s'avança vers les débris encore présents sur les rochers. Il déclara :
— Venez m'aidez, il faut récupérer ce que nous pouvons, et réfléchir au moyen qu'il nous reste pour continuer notre route.
Evalane alla lui prêter main forte. Soudain, c'est elle qui s'exclama :
— Ovaïa, où se trouve ton épée ?
Surprise, elle se détourna de l'Éréalios, et passa sa main dans son dos, en commençant à dire :
— Elle est là...
Il n'y avait rien ! Elle se rappela soudain qu'elle l'avait glissée sous le banc, après avoir embarqué dans la barge. La jeune femme pâlit et fixa le fleuve. Puis d'une voix blanche, elle déclara :
— Elle est sûrement au fond de l'eau...
Le diable qui avait compris intervint :
— Vous devez la récupérer, Ma Reine. C'est grâce à elle que vous nous sauverez tous.
— Ah oui ? Je fais comment ? Crois-tu que j'ai le temps d'explorer le fond du fleuve ?
Il ne répondit pas ; à la place, il déploya ses ailes. Puis surmontant sa répugnance pour l'eau, il survola le fleuve en dardant ses yeux perçants sur les flots agités. Au terme d'un temps qui parut très long à la jeune femme, il déclara en pointant un doigt sur le milieu du courant :
— Je la vois, ma Reine, elle est là !
Jolo, qui avait compris que le malfaisant l'avait localisée, dit :
— Je vais la chercher !
Evalane intervint :
— Je ne le te conseille pas, cette épée, personne ne peut la toucher à présent.
Elle pivota vers sa belle-sœur en ajoutant :
— Si ce n'est Ovaïa.
La jeune femme hésita, une furieuse envie de laisser cette arme où elle était, la saisissait. Puis brusquement, elle se rappela paroles qu'avait dites son père...
"Elle se tenait dans la salle d'armes avec Akéron. Son frère était là aussi, mais étrangement, c'est à elle que le Seigneur des lieux s'était adressé, il avait dit :
— L'épée ancestrale est dans la famille depuis des générations. Tu auras du mal à le croire, mais depuis les origines, elle ne s'est jamais brisée, ni altérée d'aucune sorte. On dit même qu'en elle se cache un grand pouvoir.
Fascinée, elle l'avait effleuré de ses doigts, avant de demander :
— C'est vrai, père ?
— C'est ce qui se dit.
— Alors elle est magique ?
— Eh bien, je l'ignore, elle n'a jamais manifesté une quelconque magie, depuis que mon père me l'a confiée, mais c'est une arme remarquable, qui a permis de vaincre bien des ennemis sur les champs de bataille.
Il lui l'avait tendu à ce moment-là en proposant :
— Tu veux l'essayer ?
Très fière, elle avait accepté, en regardant son frère, qui ne paraissait pas vraiment offusqué par la proposition du seigneur d'Eraland, en direction de sa fille.
Akéron avait pris une autre épée, puis ils s'étaient affrontés..."
Ovaïa sortit de ce souvenir qui datait de ses années d'adolescence. Elle prit une profonde inspiration, puis décida enfin :
— D'accord, j'y vais.
Elle s'avança vers la berge...
Jolo avait noué autour de la taille de la jeune femme, une longue corde, récupérée parmi les débris de la barge.
Le diable était toujours dans les airs, il faisait du surplace au-dessus de l'eau, indiquant ainsi l'emplacement exact de l'épée.
Ce que s'apprêtait à faire la jeune femme n'allait pas être facile. Outre que le fleuve avait gagné en puissance depuis le séisme, le froid environnant, ajoutait une difficulté supplémentaire.
Néanmoins, c'est courageusement qu'Ovaïa entra dans l'eau. Elle serra les dents aussitôt, tant le froid était saisissant. Elle lutta un moment contre l'envie irrépressible de ressortir de cet environnement qui la glaçait jusqu'aux os. La jeune femme prit sur elle. Elle commença à nager, fermement. Jolo et Evalane tenaient la corde...
Elle arriva sans difficultés réelles au milieu du fleuve, juste au-dessus de l'endroit indiqué par le diable. Ovaïa prit alors une profonde inspiration, puis plongea...
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