Prologue suite

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Yooo !

Bon, je ne sais pas si la fin est 100% compréhensible, vous me direz ce que vous en avez compris xD

****

La vouivre était piégée. Et lorsque dix hommes s’extirpèrent des ombres de la forêt et vinrent l’encercler, elle se sentit vulnérable, pour la première fois depuis très longtemps. Elle les entendit se congratuler, échanger des tapes et des poignées de main alors qu’elle suffoquait, face contre le sol, affaiblie par le poids du plomb. Ce n’étaient pas les paysans stupides auxquels elle était habituée. Non, ceux-là étaient des soldats, et des mercenaires aguerris qui connaissaient les nivées. L’un d’eux s’approcha.

Vaya, ¿ que tenemos aquí ? Estás atrapado, ¿eh?

Qu’avons-nous là ? Tu es coincé, hein ?

C’était une langue chantante qui roulait fort les r. Pas de l’occitan, mais assez proche pour que la vouivre puisse en saisir les grandes lignes. L’homme se pencha sur elle. Ce devait être le chef de la bande ; il était trapu et empâté, brun comme un ours. Et il portait un plastron d’apparat tel que la vouivre n’en avait jamais vu, en acier martelé relevé d’enluminures. Un signe de noblesse risible dans cette forêt où ne vivaient que des gueux. La vouivre se débattit lorsqu’il lui saisit les cheveux de sa grosse main, à travers les mailles, et lui releva la tête de force.

Quel talent d’imitation, comprit-elle de son charabia. Ces créatures sont incroyables.

– Un talent limité, rétorqua un des soldats. Il n’a même pas de poils. Et ni nombril, ni mamelons ! Ça crève les yeux que c’est un faux.

Cherchez son escarboucle, ordonna le chef. Elle ne doit pas être loin, cachée sous une pierre au fond de l’eau. Trouvez-la. Allez !

Il avait une voix rude et sonore, habituée à donner des ordres. Une voix détestable. La vouivre tenta de le mordre. S’ils trouvaient son orbe, ç’en serait fini d'elle. Les humains étaient des animaux avides, incapables de résister à l'appel de cette pierre magique. Ils lui voleraient son orbe et la laisseraient pour morte, piégée à jamais dans ce corps humain qui n’était pas le sien. Elle se débattit de plus belle en les entendant fouiller l'eau et retourner les cailloux. L’homme la lâcha. Agacé par ses contorsions, il la frappa en plein visage avec sa botte ferrée. La vouivre se recroquevilla, le nez brisé. Une tache écarlate s’étendit dans la neige.

Je l’ai ! lança une voix.

La vouivre ferma les paupières. Tout espoir la quitta. Elle entendit l’humain victorieux sortir de l’eau dans de grandes éclaboussures sonores, et l’imagina brandir l'orbe à bout de bras…

Bien. Donnez-lui. Toi, là ! Donne-lui son escarboucle.

Stupéfaite, la créature rouvrit les yeux. L’un des soldats, désigné de force, s’approcha d'elle en tremblant. Dans sa paume brillait la pierre ronde, taillée en mille facettes. Elle était d’une teinte flamboyante comme le feu, délicate et diaprée comme un diamant. Le soldat la fit rouler entre les mailles du filet et recula vite, de peur que la créature ne lui arrache la main. D’un geste lent, celle-ci saisit son précieux orbe. Elle tenta de comprendre la logique de cette manœuvre. Que cherchaient-ils ? Qu'attendaient-ils d'elle ? Ils auraient pu la tuer si facilement sous forme humaine.

L’appel de la métamorphose fut le plus fort. Elle toucha son front avec l’orbe ; son crâne se creusa pour accueillir la pierre. Celle-ci vint se loger au-dessus de ses sourcils, incrustée dans sa peau comme un grand bijou rond. Et son pouvoir déferla dans les veines de la vouivre.

Un instant plus tard, ce n’était plus un homme nu de deux mètres de haut, mais une vouivre bien plus grande encore, empêtrée dans ce filet trop lourd. Le chef des mercenaires s’approcha d’elle sans crainte. Il contempla ses plumes et ses écailles, irisées comme des fragments d’opale blanche ; ses nageoires translucides ; son long corps souple de serpent ; et bien sûr ces ailes de chauve-souris aux mille reflets. Un sifflement approbateur lui échappa.

Un serpent à plumesIncroyable. Les Français disaient vrai.

La créature gronda sourdement, dardant vers lui ses crocs de dragon.

– Vous pensez qu’il tiendra le temps du voyage ? osa demander l’un des soldats.

Il a intérêt. C’est le dernier de sa race… S’il meurt, notre plan tombe à l’eau.

La vouivre cessa de gronder. Le dernier. Elle avait du mal à appréhender cette idée. Les vouivres comptaient parmi les créatures les plus solitaires du monde. Elles étaient la fois mâles et femelles ; elles vivaient seules, se reproduisaient seules, vieillissaient seules. Mouraient seules.

Le dernier.

Ne restait-il donc qu’une vouivre ? Une seule, dans le pays entier ?

Nous le mettrons à fond de cale, dit le chef en armure. Il risque de se dessécher. Il faudra le doucher avec des seaux d’eau douce pour le maintenir en vie et lui donner un matelot à manger de temps en temps. (Son regard d'obsidienne effleura le cadavre de la paysanne.) Emportez la fille. Elle servira d’encas jusqu’au navire.

Bien, seigneur Cortés.

C’est un trait de génie que tu as eu, Hernán, commenta un homme de son âge, derrière lui. Cette créature est tout à fait semblable à l'incarnation de Quetzalcóatl. Ces stupides Aztèques seront forcés d’y croire.

– Dieu vous entende, Francisco, répondit le chef. Dieu vous entende. Il est plus que temps qu'ils s'avouent vaincus.

Du pied, il poussa le bout d’une des nageoires de la vouivre.

Espérons qu’en voyant leur dieu soumis à la grande Espagne, ils courberont la nuque devant nous.

Il se retourna vers la meute de soldats.

Resserrez le filet, emballez-le dedans. Puis arrachez-lui son escarboucle. Il sera plus facile à transporter sous forme humaine.

– Bien, seigneur Cortés !

Ainsi commença le calvaire de la dernière vouivre.

Ce jour-là, elle quitta ses lacs et ses chères montagnes à jamais ; et si elle l’avait su, elle se serait sans doute étranglée dans les mailles du filet, pour ne pas avoir à vivre ce qu’il adviendrait par la suite.

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