La porte du Surilor - 8 -
Portail des mondes - Pays de Surilor
L'embrasement de l'arbre mort s'intensifiait. Il fut réduit en cendres. Ne resta qu'Ozerel qui, l'air triomphant, avait senti sa force et son énergie renaître. Il tonna :
— Je t'attends de pied ferme, ma sœur. Cette fois s'en est fini de toi !
Une voix lui répondit :
— Tu penses vraiment être en mesure de contrer la force et la magnificence de mon héritière, fils indigne ?
Le Malfaisant sursauta, puis fit volte-face. Ses yeux se posèrent sur le pœcile qui palpitait et où venait d'apparaître le visage du souverain de l'ardent pays.
Ozerel recula, sa belle assurance s'effritait. La voix formidable du roi, retentit :
— Je vais te donner une dernière chance de te sauver. Fais amende honorable. Quand l'héritière sera là, agenouille-toi devant elle, et offre-lui ta féauté.
Le général serra les dents, tout son être se révoltait à l'idée d'obéir au roi ardent ; avec défi, il darda son regard haineux sur la face miroitante du portail et il hurla :
— Jamais !
Le visage du souverain s'effaça, Ozerel eut le temps d'entendre cette dernière phrase :
— Tu as fait ton choix, à toi de l'assumer.
Le malfaisant se détourna, il ne voulait penser qu'à la puissance qui courait en lui. Une pensée fulgura dans son esprit : "C'est elle qui se traînera à mes genoux !"
Sur le fleuve Ikryl - À bord de la galère rescapée
La force du vent et le courant rapide et puissant du fleuve, avaient permis au bateau d'avancer vite. L'arrivée en pays de Surilor s'était faite rapidement. Cependant, les plaques de glace présentes sur l'eau avaient donné un coup d'arrêt à sa progression. Pour briser les névés, Dokar avait envoyé plusieurs hommes à bord d'un canot. Le travail était ardu et le temps passait... Le jeune seigneur s'était dit : "Parviendrais-je à la porte avant l'inéluctable ?"
Une question dont il n'avait évidemment pas la réponse. Dans l'immédiat, il ne pouvait qu'attendre que la glace du fleuve soit brisée, tout en mettant ses inquiétudes de côté. Obro, à ses côtés, lui dit en regardant vers le nord :
— Je me demande ce qui se passe là-bas...
Il désigna à Dokar une lumière intense qui envahissait l'horizon alors que le soleil n'était pas encore levé.
Le seigneur d'Ikryl frissonna d'appréhension en se taisant. Il pensait : "Rien de bon."
Steppes du Surilor
Agrippée aux jambes de Kazaël, Ovaïa tentait d'oublier et surtout de ne pas regarder le paysage qui défilait sous leur singulier équipage.
Plus ils s'approchaient de leur but, plus la luminosité s'accentuait et plus la jeune femme appréhendait leur arrivée imminente près du pœcile.
Ovaïa ignorait toujours ce qu'elle allait pouvoir faire pour refermer ce portail qui menaçait d'anéantir les deux mondes, celui des hommes et celui des Éréalios.
Elle comprenait que son épée avait un rôle à jouer, mais lequel, et de quelle manière ? Suffirait-il de franchir le seuil des mondes l'arme à la main ? Elle doutait que ce soit aussi simple, même si elle l'espérait !
Soudain, elle sentit son porteur faiblir, il lui lança :
— Je dois prendre un peu de repos, Ma Reine.
Elle faillit protester, mais se retint à temps. Elle ne pouvait se permettre de laisser le diable aller au bout de ses forces de crainte qu'ils ne parviennent jamais à destination.
Ainsi la déposa-t-il avec douceur à côté de la rive du fleuve qui continuait, inexorablement, à couler en direction de l'océan polaire. Kazaël atterrit près d'elle.
Le regard de la jeune femme se focalisa sur le fleuve. Elle se demandait comment Jolo et Evalane s'en sortaient sur leur radeau. Elle était assez inquiète pour eux, car leur fragile esquif ne risquait-il pas de se briser sur les écueils imprévus du courant impétueux de l'Ikryl ?
Ovaïa soupira. En fait, elle aurait préféré qu'ils s'abstiennent de vouloir la suivre. Elle repoussa ses diverses inquiétudes, et demanda à l'Éréalios :
— Sommes-nous encore loin ?
— Une demi-heure, Majesté, guère plus.
Elle hocha la tête, et s'assit sur le sol. Après une hésitation, Kazaël fit de même. La jeune femme le regarda fugitivement, puis s'enquit brusquement :
— Comment vais-je devoir procéder ? Le sais-tu ?
Il fut franc et répondit :
— Pas exactement, Ma Reine.
Celle-ci fronça les sourcils, elle exigea :
— Dis-moi ce que tu sais !
Il la fixa de ses yeux sans pupilles uniformément noirs. Enfin, il répondit :
— Vous allez avoir besoin de la sphère du Nécromancien, en plus de l'épée aux sombres joyaux.
Surprise, elle avait presque oublié l'objet en question, récupéré sur la barge ; elle fouilla dans le sac de toile qu'elle portait toujours en bandoulière. La jeune femme en sortit la perle opaque dans laquelle apparaissaient des volutes de brume bleu-gris. Elle les contempla un moment puis dit :
— C'est un miracle de ne pas l'avoir perdu lors de notre naufrage.
Elle regarda de nouveau Kazaël, puis lui demanda encore :
— D'accord, et de quelle manière je dois l'utiliser ?
— Je ne le sais pas trop, Majesté. Tout ce dont je suis persuadé, c'est que le pouvoir du Nécromancien contenu dans cette sphère est indispensable, puisque c'est ce pouvoir qui a ouvert la porte. Je pense que d'une manière ou d'une autre, vous allez devoir vous l'approprier.
Dubitative, elle objecta :
— Comment ?
— Je l'ignore, mais je crois qu'au moment venu, vous saurez !
Elle contempla le diable, puis secoua la tête et la détourna avant de répliquer avec humeur :
— Me voilà bien avancée !
Elle glissa de nouveau la sphère dans son sac, puis fixa l'intense luminosité du portail, qui semblait si proche et si loin à la fois.
À ce moment-là, Ovaïa sut avec une absolue certitude que, du Surilor, elle ne reviendrait pas. Elle pensa à son bébé. Un intense chagrin la submergea. La jeune femme ne le laissa pas perdurer. Elle se leva brusquement et demanda à Kazaël :
— Pouvons-nous repartir ?
Il acquiesça. Quelques minutes plus tard, leur duo était reformé. L'un portant l'autre, ils se dirigeaient vers le pœcile. Ils ne devaient plus s'arrêter avant de l'avoir atteint.
Porte des Mondes
Ozerel était impatient à présent. Il avait hâte que l'héritière soit là. Il y avait aussi la possibilité que tous soient détruits avant son arrivée. Le général n'y croyait pas trop. Puis il voulait vraiment la combattre et l'anéantir. Sans réellement la connaître, il lui vouait une haine inextinguible. Il sortit son cimeterre de son fourreau. Celui-ci s'enflamma. Les lèvres rouge-sang du malfaisant s'étirèrent en un sourire cruel.
Un souvenir s'imposa à lui...
"Il venait d'arriver au palais ardent, dans le but d'entendre son père proclamer son élévation en tant qu'héritier. Il avait été surpris tout d'abord, car à côté du trône, se trouvait un berceau taillé dans de l'onyx et baigné de douces flammes.
Près du berceau se tenait Lésila, la seconde épouse de son père, autrement dit sa belle-mère. Le roi ardent s'était adressé à lui :
— Approche mon fils, viens te réjouir avec nous de la naissance de ta sœur.
— Ma sœur ? J'ignorais même que la matrice incandescente de ton épouse avait été sollicitée !
— À présent, tu le sais ; avance-toi pour saluer la princesse du trône de feu, approche plus près afin de découvrir celle qui un jour sera ta Reine !
Cela l'avait tétanisé, et il était resté muet, incapable de répondre quoi que ce soit..."
Ozerel sortit brusquement de cette réminiscence, lorsque le sol se mit à trembler de nouveau. Il chancela, un peu. Puis cela cessa. Son regard se porta vers le sud. Soudain, il vit une sorte d'oiseau approcher. Il plissa les yeux pour mieux l'apercevoir.
Il réalisa que ce n'était pas un oiseau, mais un être comme lui, un volant. Il remarqua également que quelqu'un était agrippé à ses jambes.
Le général diabolique n'eut pas le temps de revenir de sa surprise, ce duo singulier fut très vite près de lui. Le démon ailé déposa avec douceur la personne qu'il portait juste devant son nez.
Ozerel fixa ses yeux sur la jeune femme. Malgré son apparence humaine, il ne fut pas dupe. Il s'agissait de sa sœur, il s'agissait de l'héritière...
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