36 -

7 minutes de lecture

Deuxième épisode du jour !

J'ai l'impression que ce passage est super bancal, et je ne pense pas qu'on perdra grand-chose si je l'enlève... Donc dites-moi si selon vous, je garde ou je coupe xD

------

– On lève le camp dans six heures, annonça Aaron lorsqu’il eut fini de torturer ses souffre-douleurs. On n'a pas assez de nourriture pour tenir plus longtemps, de toute façon. Faut qu’on rejoigne le convoi à la frontière.

Il promena son regard inflexible sur les boyards.

– Ça va nous faire plusieurs jours de route, et on devra marcher vite. Vous en serez capables ?

– Pfeuh, répliqua Gaspard. On a survécu à Orion, mon gars. Nous sous-estime pas.

Mitaine en avait l'air moins sûre, mais elle n'ajouta rien.

– Bien. (Aaron se tourna vers Blanche et Cornélia.) Pendant le voyage, on vous entraînera sous votre forme de nivée. Y en a besoin.

– Super, grinça Cornélia. J’ai hâte.

– Moi aussi, dit-il dans un sourire narquois. Allez. Rompez !

Ils ne mangèrent pas à leur faim, pour économiser les réserves qu’il leur restait encore. Les nivées durent également se priver. Les carnivores, comme le zonure et la Mouche, disparurent quelques heures, rôdant aux alentours pour trouver quelque chose à se mettre sous la dent. L'hippalectryon resta soigneusement à l'intérieur de la maison ; il craignait peut-être de se faire dévorer par ses semblables.

– Je me demande ce que ça fait, de dévorer des créatures avec qui tu peux discuter... releva Cornélia en le voyant jeter un œil méfiant dans l'embrasure de la porte. Dans la Strate, est-ce que les herbivores supplient les carnivores de les épargner ?

Les sœurs s’étaient assises sur le perron de la maison, à côté de Pouet, pour lui tenir compagnie. Oupyre ne se trouvait pas bien loin, certainement sur le toit de la maison ; Cornélia avait renoncé à lui faire comprendre qu’ils devaient rester discrets. Elle se contentait de prier pour que les archanges en plein vol ne discernent pas cette petite silhouette à grandes oreilles.

– Tu penses que les carnivores souffrent moralement de devoir tuer leurs congénères ? ajouta-t-elle. Dans le convoi, aucune nivée n'en a jamais attaquée une autre...

– Parce qu'Aeg veille au grain, marmonna Blanche. Et il les nourrit soigneusement. C'est justement pour ça qu'il fait payer si cher les places. (Elle plissa les paupières.) Si jamais on tombe à court de ressources... je me demande combien de temps le convoi tiendra avant de finir en bain de sang.

Rien que d'y penser, Cornélia sentit sa nuque se hérisser. En silence, elle contemplèrent l'hydre, qui montait la garde devant la maison. Ses têtes à l'affût ondulaient dans le ciel, à peine visibles dans la lumière du couchant. Cachait-elle encore sous son ventre les derniers monstres d'Orion, ou avaient-ils fini par s'enfuir eux aussi ?

– Je pense pas que ça change grand-chose de pouvoir parler avec sa victime, grommela Blanche en fouillant dans son sac. Nous, on parle pas avec les autres animaux, mais on est quand même capables de les comprendre, de voir qu'ils souffrent... Et pourtant, on en tue cent cinquante milliards par an.

Elle se pinça l'arête du nez, puis désigna l'hydre.

– Je pense pas qu'ils soient pires que nous... Au moins, eux, ils se rendent vraiment compte de ce qu'ils font. Ils pèsent le poids de chaque repas.

L’aînée songea à Aegeus. Était-ce son cas aussi ? « J’ai arrêté de manger des humaines », avait-il dit dans leur monde, si longtemps auparavant. « Ça demandait trop d’énergie. » Trop d'énergie... ou trop de cruauté ? Elle n'était pas certaine qu'il fût capable de s'apitoyer sur le sort d'un humain. Pourtant, elle se souvenait d'un certain soir d'hiver... un soir où il l'avait bordée sur leur vieux canapé, car elle tremblait de froid.

C'était simplement pour s'excuser d'occuper notre appartement, grogna-t-elle en son for intérieur. Une sorte de remerciement bizarre. Si ça se trouve, les vouivres sont comme les kitsunes : ligotées par leur sens de l'honneur.

Blanche se remit à fouiller dans son sac bordélique :

– J’ai tellement pas envie de revoir sa sale tête, à l'autre !

Cornélia n'eut pas besoin de lui demander de qui elle parlait. Le visage d'Aegeus soulevait une vague de ressentiment dans son ventre lorsqu'elle pensait à lui.

– Ah, enfin !

D’un geste victorieux, sa sœur extirpa un livre de son sac. C’était « Le Petit Prince ».

– Tiens, ça faisait longtemps, se moqua Cornélia.

En fait, oui. Son sourire s’effaça quand elle se souvint que la dernière fois, c’était dans le secteur d’Actéon, après que le crocotta les ait tous sauvés en triomphant dans l’arène. Tant de choses avaient eu lieu depuis…

Blanche tendit une main apaisante vers Pouet, puis se glissa entre ses grosses pattes, très doucement. Il fallait toujours prendre garde à éviter les gestes brusques près de lui, surtout lorsqu’il était assez proche pour vous arracher un bras.

– Attention, gros baveux, j'arrive ! T'as pas intérêt à mordre, hein !

Les muscles de la tarasque se tendirent ; son énorme queue de scorpion se redressa dans son dos. Les sœurs retinrent leur souffle. Blanche dit tout doucement :

– Tu ne veux pas savoir la suite de l'histoire ? Souviens-toi, le Petit Prince avait rencontré le renard...

Il sembla se calmer. Elles expirèrent avec avec soulagement quand rabattit son dard venimeux. Blanche se cala contre son poitrail massif, s'enfouit dans la chaleur de sa crinière et chassa les mèches noires qui venaient lui gratter les joues. L'envie de faire de même mordit le cœur de Cornélia. Mais elle n'osa pas. Lorsque sa sa sœur ouvrit son livre, la nostalgie envahit les yeux pourpres de la tarasque.

Petit garçon. Planète.

– Tu t’en souviens ! s’exclama Blanche.

Pouet écrasa son gros nez sur l’une des illustrations. Le Petit Prince se retrouva avec une auréole de bave à la place de la figure.

– Fais pas ça, c'est dégueu ! râla Blanche en l’essuyant avec sa main. Allez, je vais te lire la suite.

Elle reprit l’histoire à voix basse.

– Le renard dit au Petit Prince : On ne connaît que les choses que l'on apprivoise. Les hommes n'ont plus le temps de rien connaître. Ils achètent des choses toutes faites chez les marchands. Mais comme il n'existe point de marchands d'amis, les hommes n'ont plus d'amis. Si tu veux un ami, apprivoise-moi !

Blanche marqua une pause.

Que faut-il faire ? dit le petit prince.

La tarasque finit par poser son énorme tête sur son épaule, ce qui la fit ployer comme une petite vieille. Malgré elle, Cornélia se sentit exclue ; mais peut-être n'était-ce encore que sa culpabilité qui refaisait surface.

Il faut être très patient, répondit le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'œil et tu ne diras rien. Le langage est source de malentendus. Mais, chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...

La compréhension luisait dans l'œil pourpre de Pouet. Cornélia se demanda à quoi il pensait. Elle, elle pensait à Oupyre, dans leur salle de bains, qu'elles avaient réussi à apprivoiser avec beaucoup de temps et de précautions...

Et quelqu'un d'autre les avait apprivoisées, elles, les deux sœurs qui n'avaient ni amis, ni vie sociale, ni responsabilités. À cette pensée, elle se leva doucement.

– Je vais dormir. Et vous devriez faire pareil !

– Oui, oui, marmonna Blanche sans lever les yeux. Je lis juste quelques pages et j’arrête.

En vérité, Cornélia n’allait pas dormir. Elle se traîna dans le salon, cherchant Iroël. Mitaine et Gaspard ronflaient dans le canapé, dans une position perturbante. La dryade s’était allongée de tout son long, le soldat s’était assis sur l’accoudoir – la seule chose qu’elle lui avait laissé. Lorsqu’il avait commencé à s’endormir, il avait dû glisser vers elle, et elle l’avait repoussé avec ses pieds. En conséquence, il dormait à poings fermés, maintenu en équilibre par les jambes tendues de sa collègue.

– Je sais pas comment ils font, commenta une voix derrière Cornélia. Mais ça tient. Et depuis longtemps.

Elle se tourna vers Iroël, qui planchait toujours sur un masque. C'était lui qu'elle cherchait. La longue table du salon était jonchée d’emballages plastiques de toutes les couleurs.

– J’attends que ça tombe, ajouta-t-il en désignant Mitaine et Gaspard.

– T’es un peu sadique, non ?

Cornélia s’approcha et contempla son œuvre. C’était un masque blanc, presque translucide, parcouru de reflets irisés. Des écailles étrangement semblables à des plumes le recouvraient et s’effilaient vers le bas pour devenir des dents pointues. Comme toujours avec Iroël, l'objet semblait taillé dans l’opale par un sculpteur émérite, alors qu’il était fait de fragments de plastique collés les uns sur les autres.

– Il me rappelle quelque chose, marmonna Cornélia en plissant le front. Une créature que j’ai vue quelque part.

Iroël se frotta le visage, éparpillant de minuscules paillettes sur sa peau. Il avait l’air à bout.

– Je pense pas. Cette créature est très rare. Vraiment très rare. (De l’index, il tira sur une plume mise un peu de travers.) En fait, il paraît qu’il en reste une seule dans le monde entier. Toutes les autres sont mortes.

La jeune femme observa les orbites creuses, qui figuraient des yeux en amande assez étroits. Pourquoi ne parvenait-elle pas à mettre le doigt sur cette créature ?

– C’est pour qui ? Tous les boyards ont déjà des masques.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 8 versions.

Vous aimez lire Cornedor ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0