La porte du Surilor - 6 -
En plongeant sous l'eau, Ovaïa avait eu l'impression de s'envelopper d'une gangue de glace. Elle résista à l'impulsion de ressortir et commença à promener son regard sur le fond trouble du fleuve. Elle devina plus qu'elle ne vit les contours de l'épée d'onyx. Quelques éclats sombres venant des pierres ornant la garde de l'arme, la guidèrent. D'une puissante poussée de ses jambes, elle nagea un peu plus en profondeur...
Le diable faisait du surplace au-dessus du courant rapide. Son regard perçant suivait la progression de la jeune femme en direction du talisman d'Éréale. Qu'elle le récupère était d'une nécessité vitale pour tous, le démon le savait, mais il redoutait encore plus que sa reine meurt.
Sur la berge, Jolo et Evalane l'observaient. L'angoisse les consumait et une question demeurait en eux : Pouvait-on vraiment faire confiance au malfaisant ?
Ils n'en étaient pas persuadés, mais avaient-ils d'autre choix que de s'en remettre à cette créature ? Ils en étaient là de leurs interrogations quand ils remarquèrent que le démon se rapprochait un peu plus de la surface de l'eau...
Ovaïa, presque à l'aveuglette, arrivait au fond. Elle tendit le bras et attrapa à pleines mains la garde de l'épée. Des volutes de vase l'entourèrent, sa visibilité déjà moindre, devint cette fois inexistante. Paniquée, elle commença à remonter, l'air commençait à lui manquer !
La jeune femme s'affola. D'ordinaire, elle était beaucoup plus à l'aise dans l'eau, mais à cet instant, elle ignorait pourquoi cet élément liquide la terrorisait. Son arrivée à la surface fut salvatrice. Elle aspira une longue goulée d'air. Cependant, elle se sentait sans force. Elle faillit être emportée par le courant, mais quelque chose l'agrippa et la souleva au-dessus des flots tumultueux. Elle resserra sa prise autour de la garde de l'épée et leva les yeux, c'était le diable qui l'avait empêchée de sombrer.
Il la déposa avec douceur sur la berge. Elle reprenait son souffle. Quand ce fut fait, elle fixa son "Sauveur" et lui dit :
— Je te remercie.
— Je vous en prie, Majesté. dit-il
Elle sourit, se releva et frissonna. Le diable dit :
— Il faut vous réchauffer !
Il attrapa plusieurs des planches que Jolo avait récupérées, les rassembla, puis doucement souffla dessus. Le feu prit aussitôt...
Le jeune homme du marais et la dame d'Ikryl restèrent bouches bées. Ovaïa, acceptant ce petit tour de la part du démon, dit à ses compagnons de voyage :
— Rapprochez-vous, nous avons tous besoins d'être réchauffés.
Ils obtempérèrent et s'installèrent autour du foyer. La chaleur commença à pénétrer leurs corps transis. Ovaïa reprit la parole. Elle s'adressa au démon :
— Ainsi, tu sais faire du feu ?
— Oui, ma Reine. Je fais partie de la caste des créateurs de l'ardent élément.
— Je vois, une caste élevée apparemment, cela explique pourquoi tu as des ailes...
— En effet, Majesté.
Elle le contempla un moment avant de demander brusquement :
— Comment t'appelles-tu ?
Il fut surpris et ne répondit pas tout de suite. Elle insista :
— Tu as bien un nom ?
Il admit :
— Oui, ma Reine.
— Alors, dis-le-moi.
Il inclina la tête sur le côté, son regard se perdit dans l'incandescence du foyer, il répondit enfin :
— Kazaël, Majesté.
Elle sourit, puis hocha la tête en disant :
— J'en prends bonne note.
La jeune femme se détourna ensuite, et ses yeux noirs se focalisèrent sur les flammes dansantes. Elle se détendait en réfléchissant. Une idée venait de germer dans son esprit, elle demanda brusquement à l'Éréalios :
— Dis-moi, ce que tu as fait pour me sortir de l'eau, tu pourrais le refaire sur une distance plus longue ?
Cette question stupéfia Evalane et Jolo. Ils se regardèrent. Cependant, Kazaël répondait :
— C'est toujours possible, il faudra que j'effectue quelques pauses, voilà tout...
Evalane s'exclama alors :
— J'ignore ce qu'il t'a répondu, mais tu n'es pas vraiment sérieuse ?
La dame d'Eraland cilla avant de répondre à sa belle-sœur :
— À présent que nous voici à pied, il faut réfléchir à une alternative qui me permettra d'arriver à la porte avant que l'anéantissement qui nous menace survienne.
— Et nous ? Tu crois que nous allons nous effacer ainsi ?
— Je crains de ne pas avoir le choix.
Un silence suivit. Jolo, pour sa part, n'était pas intervenu, il réfléchissait. La Dame d'Ikryl l'interpella ainsi :
— N'as-tu rien à dire ?
Il hésita, et proposa :
— Je peux essayer de faire un radeau, il n'irait pas aussi vite que la barge, et il faut le temps de le fabriquer, mais Ovaïa peut nous devancer, nous la rattraperons plus tard.
Enthousiasmée, la jeune mère répliqua :
— C'est une bonne solution.
La Dame d'Ikryl hésitante, objecta :
— Je ne suis pas très rassurée à l'idée de te confier à ce malfaisant.
Ovaïa répondit :
— Que tu le sois ou pas ne change pas grand-chose à l'affaire, il faut que j'arrive le plus vite possible à la porte.
— Mais tu ignores toujours comment la fermer.
— Je suppose qu'une fois là-bas, la solution m'apparaîtra.
Evalane, toujours indécise, resta silencieuse quelques minutes. Enfin, elle prit sa décision :
— C'est entendu, mais ce n'est pas de gaieté de cœur, promets-moi que tu seras prudente.
Elle jeta à l'Éréalios un regard méfiant. Sa belle-sœur se contenta de sourire. Soudain, Jolo se releva en déclarant :
— Je ne vais pas perdre de temps et commencer ce radeau.
Il s'éloigna les deux femmes. Celles-ci restèrent près du feu, mais sans s'adresser de nouveau la parole. Le regard d'Ovaïa se perdit dans la contemplation des flammes.
Portail des mondes - Kixorlig
Ozerel avait trouvé refuge dans un arbre mort. Ses racines étaient encore suffisamment dans le sol, pour ne pas s'être effondré sous la violence du séisme.
Perché sur son belvédère, le général s'y accrochait presque désespérément. Plus aucun de ses congénères n'était présent aux alentours. Il pouvait se dire maintenant que sa belle armée rebelle et fière était décimée. Il frissonna. L'air ambiant demeurait hivernal. Il s'était enveloppé de sa peau de cheval. De celle-ci émanaient des relents malodorants qui lui soulevaient le cœur. Il pensait, de lui-même : "Quelle déchéance !"
Une vive douleur venant de sa jambe le fit grimacer. La pourriture avait atteint le milieu de sa cuisse. Étant donné son état, il se demanda s'il aurait la force de combattre l'héritière quand elle arriverait. Puis il se rappela que dans ce monde, elle était humaine. Même amoindri, il aurait le dessus. Il essaya de s'en convaincre en tout cas.
Ozerel fixa le portail. La force, la puissance, la luminosité du phénomène le fascinaient. Les arcs électriques qui zébraient le ciel auréolaient le pœcile de magnificence. Hypnotisé, il ne cessa plus de le regarder...
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