Chapitre 2 Le nouveau patron
Mes nuits étaient devenues compliquées depuis que Calvin n’envahissait plus mes pensées à chaque seconde. Je me retournais une dizaine de fois dans mon lit, incapable de trouver le sommeil. Je n’avais pas répondu à son message, et pourtant j’en crevais d’envie… Mais non. Pas après ça. Pas après la trahison. Une jolie illusion pour découvrir qu’il avait une femme et un enfant. Ça fait mal.
Je n’avais jamais envisagé grand-chose avec lui, c’est vrai. Mais j’aurais préféré une fin « propre ». Demander ça à un homme, c’est comme demander la lune…
Il était cinq heures trente. Trois heures de sommeil au compteur. Je me traînai jusqu’à l’amour de ma vie : ma cafetière. Je la laissai couler le temps de prendre une douche, histoire d’émerger un peu. La dose de caféine finirait le travail.
Je portai la tasse à mes lèvres en balayant mon appartement du regard. Oui, j’avais réussi ma vie. Un immense appartement, meublé avec goût, le confort que j’avais toujours voulu. La seule chose qui m’échappait encore, c’était un homme normal. J’avais la collection complète : queutards, infidèles, connards en série.
Elena m’avait déjà suggéré de m’inscrire sur des sites de rencontre. Hors de question. Pas envie de blablater des semaines pour découvrir que le type copiait-collait le même discours à six autres nanas.
Je filai dans mon dressing. Aujourd’hui, je rencontrais le nouveau patron. Et d’après Elena, c’était Satan en personne.
Chemise blanche, pantalon salopette, brushing express de mes cheveux blonds, maquillage un peu appuyé pour masquer la fatigue. J’avais dépassé la vingtaine depuis longtemps, et mon visage me rappelait chaque nuit trop courte.
Sept heures. Nouveau patron, nouvelles règles. Je bus une dernière gorgée de café, pris mon sac et sortis. Tandis que je fermais la porte derrière moi, je le reconnus immédiatement à son odeur.
Il était là.
Je tremblai, refusant de me retourner. Ses mains glissèrent sur ma taille, son souffle chaud dans ma nuque.
— Ton odeur, Romy… Je n’arrêtais pas d’y penser.
Je fermai les yeux pour ne pas céder, mais sentir son corps si proche… c’était une torture. Son parfum mêlé à l’alcool me ramena brutalement à la réalité. Je retirai ses mains en essayant de cacher mes tremblements.
— Calvin…
— Encore, Romy…
— Arrête, s’il te plaît.
En un geste, il me fit pivoter pour me faire face. Ses traits durs s’adoucirent un instant. Dans ses yeux, je voyais l’homme cabossé, celui qui avait dû grandir trop vite.
— Je ne vais pas te dire que je suis désolé. Mais tu me rends dingue.
— Calvin, s’il te plaît…
Il me fit son sourire de mauvais garçon, celui qui me désarmait autrefois.
— Ça me rappelle nos nuits… quand tu murmurais « s’il te plaît » comme ça.
Bien sûr qu’il jouait là-dessus. Nos nuits blanches à parler, à rire, à nous frôler sans jamais franchir la limite. Je n’avais jamais connu un flirt aussi intense. Presque charnel, mais jamais consommé. Une dépendance sans exutoire.
— Embrasse-moi, Romy…
Ses lèvres n’étaient qu’à quelques centimètres. Je passai ma main sur sa joue, partagée entre l’envie et la colère. Il colla son corps contre le mien, força mes lèvres à céder aux siennes. Je me laissai happer une seconde… puis ses mains devinrent plus pressantes.
— Arrête, Calvin.
— Mmm…
— Putain !
Je le repoussai, mais il serra mon poignet. Trop fort.
— Tu en as autant envie que moi.
— Je te l’ai dit depuis le début : je ne veux pas de plan cul.
— On était plus que ça, et tu le sais.
— Un couple ? Non. Un trouple, oui !
Son regard se durcit.
— Tu es à moi, Romy.
— Lâche-moi, tu me fais mal !
— Non… j’ai trop attendu une femme comme toi.
Il serrait de plus en plus. J’avais mal. Larmes aux yeux, impuissante, je me sentais réduite à une gamine entre ses mains.
Et soudain :
— Monsieur, je crois que la dame ne souhaite pas que vous la touchiez.
Je levai les yeux. Dante. Monsieur parapluie. Descendant les marches avec son calme glacial. Calvin relâcha ma main, me jeta un regard noir et s’adressa à lui :
— Tu veux quoi ? Tu vois pas que ma meuf et moi, on règle nos histoires ?
— Au vu de sa réaction et de la vôtre, je doute que ce soit votre « meuf ». Vous la gênez.
— Tu veux mourir ?
— Pas aujourd’hui.
Le ton de Dante était sec, tranchant.
— Je vais te soulever, fils de pute !
— Pour votre information, ma défunte mère n’était pas sur les boulevards. Elle était banquière.
Calvin serra les poings. Moi, je posai ma main sur son bras, désespérée.
— Calvin, ça suffit. Nous deux, c’est fini.
— Non, Romy. Je lâche pas.
Et comme si la scène n’était pas déjà assez grotesque, Vincent débarqua.
— Sérieux ? Vous pouvez pas faire vos embrouilles de couple plus tard ?
Je faillis rire malgré moi. Vincent dans toute sa splendeur.
Calvin lui lança un sourire narquois :
— Le surfeur de mes deux… ça fait combien de temps que tu rêves de la baiser ? Quatre ans ? Et rien. Elle a choisi un mauvais garçon.
C’était ma limite. Je repoussai Calvin, dévalai les escaliers en talons comme si ma vie en dépendait.
— Ne viens plus jamais, Calvin. Je suis sérieuse.
— Sinon quoi ?
Je me retournai, glaciale.
— Tu n’as pas envie de le savoir.
Je marchai vite, espérant que mon chauffeur arriverait rapidement. Je changeai mon adresse de départ pour semer Calvin, et attendis deux rues plus loin. Mais mon appli ne cessait de changer de conducteur. Et la pluie se mit à tomber.
— Génial. Il ne manquait plus que ça.
Une berline noire s’arrêta devant moi. Je montai en vitesse.
— Bonjour, c’est pour Romy.
Silence. Je levai les yeux. Dante.
— Oh merde, je suis désolée. Je croyais que c’était mon Uber.
Je voulus sortir, mais sa main retint la mienne sur la poignée.
— Annulez votre course. Donnez-moi votre destination. Je vous dépose.
— Ma mère me disait de ne jamais monter avec un inconnu.
— Elle avait raison. Je m’appelle Dante Gallo.
— Vous êtes de Calabre ?
— Vous connaissez ?
— Le bout de la botte, ah ah ah !
Il me fixa.
— Désolée… j’ai eu ma période Italie. Rome, Venise… pas le sud.
— Les classiques.
Je pris soudain conscience de l’absurdité de la scène. Moi, dans la voiture d’un inconnu. J’ouvris brusquement la portière pour sortir. La pluie redoubla.
Au loin, la voix de Calvin hurla mon prénom. Son regard croisa le mien. Dante m’ouvrit la portière passager.
Peste ou choléra ?
Je montai. J’avais choisi la faucheuse.
Même si elle n’était pas encore au menu.
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