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– A… A… Aaron ?

– C… C… Cornélia ? singea l’interpellé.

Elle avait mis une seconde à reconnaître cet homme de vingt-cinq ans, de petite taille, le torse nu et les muscles ciselés. Pourtant c’était lui. Il avait la mâchoire sculptée par une barbe sombre, les cheveux hirsutes et désordonnés ; la ceinture chargée de plusieurs couteaux ainsi qu’un Sig Sauer au canon épais.

– Vous avez pas l’air cons, tous les deux, à poil dans vos cages. C’est quoi ici, un club de strip-tease ?

Son air maussade, lui, n’avait pas changé. C’était toujours celui d’un adolescent levé du mauvais pied. Beyaz s’appuya contre ses barreaux.

– Par où t’es rentré ? Comment tu nous as trouvés ? C’est Aegeus qui t’envoie ?

Aaron désigna Cornélia.

– J’suis rentré par là où elle est sortie la dernière fois. C’est Iroël qui m’a guidé. (Il sourit avec morgue.) Et oui, c’est Aegeus qui m’envoie. Vous pensiez vous la couler douce encore longtemps ? Le strip-tease, c’est bien, mais vous êtes pas payés pour ça à la base.

Cornélia eut envie de mordre les barreaux de fer, à défaut de pouvoir s’attaquer à Aegeus.

– Je suis pas payée tout court, moi ! Il aurait pas pu nous libérer avant, non ? Ou au moins nous prévenir de son plan foireux ?

– T’as volé les clés à Orion ? intervint Beyaz.

Aaron leva les yeux au ciel.

– Ça risque pas. J’ai pas d’ailes, ducon. Ce salaud est toujours en l’air, sauf quand il vient vous voir.

– T’as une pince à métaux, au moins ?

– Bah oui tiens, planquée dans mon caleçon !

Les sourcils froncés, il saisit le gros cadenas qui fermait la cage de Cornélia et l’observa de plus près.

– Mais alors c’est quoi le plan, putain ? grogna Beyaz.

– J’vais me planquer dans un coin et lui voler les clés quand il viendra.

Cornélia saisit ses cheveux à pleines mains et se retint de les arracher.

– C’est ça, votre super plan ?

– Ouais bah, j’improvise avec les éléments que j’ai. T’as qu’à faire mieux, toi.

– Aaron, dit-elle à voix basse. Je sais pas si tu te rends compte de ce qui se passe ici. Faut vraiment pas que tu te rates. Orion a une lance électrique, il a maté toutes les nivées. Personne n’ose se rebeller.

Elle échangea un regard avec Beyaz. Ils se comprenaient.

– S’il arrive à te mettre K.O., tu finiras dans une cage aussi, compléta le grand soldat. (Il fronça les sourcils.) À moins que le tabou des archanges les empêche de te taper ?

Aaron sourit sombrement.

– Je suis un crocotta, mon gars. Même dans ma peau humaine. Pas de tabou qui tienne avec moi.

Ce fut à son tour de froncer les sourcils.

– Pourquoi Blanche a pas volé les clés ? Ce serait un jeu d’enfant pour elle. D’ailleurs, elle aurait dû vous sortir de là en cinq minutes, c’était ce qu’Aegeus attendait. Pourquoi j'suis obligé de bouger mon cul jusqu’ici pour vous ?

Cornélia regarda le sol entre ses pieds crasseux.

– Blanche… ils l’ont… Elle…

Elle déglutit. Aaron se pencha vers elle.

– Ils ont quoi ?

À courts de mots, elle désigna la droite d’un geste vague.

– Elle est par là-bas…

Comme Aaron ne bougeait pas, elle força pour passer entre les barreaux. Elle mit son masque sitôt sortie de la cage, mal à l’aise à l’idée de se promener devant lui les fesses à l’air – même s’il n’était certainement pas à ça près. En silence, la tzitzimitl le guida à travers la ménagerie. Le regard d’Aaron notait les moindres détails – les cadenas, le diamètre des barreaux, les créatures emprisonnées. Des dizaines d'yeux le suivaient, brillants dans la pénombre de chaque cage. Lorsqu’ils parvinrent devant Blanche, le jeune homme s’immobilisa. Il contempla le raijū recroquevillé dans la petite cage ovale. Cornélia vit son expression changer. Il prenait toute la mesure de ce qu’elle avait subi.

– C’est Orion qui a fait ça ? C’est lui qui a foutu un raijū dans une cage à oiseau ?

Cornélia hocha la tête, une boule dure coincée dans la gorge. Mais le jeune homme ne la regardait pas. Il connaissait déjà la réponse, de toute manière.

Aaron s’accroupit devant la cage. Blanche ne bougea pas, n’ouvrit pas un œil. Il prit le cadenas entre ses doigts. L’objet était bien plus petit que ceux qui fermaient les autres cages.

– Depuis combien de temps elle est là-dedans ?

Cornélia aurait juré entendre sa voix trembler de colère. Elle reprit forme humaine, derrière lui.

– Cornélia ! jeta-t-il. Depuis combien de temps ?

– Je… Depuis le début. Depuis notre arrivée…

Un sifflement choqué échappa au jeune homme. Il serra le cadenas dans son poing. Ses doigts blanchirent sur le fer.

– Elle est dans cette saloperie depuis tout ce temps et vous l’avez laissée là ? (Quand il se retourna, elle vit la fureur bouillonner dans ses yeux.) Comment tu as pu laisser ta sœur vivre ça ?

Son reproche jeta de l’huile sur le feu des remords de Cornélia. Elle recula d’un pas, submergée par la culpabilité. Une larme roula sur sa joue.

– Je… Je ne pouvais pas… Comment tu veux qu’on… On n’a pas les clés…

– Il fallait les prendre ! tonna-t-il. (Il désigna toutes les cages d’un geste furieux.) Vous êtes si nombreux et vous n’essayez même pas de tuer Orion ? Tu préfères rester bien à l’abri dans ta cage plutôt que de sauver ta sœur ? Putain, mais qu’est-ce qui tourne pas rond chez toi ? Qu’est-ce qui tourne pas rond chez vous tous !

Cornélia rentra la tête dans les épaules. Elle retint un sanglot. Sa main vint toucher les brûlures qui cicatrisaient sur son épaule. Aaron ne pouvait pas comprendre. Avait-il seulement prêté attention à l’état de toutes les nivées ? Il n’avait pas tressailli lorsqu’elle avait mentionné la lance électrique. Mais s’il avait vraiment eu affaire à elle…

– On… Orion nous… (Elle se força à relever la tête et se mit à crier aussi.) On ne peut pas…

Un bruit l’interrompit. Un petit clic. Elle regarda le cadenas glisser des doigts d’Aaron. Brisé en deux morceaux.

– On ne… bredouilla-t-elle. On ne peut pas… casser des cadenas à mains nues ?

Aaron jeta les morceaux dans un coin. Elle le dévisagea, les yeux ronds, alors qu’il essuyait sa paume ensanglantée sur son pantalon.

– Je suis un crocotta, rappela-t-il à travers ses dents serrées.

Et sans s’appesantir sur son tour de force, il ouvrit la porte étroite de la cage.

– Hé, la naine.

Le raijū frémit à peine. Il avait la nuque tordue contre les barreaux.

– Éclaireuse ! (Comme elle ne réagissait pas, il toucha son pelage noir du bout des doigts.) Oh, Blanche ! On se réveille !

Le raijū ouvrit son grand œil sombre. En une fraction de secondes, il vit l’homme qui le surplombait et la porte de la cage grande ouverte. Tout se passa très vite. Vif comme une flèche, il cogna la main d’Aaron, fonça dans l’ouverture et disparut dans un fourmillement d’électricité.

– Aïe !

Le jeune homme secoua sa main droite.

– Putain ! Ça fait un mal de chien ! Qu’est-ce qui lui prend, à celle-là ?

Il se leva et observa les alentours.

– Blanche ! Ramène-toi ou tu vas le regretter !

Cornélia la chercha aussi. Mais sa sœur avait disparu. Avait-elle seulement reconnu Aaron ? À quel point son emprisonnement prolongé l’avait-il changée ?

– Fais chier, grogna Aaron. (Il toisa la cage renversée par terre.) Au moins, elle est sortie de là. Maintenant, il faut qu’on…

Mais Cornélia n’entendit jamais la fin de sa phrase. Car à cet instant, le son d’une porte déverrouillée claqua dans la ménagerie. Et une voix bien connue – une voix qu’elle avait appris à craindre – lança joyeusement :

– C’est l’heure de manger, mes chéris !

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