Chapitre 1 La rencontre
Trompe-moi une fois, honte à toi. Trompe-moi deux fois, honte à moi…
Le vieil adage de Linwood Barclay que tout le monde a entendu au moins une fois dans sa vie.
On ne sait pas toujours qui en est l’auteur, mais on comprend tous son interprétation.
J’étais allongée sur mon canapé, les yeux rivés au plafond. Chaque détail me sautait aux yeux : la petite fissure en haut à droite, le début de moisissure qui se formait près de la lampe…
— Je suis sûre que cet abruti de Vincent a encore laissé le robinet goutter et qu’il a une fuite.
Je soupirai en me redressant, l’adage tournant en boucle dans ma tête. Je pensais à Calvin. À ce flirt, cette passion étrange… Une année entière de jeux de regards, de messages enflammés, de nuits blanches à discuter. Une année qui avait suffi à lui, mais pas à moi.
Calvin faisait partie de ces hommes qui ont peur du bonheur. Moi, je commençais à saturer de ce genre d’histoires. L’overdose approchait… J’enfilai une combinaison en laissant mon esprit vagabonder.
J’avais prévu d’aller voir Vincent pour lui dire qu’il avait une fuite. Il devait, comme toujours, être en excellente compagnie. Depuis que j’avais emménagé, c’était un défilé incessant chez lui. Je n’étais pas le genre de voisine chiante à taper au mur, mais j’en avais vu et entendu assez pour savoir qu’il ne dormait jamais seul.
Je sortis de mon appartement, un petit sourire aux lèvres. Je le connaissais depuis plusieurs années, et je me demandais dans quelle tenue il allait m’ouvrir. Pas l’ascenseur pour un étage : je pris l’escalier… et percutai de plein fouet une sorte de mur.
Un mur… humain.
Je levai les yeux, sonnée, et croisai le regard d’un homme immense. Ses yeux étaient d’un bleu si intense qu’ils en devenaient terrifiants.
— Euh… pardon ?
Mon ton était volontairement sarcastique. Il haussa un sourcil, à moitié moqueur :
— Je vous pardonne, mais faites attention à l’avenir.
Avant que je ne puisse répliquer, une voix féminine résonna dans la cage d’escalier :
— Dante !!! Tu as oublié ton parapluie, enfoiré !
Sans ciller, il répondit calmement :
— Garde-le. Comme ton honneur. Il ne me sert à rien.
Puis, comme si je n’existais pas, il me frôla et dévala les marches. En levant les yeux, j’aperçus ma voisine Catherine qui claquait sa porte. J’étais tellement déboussolée que je rouvris la mienne.
Une fois rentrée, je me rappelai que je voulais parler à Vincent de sa fuite.
— Bon… plus tard. Comme toujours.
Je jetai un regard à mon appartement, l’esprit ailleurs. La phrase résonnait encore dans ma tête : Trompe-moi une fois, honte à toi. Trompe-moi deux fois, honte à moi.
Je secouai la tête. Il fallait que je passe à autre chose. Mais mon portable vibra. Un message. Je me précipitai.
Bien sûr.
Comme si je l’avais invoqué. Calvin.
Calvin :
Salut ma beauté, ouais je c tu ve pa que jtecrive mai c plu for ke moa, j’pense tro a toi. Jdevien dingue sang toa. Steuple, mignor pa.
Je levai les yeux au ciel. L’orthographe… une catastrophe. Mais son insistance avait toujours été ma faiblesse. Et il savait jouer de mes points faibles.
Presque aussitôt, une photo suivit. Son torse. Ses pectoraux. Ses abdos. Ce sourire à moitié insolent.
Je déglutis. Il savait très bien l’effet que ça me faisait.
Ce n’était pourtant pas son corps qui m’avait fait craquer. Mais sa voix. Grave, rassurante, presque tendre. Et cette gentillesse inattendue, derrière son allure de mauvais garçon. Calvin n’était absolument pas mon genre : crâne rasé, tatouages partout, dents de travers, une allure brute. Mais il avait su m’ensorceler.
Nous n’avions jamais franchi la ligne. Pas une fois. Juste des messages, des regards, des conversations qui duraient des heures. Et moi, suspendue à une illusion.
Le son d’une autre notification me ramena à la réalité. Elena.
Elena :
Chérie, nouveau patron arrivé dans la boîte, petit récapitulatif :
1 : un avion de chasse
2 : Ne sait pas sourire
3 : A déjà viré Diego et Stella.
On flippe ? On va se bourrer la gueule ?
Je souris. Elena, mon amie et collègue. Toujours cash.
Moi :
Panique pas. Il ne sera pas pire que “Dents d’acier” ou “Sourire à l’envers”. On le matera comme les autres.
Elena :
Si tu le dis… mais là, il a fait sauter deux personnes et il est reparti. On verra demain à quelle sauce on sera mangées.
Je posai mon téléphone en riant doucement. Je travaillais dans une boîte de production, chargée de clientèle. Un job qui me mettait en contact avec des scénaristes, des réalisateurs… et parfois des énergumènes comme Calvin.
Je l’avais connu lors d’un appel qu’il avait passé à ma collègue Julie. Elle était à deux doigts de craquer, alors j’avais repris la conversation. J’avais entendu son ton colérique se transformer en voix douce avec moi. Et il avait su, en quelques minutes, m’accrocher.
Ensuite, il avait retrouvé mes réseaux sociaux. Et là, ce fut une spirale. Discussions nocturnes, confidences, provocations. Lui qui me voyait comme “tout ce qu’il aimait chez une femme”. Moi qui n’avais jamais voulu l’avouer, mais qui aimais sentir son regard posé sur moi, même à distance.
Pas d’histoire d’un soir. Pas de lit partagé. Juste un flirt… poussé trop loin.
La sonnette retentit, me tirant de mes pensées. Je soupirai en allant ouvrir.
— Coucou ma copine !
— Salut, Vincent. J’allais venir te voir.
— Ah merde, j’ai encore fait du bruit ?
— Non. Mais je pense que ta baignoire a débordé. Mon plafond commence à se tâcher.
— Merde. De l’humidité ?
— Yep.
— Putain d’appart mal foutu !
— Tu l’as dit.
Vincent souriait. Ce sourire qu’il croyait irrésistible. Beau blond aux yeux verts, cheveux mi-longs de surfeur, torse nu, pieds nus. Toujours le cliché.
— Bon… C’est gênant, mais…
— Capotes ?
— …Bingo !
Je levai les yeux au ciel.
— Tiens. Mais si tu oses me demander du lubrifiant, je t’étrangle.
Il éclata de rire, récupéra son paquet et s’appuya contre ma porte avec ce regard de séducteur pathétique.
— Tu sais, Romy… Ça fait un moment qu’on se connaît.
— Oui.
— Et j’ai vu que ton tatoué ne venait plus. Je me suis dit que…
— Non mais je rêve !
Je me frappai le front de la main.
— Vincent, ça fait quatre ans qu’on est voisins. Je sais tout ce que tu fais. Et crois-moi : même seule, même désespérée, je préfère entrer dans les ordres que de coucher avec toi.
— Tu ne sais pas ce que tu perds…
— Tant pis pour moi.
Il haussa les épaules et s’éloigna. Mais je remarquai aussitôt une silhouette dans l’escalier.
Lui. Dante.
Il avait tout entendu.
Je le fusillai du regard :
— Vous ne savez pas qu’il est malpoli d’écouter aux portes ?!
— Quand la porte est ouverte, l’adage devient caduc.
Un rictus étira mes lèvres.
— Malotru.
— Joli mot.
— Connard. Plus direct.
Et je claquai ma porte.
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