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Yo les filles !

Cet épisode fait partie de mes préférés mais bon, il a été dur à écrire xD J'ai peur que les descriptions soient trop lourdes et/ ou s'enchaînent mal... Vous me direz !

Cornélia recula d’un geste brusque, marcha sur ses cheveux et s’étala par terre.

– On n’est pas en train de s’accoupler !

Iroël la dévisagea.

– Quoi ?

– Je parlais à Oupyre, grogna-t-elle, les joues en feu.

Elle rassembla soigneusement sa chevelure pour s’en couvrir. En la voyant faire, le jeune homme sourit doucement et détourna les yeux. Il retira sa chemise.

– Tiens.

– Oh, non, je vais… J-je vais peut-être remettre mon masque…

Au nom du Ciel, pourquoi bredouillait-elle comme une pauvre idiote ? Elle avait perdu l’habitude d’être humaine, de se sentir si exposée et si laide sous le regard de l’autre. Elle était comme un bernard-l’hermite : la tzitzimitl était sa coquille réconfortante.

– Non, dit Iroël avec fermeté. Pas ici. Les humains sont les seuls autorisés. Mon maître va te tuer s’il voit une tzitzimitl chez lui…. pour lui, tu es une démone. Je vais te trouver des habits mieux après.

Impérieux, il lui tendit sa chemise et se releva souplement pour lui laisser un peu d’intimité. Cornélia l’observa du coin de l’œil en enfilant l’habit. La nuque rasée du jeune homme dévoilait ses épaules solides ; dans son dos, les longues cicatrices rosâtres tranchaient sur la teinte dorée de sa peau. Pourquoi ce crétin était-il obligé de se montrer si chevaleresque ? Et bon sang, pourquoi était-il si beau ? Pas étonnant que cette pauvre Blanche soit tombée amoureuse de lui.

C’est un imbécile idéaliste et à côté de la plaque, à cause duquel vous vous êtes retrouvées ici, songea-t-elle. Ne te fais pas avoir toi aussi.

– Donne-moi le masque, lui demanda-t-il alors qu’elle prenait soin de fermer les boutons jusqu’au cou. Il faut pas le montrer.

Cornélia obéit à contrecœur. Elle se sentit très vulnérable en voyant l’objet disparaître dans la poche de son pantalon treillis.

– Viens, on va voir Sobroniel. (Il se tourna vers Oupyre.) Toi aussi.

– Sobroniel, c’est ton maître, dit Cornélia sans bouger.

– Oui.

Il lui fit signe, mais elle resta immobile.

– C’est un archange.

En disant cela, elle toucha un bleu sur sa joue. Iroël s’en rendit compte. Il dit avec douceur :

– C’est le Créateur. Il est pas comme eux. Il est pas un archange guerrier.

Il sourit en désignant les emballages qui traînaient par terre :

– Et il a du bon chocolat.

Les joues de Cornélia brûlèrent de honte. Sans lui faire le moindre reproche, Iroël lui tendit une main.

– On va lui demander d’aider. Tu viens ?

Elle marmonna quelques mots dans sa barbe et accepta sa main.

Ils traversèrent un autre couloir, pareillement encombré de matériaux et de nourriture. Si Cornélia avait porté son masque, elle aurait commencé à entendre des bruits de pas et des voix au travers des murs. Mais en comparaison de la tzitzimitl, elle était sourde comme un pot. Elle entendit tout cela seulement lorsqu’ils entrèrent dans la pièce.

Presque tous les murs de l'étage avaient été cassés pour créer une très grande salle. Et, dispersés dans tout l’espace, de nombreux humains parlaient et travaillaient. Cornélia se figea, stupéfaite par leur présence. Elle se crispa et voulut faire demi-tour, mais la main d’Iroël se referma sur la sienne. Il la poussa à avancer. Elle ploya les épaules et tenta de disparaître dans sa masse de cheveux, de se rendre invisible ; la chemise lui tombait à peine en-dessous des fesses, dévoilant tout de ses jambes maigres et poilues, des plaies qui lui marbraient la peau. Mais malgré la honte, elle se rendit vite compte que personne ne la regardait. Tous étaient bien trop concentrés sur leurs ouvrages.

Il y avait là une bonne quinzaine d’hommes et des femmes, de tous les âges, de toutes les corpulences ; cela lui parut étrange de les voir vêtus si normalement, comme s'ils venaient de son monde, et non torse nu avec des pantalons militaires comme les soldats d'Aegeus. Qui étaient tous ces gens ? Que faisaient-ils ici, chez les archanges – autrement dit, en enfer ?

Chacun d’eux semblait disposer de son espace réservé, avec des établis et du matériel. Alors Cornélia comprit. C’étaient ces fameux apprentis... Ceux de Sobroniel, l’archange créateur.

Cette gigantesque salle était un atelier.

Quelque chose lui toucha la cheville et, en baissant les yeux, elle se rendit compte que la pièce foisonnait de plantes étranges qui poussaient directement du plancher. Après un temps d'arrêt, elle comprit qu'il s'agissait de chocolat. Elle cilla plusieurs fois, ébahie : toute la salle était emplie de rosiers, de fushias, de strelitzias aux fleurs multicolores, qui n'étaient autres que du chocolat teinté, aussi fin et délicat qu’une œuvre d’art. Iroël sourit devant son expression. Il désigna une adolescente, dans un coin, qui avait son établi surchargé de blocs de chocolat. Armée d’un poinçon, elle sculptait la tête d’un grand oiseau aux plumes enflammées. Un phénix ?

– Elle aime beaucoup les plantes, expliqua-t-il. Mais Sobroniel lui a dit de changer. Il en a marre. Ça pousse partout, ça prend de la place.

C’était donc à elle que Cornélia avait volé trois tablettes sans le vouloir… Un petit animal lui coupa soudain la route et fila entre ses jambes, dans une cavalcade bruyante. On aurait dit… un tout petit triceratops. Quand deux autres dinosaures suivirent – un ankylosaure et une sorte de raptor à plumes –, elle se rendit compte qu’ils étaient tous sculptés dans la pierre. Le triceratops d’un noir brillant devait être fait de marbre ou d’obsidienne ; les autres, plus grossiers, lui évoquaient du grès. Et pourtant, ils bougeaient, couraient et poussaient même de petits rugissements rocailleux. Oupyre les prit en chasse en sautant partout comme une puce et la course-poursuite fit tomber plusieurs feuilles en chocolat. Ils dérangèrent un chat en fer forgé, qui jaillit d’un buisson de roses en feulant avec colère.

Émerveillée, Cornélia oublia totalement sa position peu enviable. Elle chercha avidement de quels ateliers provenaient le chat et les dinosaures, et finit par les trouver. Tout au fond de la pièce, un homme doté d'un solide embonpoint faisait jaillir des étincelles et des arcs électriques en soudant ce qui ressemblait au squelette d’un cheval. La sculpture inachevée était déjà bien plus haute que lui ; les flashs lumineux nimbaient ses côtes d’acier et faisaient luire la visière de protection du soudeur. À quelques mètres, une vieille femme taillait un bloc de pierre à petits coups de burin qui résonnaient dans toute la salle. Des éclats blancs jonchaient le sol autour d’elle ; ses vêtements étaient poudrés d'une poussière semblable à du sucre glace.

Un peu plus loin, Cornélia croisa le regard d’un jeune garçon assis sur un haut tabouret. Il fronça les sourcils en détaillant cette fille échevelée et à moitié à poil ; mais il avait dû en voir d'autres, car il se contenta de hausser les épaules en retournant à son travail. Et quel travail !

Un grand mannequin de couture lui faisait face, sur lequel était drapé un incroyable habit. Cela avait l'ampleur et la fluidité d'une robe, avec un drapé aristocratique qui rappelait une toge, surmonté d'épaulières dorées en forme de gueules de dragon. Le tissu coulait jusqu'au sol, fait d'une soie blanche et vaporeuse qui scintillait comme la neige. Et le jeune couturier penché sur elle, une grimace concentrée sur le visage et une aiguille à la main, était lui-même vêtu d’une robe longue. Celle-ci était faite d’un velours noir rehaussé de broderies, la taille cintrée par un serpent de métal. Cornélia ouvrit grand la bouche en le voyant bouger. La ceinture était vivante. Elle rampait sans fin sur la taille du couturier, ses écailles luisant comme du vif-argent. Et sur le tissu de la robe, toutes les broderies se mouvaient également. Des oiseaux battaient des ailes, des lézards couraient le long de son dos dans le plus grand silence. Des nuages glissaient sur la ligne de ses épaules.

– Tous ces gens… murmura Cornélia. Ils sont comme toi. Ils font de la magie.

Iroël parut gêné. Mais alors qu’il ouvrait la bouche, quelqu’un d’autre répondit à sa place :

– Il ne s’agit pas de magie. On appelle cela du talent.

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