Chapitre 4 Fermer ma gueule est vraiment une option dans ma vie…
Je n’osais pas me retourner, encore moins en voyant la tête de mes collègues. Mais bon… quarante ans, quinze ans de boîte… J’espère que je saurai me recycler.
Elena retira sa main de ma bouche. Je me retournai lentement. Bah oui ! Comme si ma vie n’était pas déjà un spectacle, il fallait que je tombe nez à nez avec monsieur parapluie. Au début, j’étais prête à me mettre en colère… avant de réaliser que ce n’était autre que mon nouveau patron.
Putain de vie de merde.
Il m’offrit un sourire glacial. Ses yeux bleus l’étaient tout autant, et un frisson remonta le long de mon échine.
À ses côtés, Tanissia, son assistante, tremblait presque. Un simple geste de lui, et tout le monde regagna son poste. En quelques secondes, il ne resta que nous quatre… et une cinquantaine de personnes faisant semblant de travailler.
— Romy, tu ne vas pas le croire ! Tu as réussi !
Clara. Mon assistante. Timing parfait, comme toujours.
Elle déboula avec une pile de papiers. Son débit était lancé, impossible à arrêter :
— J’ai reçu un mail de Gavin Bratt, l’auteur de La Chute de la maison Usher. Je sais, tu vas me dire de ne pas dénigrer Mike Flanagan, mais il a adoré ton concept de réalisation sur les romans de la jeune auteure que tu as découvert…
Je la fixai, désespérée. Mais Clara n’avait pas terminé. Elle cherchait une phrase finale, transcendante.
— Tu as un nez hors du commun, Romy ! L’auteure est d’accord pour te rencontrer et discuter de l’achat des droits de ses livres. Et tiens-toi bien : des suivants qu’elle est en train d’écrire !
Enfin, Clara releva la tête et remarqua que je me trouvais en très mauvaise posture. Malgré tout, elle sourit, imperturbable :
— Bonjour, monsieur Gallo ! Vous avez fait connaissance avec Romy ? Elle est incroyable, non ? Je vous l’avais dit ! Romy, je dépose les papiers sur ton bureau. Appelle-moi au besoin. Son anglais est médiocre, mais le tien est quasi inexistant, ah ah ah !
Et elle quitta la pièce comme si de rien n’était.
Dante ne m’avait pas lâchée du regard une seule seconde. Finalement, il brisa le silence :
— Romy. Dans mon bureau. Maintenant.
Il tourna les talons. J’attrapai mon sac et ma veste. Autant les prendre tout de suite, puisqu’il allait me virer.
La porte de son bureau était grande ouverte. Je frappai doucement avant d’entrer.
Il était assis dans un large fauteuil de cuir. Moi, j’aurais disparu dedans. Mais lui… il semblait fait pour ce siège.
— Assise.
Son ton était sec. Mon regard trahit ma révolte. Il s’adoucit aussitôt.
— Asseyez-vous, Romy.
— Merci…
Il se leva, servit deux cafés et posa un ristretto devant moi. Je levai les yeux vers lui, surprise.
— Comment… comment savez-vous ce que je prends ?
Il porta sa propre tasse à ses lèvres, savourant lentement l’arôme. L’odeur chatouilla mes narines. Je salivai malgré moi.
— Romy, vous travaillez pour une boîte prestigieuse. Avant de la racheter, je me suis renseigné sur chaque employé. Vous, en particulier.
— Pourquoi moi ?
— Parce que vous êtes celle qui a le meilleur feeling avec tout le monde. Qu’on vous aime ou qu’on vous déteste, on doit reconnaître que vous avez le… nez, pour dénicher — ou devrais-je dire détourner — les meilleurs talents.
— Donc en somme, vous avez espionné tout le personnel.
— Plus rapide, plus familier, mais plus clair.
Je me concentrai sur mon café, oubliant un instant où je me trouvais. J’inhalai l’odeur, fermai les yeux, puis relevai la tête.
— Vous disiez ?
Un sourire narquois effleura ses lèvres.
— Vous savez ce qui fait fonctionner une boîte ?
— Oui, mais il y a plusieurs réponses possibles.
— Romy, je sais que vous êtes la meilleure dans votre domaine. Je serais stupide de vous licencier.
Un soupir de soulagement m’échappa. Il fit semblant de ne pas l’entendre.
— Je veux que cette entreprise continue de grandir.
— Je suis d’accord.
— Alors, gardez vos commentaires pour vous, à l’avenir.
— Bien.
Il s’approcha. Très près. Trop près. Son parfum m’assaillit, puissant, entêtant. Mon cœur s’accéléra malgré moi. Son visage se pencha, ses yeux dans les miens.
— Gardez pour vous l’information que nous sommes voisins.
Je plongeai mon regard dans le sien.
— Monsieur Gallo, j’ai passé la quarantaine. Je sais parfaitement ce que les gens pensent de moi. Vous croyez vraiment que je vais répandre ce genre de ragots ?
Il fronça les sourcils.
— Que pensent donc les gens ? Je ne comprends pas.
Je me levai, ce qui le força à reculer. Et, à mon tour, je m’approchai. Mon parfum l’enveloppa. Je laissai glisser mes doigts paresseusement sur sa cravate.
— Je suis une femme qui inspire le sexe. Et j’en suis consciente. Quand on me rencontre, c’est ce que les gens voient en premier. Même si, ensuite, on découvre que j’ai un cerveau… et que je sais m’en servir.
Je lâchai sa cravate, nonchalamment, et reculai.
— Comme vous pouvez le constater, j’ai une montagne de travail. Et puisque vous n’avez pas décidé de me virer, je vais aller faire gonfler le chiffre d’affaires de cette boîte.
Je lui tournai le dos. La dernière chose que je vis, ce furent ses yeux.
Sombres.
À savoir si c’était de désir… ou de fureur.
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