Chapitre 8 : Le café

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Une semaine après les enterrements, ma mère m’annonça qu’elle allait prendre le café chez la mère d’Adam.

— Ils nous ont invité avec ton père mais il est encore au travail. Tu peux venir si tu veux.

Je haussai les épaules, feignant l’indifférence, mais mon cœur battait à cent à l’heure. Je lui demandai de m’attendre cinq minutes, le temps que je passe une tenue correcte. J’étais en jogging et Adam était le plus beau mec du monde à mes yeux, même encore éclaté après l’accident. Je ne pouvais pas débarquer chez lui en haillons.

— Ne fais pas de manières, ajouta ma mère. C’est juste un café.

Mais elle prit son mal en patience et m’attendit car elle n’avait aucune envie d’y aller seule. Bien que nous vivions tous dans le même quartier depuis des années, nos deux familles n’étaient pas proches. On se connaissait de vue. Bonjour, bonsoir, bonne journée, rien de plus. Mais bien sûr, perdre leurs deux fils dans le même accident avait rapproché mes parents de ceux d’Adam. Et moi, s’il y a bien une chose que je voulais, c’était me rapprocher de lui de très près.

Mais il n’était pas là. Voilà ce que m’apprit sa maman, Violaine, à notre arrivée. Ma déception fût immense et je pense que sa mère dû la percevoir à mon visage, car elle me rassura aussitôt :

— Tu peux aller dans sa chambre si tu veux. Il a une console et des jeux si cela t’intéresse.

Je ne jouais pas aux jeux vidéo. Mais l’occasion était trop belle de visiter son antre pour ne pas y aller. Ma mère ne dit rien, pourtant elle savait très bien qu’à la maison seul Sébastien était féru de ces divertissements. Je lui en fus infiniment reconnaissante de ne pas avoir cafté sur ce coup-là.

— On t’appellera pour prendre le gâteau, dit Violaine avec un sourire triste. J’ai une tarte poire-chocolat en train de cuire au four.

Je compris que ma présence dérangeait et qu’elle voulait parler seule à seule avec ma mère. Alors je les laissai s’installer au salon et me dirigeai vers la chambre que notre hôtesse m’avait indiquée.

La chambre d'Adam lui ressemblait : masculine et en bordel. Je détaillai chaque pan de mur, chaque poster, chaque bibelot. Sa décoration était entièrement dédiée au sport. Il y avait des coupes et des médailles disséminées un peu partout sur les étagères, sur son bureau, sur sa table de nuit. Je passai le doigt sur un meuble. Il était propre, pas la moindre trace de poussière. Je savais pourquoi. Ses parents avaient les moyens et engageaient une femme de ménage. Je la voyais parfois sortir pour vider ses seaux pleins dans le caniveau. Ils possédaient l’une des plus jolies maisons du quartier. Leur voiture était un Range Rover.

Adam avait la belle vie. Enfin, si on faisait abstraction de sa situation actuelle : le corps en pièces détachées et amputé de son petit frère.

Son lit était celui d'un adulte, avec deux places. Je refusai de m'en approcher. Je m’assis sur le petit clic-clac devant sa grande télé, celle-là même sur laquelle il devait se déchaîner avec ses jeux vidéo. Ou mater des films porno comme les adolescents de mon âge semblaient s’y adonner.

Leur chat était roulé en boule comme un donut sur un coussin. Je le caressai pendant de longues minutes, m’absorbant intégralement de l’environnement dans lequel j’étais baignée. Quelques livres traînaient sur sa table de chevet. Dévorée de curiosité, j’en pris un au hasard, l’ouvris et découvris avec stupéfaction qu’il était rempli d’annotations. La plupart des pages étaient toutes bariolées, crayonnées de mots écrits à la va vite au stylo bille et stabilotées à de nombreux passages. Je repris au début et lu autant de notes manuscrites que je pus.

Elles étaient enthousiastes, et surtout amusantes. L’auteur, Sylvain Tesson, devait raconter ses beuveries, car Adam avait commenté certains passages avec tout le champ lexical de l’alcoolisme : « poivrot », « pilier de bar », « ivrogne », « pochetron », « sac à vin »... Et il y avait ajouté des smileys comiques.

J’étais tellement immergée dans le décryptage passionnant de ses gribouillis que je ne l’entendis pas entrer.

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