Chapitre 3 Idiote ?! Oui, je le suis sûrement…
Je venais de monter dans la voiture d’un parfait inconnu. Pendant qu’il tentait de se frayer un chemin dans les bouchons de Paris, les larmes surgirent malgré moi. Il me tendit un mouchoir sans me regarder. J’essuyai vite les dégâts, baissai l’abat-soleil et me tamponnai les yeux. Rien de mieux que de chialer avant huit heures du matin. La garantie jeunesse !
— Vous pleurez pour le petit voyou ?
Je ne le regardai pas tout de suite, je finis de renifler en sortant ma trousse à maquillage.
— Non… Je pleure pour ce qu’il m’a poussée à faire.
— C’est-à-dire ?
— Monter dans la voiture d’un parfait inconnu, juste pour le fuir. C’est vraiment être tombée bien bas… vous ne trouvez pas ?
Il ne répondit pas. Ses yeux restaient fixés sur la route, mais ses mains serraient le volant si fort que ses phalanges blanchissaient. Je l’observai un peu trop longtemps.
— Prenez une photo, ça dure plus longtemps.
Je sursautai.
— Pardon… Juste, pourquoi vous m’avez aidée ?
— Vous ne m’avez pas dit où vous souhaitiez être déposée.
— Je…
— Je quoi ? Vous n’avez pas envie d’être en retard.
Il était étrange. Sans un mot de plus, je saisis le GPS et tapai l’adresse du studio de production. Il ne jeta pas un regard à l’écran, accepta simplement la direction indiquée.
On roula en silence. Je regardais le paysage défiler par la fenêtre. Comment j’ai pu en arriver là…
— Je préfère que vous le sachiez tout de suite : je suis votre nouveau voisin.
Je sursautai.
— Vous n’êtes pas l’ex de Catherine ?
— « Ex », c’est un bien grand mot. Deux ou trois rendez-vous, rien de sérieux.
— Pourtant, vous n’aviez pas l’air ravi la dernière fois…
Il tourna dans une petite rue et s’arrêta devant un café. Chez Roman. L’un des plus réputés de Paris pour ses vrais amateurs de café. Je le regardai, sourcil levé.
— Ma boîte est juste à côté. Merci de m’avoir déposée.
Il sortit de la voiture sans un mot. Quand je pris mon sac pour descendre, il m’ouvrait déjà la portière côté passager. Il me tendit la main.
— Merci…
— Je vous en prie.
Je réajustai mes vêtements. La pluie s’était arrêtée, laissant passer un rayon de soleil. Un rayon qui refléta dans le bleu hypnotique de ses yeux. Je m’y perdis une seconde avant de secouer la tête.
— Ce que vous avez fait, monsieur Gallo…
— Dante.
— … Vous n’étiez pas obligé. Je vous remercie infiniment.
Il me fixa.
— Je vais prendre un café. Vous en voulez un ?
— Non merci, je préfère filer au travail.
— Vous êtes sûre ?
— Oui. J’ai un nouveau patron, et d’après les rumeurs c’est un sacré connard. Alors quitte à ne pas avoir de vie personnelle, j’aimerais sauver ma vie professionnelle.
Un sourire étrange étira ses lèvres. J’allais m’éloigner, puis je me retournai.
— Vous ne m’avez pas répondu pour Catherine.
Il allait entrer dans le café, mais fit demi-tour.
— Elle a sous-loué mon appartement. Je suis revenu en France récemment. Elle m’a demandé du temps pour se retourner. Je ne pensais pas devoir le prendre au sens propre.
— Vous voulez dire que…
— Oui. Elle voulait qu’on ait une relation. Je n’étais pas enthousiaste, mais j’ai accepté.
— Pourquoi ?
— L’ennui, sans doute. Catherine n’aime pas dormir seule. Et par là, elle entendait…
Je levai la main.
— Oui, oui, j’ai compris ! Je ne suis pas totalement abrutie.
Je n’étais pas prude, mais cet inconnu qui me racontait déjà sa vie sexuelle… j’avais mes limites. Il eut un sourire en coin.
— Ai-je satisfait votre curiosité ?
— Plus ou moins. Je m’en contenterai.
Je partis, le cœur battant. Cet homme m’angoissait.
Arrivée au coin de la rue, j’appelai Elena. Elle me dit de la rejoindre dans le bistrot face à notre boîte. Elle était déjà installée. J’imaginai sans mal la scène : elle devait draguer le serveur Étienne, jeune père de famille qui se vantait d’être dans un couple libre.
Ah, les hommes…
Dehors, je savais que j’avais raison. Il l’embobinait encore. Et je ne le supportais plus. Étienne aurait pu être séduisant… s’il n’avait pas été aussi condescendant.
— Romy !
Je pénétrai dans le café. Elena me faisait de grands signes. Étienne, lui, me dévisagea.
— Bonjour, Étienne.
— Romy…
— Ah, pas de souhait de bonjour, je peux m’asseoir dessus ?
Il esquissa un sourire.
— Tu aimerais bien, hein…
— Non. Je ne m’assois pas sur n’importe quoi. J’ai encore du respect pour moi.
— Je…
— Un ristretto, s’il te plaît. Et un crème pour Elena.
— Je…
— Merci, on est pressées.
Je voulais le pousser à bout. Il resta calme.
— Avec plaisir. Je vous garde une table pour le déjeuner ?
— Oui !
Je coupai Elena net :
— Non. Je déjeune ailleurs.
Étienne sourit, venimeux :
— Tu as raison de faire attention. On voit un laissé-aller, ces derniers temps…
Je posai mon menton dans ma main, sourire en coin.
— Tu trouves ? Pourtant, l’homme qui m’occupe toutes les nuits trouve ça sexy. Comment dit-on déjà ? Ah oui : il vaut mieux faire envie que pitié.
Il perdit une nuance de couleur.
— Ne le prends pas mal, Romy… toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire.
Mon sourire s’élargit.
— Non, tu as raison. D’ailleurs, je déjeune ailleurs. Un restaurant huppé. J’ai rendez-vous avec un scénariste américain. Celui qui a bossé sur Stranger Things. Tu comprends, l’emmener dans un bistrot de quartier… mauvais genre. Surtout avec un serveur qui fait tout sauf servir.
Échec et mat. Victoire par K.-O.
Étienne ouvrit la bouche plusieurs fois. Finalement, il envoya un autre serveur pour nos consommations. Je sus que je ne pourrais plus jamais revenir ici. Je filai mon ristretto à Elena, mais avant qu’elle ne le porte à ses lèvres, Étienne surgit et lui arracha la tasse des mains.
— Connard !
On fila à la boîte. Dans le couloir, Elena me lança :
— Qu’est-ce qui s’est passé entre Étienne et toi ?
— Rien d’intéressant, crois-moi.
— Pourquoi j’ai l’impression d’assister à un concours de bites chaque fois que vous vous croisez ?
— Parce que j’ai une plus grosse queue que lui. Et ça, il le digère mal.
— Romy…
— C’est castrateur pour un homme de tomber sur une femme qui a du répondant.
— Romy…
— Donc si la prochaine fois je lui demande de me sucer, ne sois pas étonnée !
— Putain !
— Quoi ? Ce n’est pas ma faute si ma queue est plus belle et plus grosse que la sienn…
Elena posa sa main sur ma bouche. Trop tard.
— Madame Costa, laissez donc votre collègue parler de ce concours. Ce n’est pas comme si vous vous trouviez sur votre lieu de travail.
Je levai les yeux. Mon regard croisa celui d’Elena. Conversation silencieuse. À quel point j’étais dans la merde ?
Ça sentait le chômage…
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