La Contrée Ardente - 3 -
Monde Ardent - Palais royal - Salle des dimensions
Debout devant la psyché oblongue, le père et la fille contemplaient l'image que renvoyait le miroir. L'héritière avait encore du mal à le croire, mais la jeune femme que Jolo aidait à se relever, c'était bien elle... Ou plutôt non... En fait, elle ne savait plus...
C'était une impression tellement insolite et dérangeante aussi. Elle pensa à son bébé, qui n'était pas vraiment son bébé et aussi à Jolo. Au moins, l'amour qu'elle ressentait à son égard lui appartenait. Le roi ardent lui dit :
— N'aie point de chagrin. Peu à peu, ce qui t'attachait à la terre des hommes se déliera, et tu pourras embrasser pleinement ta destinée.
Soudain il chancela, elle s'empressa de le soutenir et de le faire asseoir sur un siège proche de là. Elle demanda ensuite :
— Que vous arrive-t-il, père ?
L'héritière était inquiète. Avec effort, il répondit :
— Je subis les conséquences de plusieurs années de troubles en ce pays. Par ailleurs, j'ai beaucoup donné de mon énergie pour maintenir l'équilibre du portail que le nécromancien avait ouvert...
Il ferma les yeux, puis demanda :
— Veux-tu que je continue mon récit ?
Elle acquiesça. Le roi ardent reprit sa narration...
Bien des années plus tôt
Le roi ardent contemplait le mage. Il lui demanda :
— Vas-tu m'aider ?
— Tu es mon roi, et je t'obéis, mais ce que tu demandes n'est pas sans risque. Par ailleurs, cela demande d'être sur place, agir d'ici n'est pas possible.
Il ajouta :
— D'autre part, je vais avoir besoin du talisman royal ; il est important que, durant toute la période où ta fille sera couplée à l'humaine, l'épée aux sombres joyaux ne soit pas très loin d'elle. Bien évidemment, je veillerai à te fabriquer un leurre pour que tes sujets ne te voient pas sans cet attribut.
— Tout ce que tu voudras, l'important c'est de mettre la princesse à l'abri.
Le mage passa sa main devant le miroir ; l'image changea. À présent, la psyché montrait une salle d'armes. Le seigneur d'Eraland combattait avec un de ses hommes, il maniait habilement une magnifique épée, ornée d'Onyx. Le roi qui s'était avancé dit alors :
— Eh bien, nous avons trouvé le vaisseau du talisman aux sombres joyaux...
Bien des années plus tard
Le souverain se tut. Ovaïa voyait à quel point il était épuisé. Cependant, son père reprit :
— J'ai laissé le mage t'emmener loin de moi, et ce fut un déchirement. Ce sacrifice était nécessaire. Il n'est pas parti seul, Kurior l'accompagnait, car il voyage entre les dimensions sans contrainte, il joue aussi avec tous les éléments de l'univers.
Tristement, l'héritière objecta :
— Mais il n'est plus à présent.
— Oh... C'est vrai... J'avais presque oublié !
Il prit sa main dans la sienne, ferma les yeux et récita une sorte d'incantation. Des volutes orangées émanèrent de l'héritière. Elles se rassemblèrent près d'elle et commencèrent à prendre forme. Lentement, le chercheur d'eau réapparut aux yeux d'Ovaïa...
Il s'approcha ensuite de l'héritière et se coucha à ses pieds. Elle s'étonna :
— Il n'était donc pas mort ?
— Bien sûr que non, il s'est seulement transformé, afin de continuer à te servir.
Il prit une profonde inspiration, avant de poursuivre.
— Peu après ton départ pour le monde des humains, Ozerel a fomenté des troubles dans toute la contrée. Il est parvenu à conquérir une bonne partie du pays ardent. Il a même réussi à assiéger le palais. Durant des années, il a essayé de briser ses défenses. Sans réel succès. Puis, j'ai commencé à renverser la situation à mon avantage, hélas il avait plus d'un tour dans son sac. Avec l'aide du nécromancien, il est parvenu à capturer le mage de la famille. Il l'a fait torturer. Ainsi ton frère est parvenu à savoir où tu étais cachée.
Le nécromancien a fait en sorte, avant de tuer le mage, de s'approprier ses pouvoirs. Néanmoins, cela ne suffisait pour se rendre dans la dimension où tu te trouvais. Pour y parvenir sans un miroir, il devait faire en sorte que quelqu'un ouvre une porte de l'autre côté du pays ardent. Là aussi, le nécromancien avait une solution. Il est parvenu à prendre contact d'ici avec plusieurs esprits faibles, dont Rovor. En fait, tous les Éréalios en sont capables, mais cela est interdit.
La suite, tu peux la deviner. Il a attiré celui qui était devenu ton époux en pays de Surilor, et il a fait en sorte de l'influencer pour que le mage qui l'accompagnait ouvre un pœcile. Rovor n'a réalisé son erreur que trop tard. Avant qu'il ne puisse prévenir quiconque, le nécromancien l'a investi... Par la même, il a fait sa première erreur, il s'est retrouvé prisonnier d'un corps qui dès le départ lui a résisté.
Cela ne l'a pas empêché de mettre en place le sortilège qui a assombri le monde des hommes. Puis Ozerel, entraînant avec lui le tiers de l'armée royale, a débuté ses conquêtes. Il s'est empressé d'envoyer tout un bataillon en Eraland. Tu as réussi à t'enfuir et ta quête a débuté...
— Ma quête ou celle de l'autre Ovaïa ?
— Elle vous était commune à cette époque. Sans ta présence, elle n'aurait pas survécu et son bébé non plus.
— Sans moi, Eraland n'aurait pas été dévastée !
Un profond chagrin la saisit. Elle murmura :
— Tellement de morts et de destructions, juste pour me sauver moi !
— Pour sauver le pays ardent. Pour sauver la lignée gardienne des dimensions. Que crois-tu qu'Ozerel aurait fait s'il était devenu roi ? Son ambition l'aurait poussé à conquérir tous les Univers. Ce n'est pas un hasard si tu fus choisie en tant qu'héritière.
Ovaïa comprenait les arguments du roi ardent, mais cela n'y changeait rien, son chagrin demeurait.
Elle regarda autour d'elle, c'était ici, dans cet endroit que tout s'était décidé. Son regard de flammes se promenait sur les faces miroitantes des fenêtres dimensionnelles. Ses responsabilités l'accablèrent de brefs instants. Cela cessa, un nouveau courage l'envahissait. Elle pivota vers le souverain. Le Kurior s'était couché aux pieds de son noble père, il posa sa tête massive sur ses genoux. Ovaïa remarqua à cet instant que la couronne de flammes du monarque faiblissait.
Elle s'avança et demanda :
— Que vous arrive-t-il ?
Il posa un regard presque éteint sur elle et il lui répondit :
— Je me meurs mon enfant... Il est grand temps à présent, aide-moi à rejoindre la salle palpitante, tous attendent, depuis trop de temps déjà, leur nouvelle souveraine.
Elle faillit protester, mais se tut. Ainsi l'une soutenant l'autre, et le Kurior dans leur sillage, ils quittèrent la salle des dimensions.
Quand le père et la fille furent revenus, les nobles Éréalios portèrent leur attention sur eux. Le roi dit à sa princesse :
— Aide-moi à m'asseoir.
Il désigna, non le trône, mais le siège apporté pour Ovaïa plus tôt. Celle-ci obéit. Elle restait debout. Son père lui désigna le trône de basalte :
— À toi, maintenant.
Elle n'hésita pas vraiment. Avec grâce et majesté, elle s'installa. Son père, satisfait, se releva. Aussitôt, il posa un genou en terre, prit sa main, l'embrassa, puis se releva et tonna :
— Vive Ovaïa Première, souveraine incontestée de l'Ardente contrée. Que son règne soit long et prospère.
Tous les nobles assemblés reprirent la formule. Le père de la nouvelle reine s'agenouilla de nouveau. Il courba la tête et sa couronne s'éteignit. Il releva les yeux sur la souveraine, lui sourit, puis se changea progressivement en brume. Elle enveloppa sa fille, avant de disparaître. Ovaïa n'eut pas le temps d'être triste, les acclamations à son endroit se poursuivaient. Fièrement, elle redressa les épaules, darda sur les Éréalios son regard de flammes et sourit... De toute sa vie, elle ne s'était jamais sentie autant à sa place.
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