La porte du Surilor - 10 -
Jolo fut le premier à sauter sur la berge, puis il aida Evalane à faire de même. Ensuite il tira le radeau au sec et porta son regard sur le pœcile tout proche. Il remarqua deux créatures ailées. L'une était nimbée de flammes et incontestablement féminine. L'autre ressemblait à un malfaisant ordinaire.
Brièvement, il se demanda : "Où est donc Ovaïa ?" À peine s'était-il posé cette question qu'il comprit : l'être féminin éblouissant de feu était Ovaïa. Evalane qui en était arrivée à la même conclusion, s'exclama :
— Par tous les Dieux !
Maintenant, les jeunes gens hésitaient à s'approcher. Ils se consultèrent du regard. Ils hochèrent simultanément la tête et s'avancèrent sans réelle crainte vers les deux Éréalios !
Ozerel, fasciné contemplait la magnificence de sa sœur. Il mesurait instinctivement tout ce qui le séparait d'elle en matière de prestance et de noblesse. Il voyait le front royal couronné d'ignescence. Lui-même avait perdu cet attribut depuis bien longtemps.
Ovaïa, de façon instinctive, su ce qu'elle devait faire, elle leva la sphère devant son regard de flammes. L'objet vibra au diapason de l'épée aux sombres joyaux. Une silhouette fantomatique s'échappa de la perle opaque : l'esprit du nécromancien. Une sorte de hurlement sépulcral s'échappa de cette apparition éthérée.
L'intensité du cri diminua, le voile spirituel du Nécromancien se dissolvait. La perle quant à elle se désagrégeait. L'héritière sentit un nouveau pouvoir la parcourir. Elle venait de faire siennes les capacités du magicien noir, à présent détruit
Loin de calmer le général, cette scène auquel il avait assisté, accentua sa fureur. Sans réfléchir, Il se précipita vers sa sœur...
Ovaïa majestueusement s'envola. Elle contrôlait ce corps, ô combien différent du précédent, de façon naturelle.
Aucune indécision, ni maladresse ne l'entravaient alors qu'elle se lançait à l'encontre de son adversaire. Une force et une grâce subjuguante caractérisaient tous ses gestes.
Ozerel avait levé son cimeterre et s'apprêtait à l'abattre sur Ovaïa. Elle para l'attaque avec une fluidité et une facilité déconcertante.
Au contact de la lame de l'héritière, celle de l'autre duelliste s'enflamma et se consuma. Une pluie de cendres s'échappa des doigts d'Ozerel. Hébété, il recula.
Incrédule, le général secouait la tête avec colère. Calmement, elle le tenait en respect, l'épée incandescente pointée vers lui. Les mots qu'il fallait dire coulèrent d'elle :
— Soumets-toi, et je t'épargnerais, je plaiderais ta cause auprès de tes pairs...
Il l'envisagea, un bref instant. Puis le refus de cette situation le submergea, il hurla :
— Jamais !
Il se rua sur elle, cette fois à mains nues. Elle se déroba, il ne rencontra que le vide. L'héritière fut derrière lui. Impitoyable, elle leva l'épée d'onyx et trancha la première de ses ailes. Déséquilibré, il chuta lourdement à terre.
En planant, Ovaïa le rejoignit. Elle le toisa. Il était prostré sur le sol, le visage grimaçant, la tête baissée, le désespoir coulant de lui. L'héritière perçut tout ceci et lui proposa une seconde fois :
— Soumets-toi et je t'épargnerais.
Il leva sur elle des yeux furibonds, il cracha de nouveau :
— Jamais !
Ovaïa trancha la seconde de ses ailes... Il hurla... À cet instant, un violent séisme secoua la terre... Le portail palpitait de plus en plus vite, de plus en plus fort, il était sur le point d'exploser !
L'héritière leva les yeux sur le pœcile. Elle fut tétanisée par l'indécision. Soudain, une voix faible s'adressa à elle :
— Il est grand temps, Ma Reine...
Surprise, elle tourna la tête. Il s'agissait de Kazaël. Elle alla vers lui et s'étonna :
— Tu n'es donc pas mort ?
— Il ne s'en manque guère, Ma Reine. répondit-il avec effort.
Ses mains étaient crispées sur son torse ensanglanté. Il reprit très vite :
— Je vous en prie, Majesté, il faut fermer la porte à présent...
— Comment faire ?
— Vous venez de faire votre le pouvoir qui l'a ouverte, Je pense qu'il vous suffit de franchir le seuil.
— Tu peux te tromper...
— Je ne crois pas, Majesté...
Elle se troubla, avant de dire tristement :
— C'est un voyage sans retour qui m'attend, n'est-ce pas ?
— Oui, Ma Reine, mais c'est là votre destinée, embrassez-la.
Le sol trembla plus fort. Elle reporta son regard sur le portail. Puis avec détermination, s'apprêta à s'avancer vers lui, mais quelqu'un s'écria :
— Non Ovaïa, ne fais pas ça !
Elle fit volte-face et ses yeux se posèrent sur Jolo...
Une immense vague de chagrin la saisit, ainsi que cet amour né jour après jour durant son périple. Jusqu'ici, elle était parvenue à le maintenir loin d'elle. Ce n'était plus le cas. Elle lui dit :
— Je ne peux faire que ça, pour nous sauver tous...
Le jeune homme des marais nota la voix profonde et envoûtante de la jeune femme, il avait parfaitement compris ses paroles. Par contre, Evalane qui venait d'arriver, s'exclama :
— Mais que dit-elle ?
Jolo répondit :
— Qu'elle est contrainte de traverser la porte...
— Tu parviens à appréhender ce langage ?
— Oui, et j'ignore comment...
— Cela parait impossible !
Il secoua la tête, montrant ainsi qu'il n'en savait pas plus qu'elle. Il s'adressa encore à l'héritière :
— Réfléchis, il y a sans doute une autre solution.
— J'ai bien peur que non.
Elle se rapprocha de lui, avant d'ajouter :
— Prends soin de mon fils.
— Et qui prendra soin de toi ? Ovaïa je...
Il hésita. Elle sourit puis dit :
— Je t'aime aussi.
Enfin, elle se détourna, s'approcha de Kazaël et sans hésiter, le souleva dans ses bras. Il commença à protester :
— Majesté ? Que faites-vous ?
Elle répondit :
— Je crois que tu préféreras mourir en ton pays.
L'Éréalios en fut envahi d'émotion. D'un puissant battement d'ailes, l'héritière s'envola vers la porte, aucun doute ne l'habitait. Quand Ovaïa passa la surface miroitante et aveuglante du pœcile, elle avait les yeux fermés...
Une puissante vague d'énergie suivit. Elle se propagea en un cercle concentrique dans toutes les directions. Jolo et Evalane n'eurent pas le temps de l'éviter, ils furent submergés. Ensuite, le temps suspendit son vol, avant que la vague ne revienne vers la porte. Quand elle l'atteignit, une luminosité silencieuse et éblouissante suivit et cessa simultanément.
Un calme total s'instaura... Le pœcile avait disparu. Le gouffre n'existait plus. De l'ancienne cité de Kixorlig ne demeuraient que quelques murs écroulés. Le froid était intense. Le soleil brillait dans un ciel cristallin.
Jolo et Evalane qui s'étaient instinctivement jetés à terre, se relevèrent. Ils étaient quelque peu titubants et surpris d'être encore vivants, ils frissonnèrent.
Non loin d'eux, quelqu'un d'autre se relevait péniblement. C'était Ozerel qui pivotait vers les jeunes gens, ils s'écrièrent ensemble :
— Par les Dieux.
Le Général s'exclama :
— Quoi ?
Jolo et Evalane, ébahis, le fixaient. Ils l'avaient parfaitement compris. Tour à tour, les jeunes gens fixaient le visage à la peau cuivrée, les cheveux bruns et rares qui ornaient son crâne, les yeux sombres... Ozerel, général en chef des armées rebelles de l'ardent pays, était devenu humain...
Et la galère de Dokar arriva et accosta sur les berges du fleuve...
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