La contrée Ardente - 1 -
"Notre Reine entra dans le palais incandescent, magnifique et majestueuse, tous les Éréalios ployèrent le genou devant elle, et son père, rempli de joie et d'amour s'apprêta à l'accueillir.
Les épreuves se terminaient enfin pour la contrée ardente ..."
Page GO. MD. 1 des parchemins du Kazaël, conteur en la cour d'Éréale
Ovaïa, en traversant le pœcile en expansion, avait ressenti un picotement dans tout le corps, puis l'impression de se scinder en deux, suivie presque immédiatement d'une sensation de bien-être inouï.
Elle avait ouvert les yeux et un spectacle fabuleux s'offrit à son regard : Sous une voûte pourpre, parcourue d'Arcus d'or et de ténèbres, s'étendait une cité de basalte au milieu de laquelle coulait un fleuve de magma.
Ovaïa déposa Kazaël sur le sol de braise, puis lui demanda :
— Comment te sens-tu ?
Il se redressa avant d'assurer :
— Mieux, Majesté.
Il parvint à se remettre debout et inspira profondément l'air brûlant de son pays. Il dit ensuite :
— Rien ne vaut les effluves de braise de cette contrée, pour guérir un Éréalios.
Soudain il désigna la cité en disant :
— Voyez Ma Reine, la cité royale et le palais incandescent. Vous y êtes attendue. Souffrez que je vous y conduise.
Elle n'hésita pas vraiment à accepter. Il la devança et la guida, ils empruntèrent une large voie de pavés brûlants.
Sur le chemin menant à la ville, bientôt elle ne chemina plus seule. Un, puis deux et enfin plusieurs dizaines d'Éréalios l'escortèrent. Ils s'inclinaient respectueusement sur son passage, poussaient des cris de joie et d'allégresse, jetaient sur elle des pluies de petites flammèches qui venaient caresser son visage avec douceur et chaleur.
Elle se surprenait à accepter ces hommages naturellement.
Kazaël, qui allait décidément de mieux en mieux, veillait à ce que sa reine ne soit pas trop approchée.
Quelques mères n'hésitèrent pas cependant à braver la vigilance de l'accompagnant d'Ovaïa, pour s'approcher d'elle et lui présenter, leurs enfants en sollicitant :
— Divine Majesté, bénissez mon enfant !
Ou encore :
— Voyez Ma Souveraine, vous avez sauvé mon premier-né, je vous le consacrerai pour qu'il vous serve dans le futur !
Et aussi :
— Bien-aimée Majesté, ma fille portera votre nom consacré : Ovaïa
Elle ne s'agaçait pas de ces démonstrations de respect et d'amour aussi. Elle posait ses lèvres sur les fronts chauds des diablotins, remerciait leurs mères, mais pensait aussi à son fils qu'elle avait laissé, dans l'autre monde. Cela l'attrista.
Cependant, elle entra dans la cité. Là l'attendaient d'autres manifestations de liesse. D'autres pluies incandescentes qui ruisselaient sur elle, d'autres mères qui demandaient des bénédictions.
Enfin elle arriva devant les portes du palais. Elles étaient gardées par d'impressionnants guerriers. Ils s'inclinèrent devant l'héritière. Elle passa, sans problème, le seuil de la résidence royale.
Comme dans son dernier rêve, Ovaïa avançait dans une salle crépitante au milieu de créatures de flammes, toutes pourvues d'ailes et qui s'inclinaient sur son passage. Elles s'écartaient aussi pour libérer le chemin menant jusqu'au trône de basalte sombre.
Aucune crainte en elle, seulement la conscience aiguë d'être à sa place. Elle était fière et heureuse.
Elle fixait le maître de céans qui, empli d'une majesté rayonnante, l'attendait. Ovaïa fut face à lui et elle l'entendit s'exclamer, non sans émotion :
— Ma chère enfant, comme tu es belle et puissante !
Elle marqua un temps d'arrêt, leva sa main devant ses yeux et contempla ses doigts cerclés de flammes. L'enchantement la saisit. Oui, elle se sentait forte et séduisante ! Elle s'approcha plus près encore du souverain de l'ardente contrée.
Kazaël, quant à lui, resta en arrière et se prosterna...
L'héritière stoppa et commença à mettre un genou en terre afin de rendre hommage à son père, car il l'était, elle le savait, le sentait. Le souverain l'arrêta d'un geste en s'exclamant :
— Non, chère fille, ce n'est pas à toi de t'incliner !
Sous son regard consterné, le Monarque enflammé quitta son trône et se courba devant Ovaïa.
Cette dernière n'hésita pas à se précipiter vers lui pour le relever en déclarant :
— Je vous en prie Père, ne faites pas cela.
Empli de joie, le souverain s'exclama :
— Ainsi tu m'as reconnu.
— Oui, mais je ne comprends toujours pas comment c'est possible !
Le roi Ardent admit :
— Cela mérite quelques explications, en effet.
Il retourna s'asseoir sur le trône, avant d'ordonner :
— Que l'on apporte un siège à son Altesse !
Cela fut fait. Elle prit place près de lui.
Le souverain reprit :
— Tout commença le jour de ta naissance...
Bien des années plus tôt - Contrée Ardente
Avec douceur, le souverain souleva l'enfant, avant de la contempler. Alors qu'elle venait à peine de naître, son front arborait déjà les attributs royaux. Il proclamait de façon irréfutable sa légitimité de première héritière. Ainsi supplantait-elle son frère aîné Ozerel.
Le roi alla regarder Lésilia, sa douce compagne. Encore étendue sur la couche de braise, c'est là qu'avait eu lieu la naissance, elle paraissait heureuse mais inquiète.
Il s'était approché d'elle. Il lui avait demandé :
— Que se passe-t-il, mon adorée ? N'es-tu pas fière de notre princesse ?
— Je le suis mon roi, cependant que va dire votre fils ? Il risque de se sentir spolié et de mal réagir !
— Ozerel est ombrageux, mais il comprendra. Il verra combien la couronne de sa sœur est plus forte et plus brillante que la sienne, il réalisera que les dieux de notre contrée ont désigné notre princesse, il s'inclinera et se soumettra.
Lésilia n'avait pas protesté, mais elle était loin d'être aussi optimiste que son royal époux.
Celui-ci avait déposé la princesse dans le berceau d'Onyx, puis il s'était saisi du talisman royal. Il s'était enflammé à son contact, il l'avait déposé près de la nouvelle-née ; la lame aux sombres joyaux avait palpité immédiatement, la preuve ultime était faite, Ovaïa serait un jour Reine du pays incandescent...
Le souverain avait convoqué tous les nobles du royaume, et aussi rappelé Ozerel son fils, prince-guerrier et Général en chef des armées du royaume. Tous étaient rassemblés dans la salle du trône. Ozerel arriva bon dernier. Il arborait un air altier et fier, son regard brillait, il était triomphant ! Son front ceint de flammes, proclamait son statut, tous voyaient qu'il appartenait à la famille royale.
Le souverain comprit alors ses espérances. Il allait devoir les refroidir. Le Général s'était avancé, son regard surpris en direction du berceau d'Onyx, n'avait pas échappé au roi qui s'était adressé à Ozerel ainsi :
— Approche mon fils, viens te réjouir avec nous de la naissance de ta sœur.
— Ma sœur ? J'ignorais même que la matrice incandescente de ton épouse avait été sollicitée...
— À présent, tu le sais ; avance-toi pour saluer la princesse du trône de basalte, approche plus près afin d'admirer celle qui sera un jour ta reine.
Ozerel s'était immobilisé immédiatement, il n'avait pas parlé, mais ses traits s'étaient durcis. Le souverain avait alors réalisé que son fils ainé ne comprendrait pas. Dès cet instant-là, ils étaient devenus ennemis.
Le prince-guerrier s'était avancé plus près, jusqu'à toucher le berceau, il avait à peine jeté un œil à l'enfant. Enfin, il était parvenu à dire :
— Comme c'est inattendu.
Sa voix était coupante, emplie de colère contenue. Soudain, il avait explosé :
— Père, comment as-tu pu permettre une telle hérésie ? La proclamer héritière du trône qui me revient de droit, alors que sa mère, roturière, n'a même pas d'ailes ? Une bâtarde à la tête du royaume ardent, cela ne sera pas, tant que je serai vivant !
Là, il avait dégainé son cimeterre, si vite que personne n'avait pu pressentir son geste. Il l'avait abattu sur la princesse, mais Lésilia, plus vive s'était emparé du bébé, tout en lui faisant un rempart de son corps. C'est elle qui avait reçu le coup mortel..."
Bien des années plus tard - Contrée ardente
Le Roi ardent avait fait une pause. Ce souvenir lui était si lourd à porter. Ovaïa avait deviné son chagrin et elle le faisait sien. Elle murmura :
— Ma mère est morte pour me protéger ?
— Oui, chère fille. Elle l'a fait sans hésiter, car elle t'aimait plus que tout, ne te sens pas coupable. S'il est bien un responsable, c'est moi, puisque je n'ai rien vu, et je n'ai pas tenu compte des avertissements de mon adorée...
Ovaïa hocha la tête, avant de demander :
— Que s'est-il passé ensuite ?
Ainsi, le souverain, poursuivit-il sa narration...
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