Chapitre 25
La douceur n’était visiblement pas au programme d’aujourd’hui.
Le réveil brutal avait réussi à détruire un peu plus le corps fragile de la jeune femme. La colère de cette femme aigrie lui confirma que jamais son père ne l’accepterait dans sa maison. Si elle pensait que le chef du clan Carlington ressemblait à ça chez eux, elle se trompait. Mais que devait-elle dire, alors qu’elle la croyait encore être une prostituée qui jouait le rôle de la fille de Stein ?
— Réveille-toi, traînée !
Difficilement, tout en se tenant les côtes, Taeliya ouvrit les yeux. Le cliquetis des chaînes lui vrilla les tympans au point qu’elle versa quelques larmes en silence.
Fière de son geste, la femme la toisa du regard avec cet air d’impératrice qui ne lui allait pas.
— Mon mari a été trop gentil avec toi, hier soir ! Tu vas faire le service avec les autres ! Ça t’apprendra les bonnes manières ! s’exclama-t-elle, détruisant un peu plus l’ouïe sensible de Taeliya.
Elle quitta la pièce, laissant Natalia, qui l’avait accompagnée, s’occuper encore une fois de la prisonnière au corps affaibli. Le peu de forces qu’il lui restait ne fut pas un obstacle pour la femme qui ne lui adressa aucun geste doux.
— Avez-vous une bande assez forte pour m’entourer le corps ? Je crois que j’ai une côte cassée… demanda faiblement la jeune femme.
— Ouais, je vais te trouver ça.
La femme la laissa seule, la cage ouverte, ainsi que la porte de la chambre, mais
Taeliya ne pouvait pas fuir. Même si elle n’avait pas eu ces chaînes, elle avait trop mal pour tenter quoi que ce soit. Quand Natalia revint, elle l’aida à lui mettre la bande et serra en fonction de sa demande. Une fois fait, elle put finir de se préparer, monter vers les cuisines et s’emparer d’un plat.
— C’est la nouvelle ?
— Ouais, Madame veut qu’elle fasse le service.
— Regarde-la, elle va pas tenir la journée, comme ça. Elle est trop fragile.
— Madame lui a brisé les côtes.
— En plus ?!
— Est-ce que j’ai d’autres choses à prendre ? demanda Taeliya en trouvant dans la cuisine les deux femmes qui la dévisageaient.
— Ouais, prends la panière et le broc d’eau.
— D’accord.
Docilement, elle s’exécuta et apporta le tout dans la grande salle où elle avait dîné la veille. Quand elle y entra, le couple était déjà attablé. Lui lisant son journal et elle guettant son arrivée avec un sourire en coin qui s’élargit encore plus quand Taeliya apparut, mais la femme fit mine de ne pas l’avoir vue.
— Le petit déjeuner met du temps à être servi, aujourd’hui, fit-elle remarquer à son mari qui posa son journal sur la table pour découvrir Taeliya les bras chargés.
Son regard se fit plus acéré et un détail lui sauta aux yeux. Il se leva et lui prit ce qu’elle portait pour les poser violemment sur la table.
— Je peux savoir pourquoi vous faites le service ?!
— Madame m’a demandé de vous servir ce matin, afin de vous contenter, répondit Taeliya, le dos droit et la tête basse pour lui montrer sa soumission.
Peu content, il tourna vers sa femme un regard qui lui fit perdre son sourire triomphant.
— Ainsi donc, c’est à vous, ma chère, que je dois le déplaisir de voir MA petite chose servir ? Depuis quand avez-vous le droit de toucher ou de vous approprier ce qui est à MOI ?!
— Mais je…
— Madame pensait bien faire ! intervint Taeliya, cherchant à abréger son calvaire, afin de pouvoir manger ou au moins s’asseoir.
La douleur lui bousillait le corps, mais elle se donnait du courage pour continuer à jouer à ce petit jeu, sachant que Noah allait arriver pour tout raser.
— Vous n’avez pas à le faire, allez vous asseoir ! ordonna sèchement l’homme qui lui indiqua un fauteuil sur lequel elle prit plaisir à s’installer, se gardant bien de montrer la moindre émotion.
En colère, la femme la foudroya du regard. Le ton de son mari était sans appel. Taeliya était SON jouet et il ne la lui prêterait pas.
Il sonna le service et sa matinée commença ainsi, tandis que de l’autre côté de la ville…
[…]
Noah était parti courir. Ce que Taeliya lui avait raconté avait déclenché en lui une tempête mortelle qu’il contenait avec beaucoup de difficulté.
Ce soir, t’en fais pas… On pourra tout détruire, tenta de le tempérer Kaelis.
Je sais… Mais j’ai hâte de pouvoir y foutre le feu, gronda le mafieux, accélérant la cadence.
Et moi donc !
Contents d’être sur la même longueur d’onde, les deux démons continuèrent à discuter sur ce qu’ils s’apprêtaient à faire dans la soirée.
À son retour, le manoir était déjà bien éveillé et chacun semblait être survolté.
À peine eut-il mis un pied dans le hall qu’il fut déjà assailli par les cris de Stanislas qui devait comprendre que la situation était étrange. L’aura qui y régnait était néfaste pour lui et Noah ressentit une pointe au cœur. Il croisa Stein et Joe qui lui firent signe de se joindre à eux dans le bureau du chef de clan pour une énième réunion d’urgence.
Dans les escaliers, ils croisèrent Kim qui les accompagna. Noah et lui partageaient la même folie dévastatrice et ce sentiment de vide intense avant chaque mission ou chaque combat. Ils se connaissaient depuis si longtemps qu’ils n’avaient plus besoin de mots pour communiquer. Cette fureur qui les animait tous les deux était la même que pour le reste des leurs. Cependant, l’amitié qui reliait ces deux hommes était assez spécifique, contrairement à ce que Noah partageait avec le reste de ses sbires. Depuis le premier jour, Kim ne l’avait pas lâché. Ils avaient contracté une dette de vie l’un envers l’autre.
— Tout est prêt, dit Kim.
Noah hocha la tête.
Ils s’enfermèrent dans le bureau durant une bonne partie de la journée. Seuls les démons pouvaient y entrer, afin d’être mis au courant de ce qu’il se tramait.
Ce ne fut que dans le milieu de l’après-midi que Jess, Alya et quatre autres membres du clan furent appelés à les rejoindre.
Carl leur ouvrit la mine sombre et le regard noir profond. Alya frissonna. Elle avait voulu participer à cette mission de sauvetage, mais n’était pas préparée à être conviée à une réunion stratégique en présence des démons, ainsi que du grand patron dans son rôle de mafieux en colère.
L’ambiance était lourde, menaçante et électrique. Tout pour lui faire peur et lui donner l’envie de fuir à toutes jambes. Mais l’idée que la jeune princesse du clan soit prisonnière de ce couple horrible dont elle connaissait la réputation, ainsi que tout ce qu’il se racontait sur eux, la poussa à entrer.
Elle croisa le regard vide de son compagnon qui lui donna froid dans le dos. Jess la pressa d’aller s’installer sur un fauteuil, dans un coin de la pièce. Ce qu’elle fit, ne voulant pas se faire remarquer par ce regroupement de mafieux.
— Boss, fit Jess.
— Garçon, rétorqua Carl en posant une main sur son épaule. Tais-toi et attends. Ils ont pas fini.
Choquée, Alya regarda le démon, avant de reporter son attention sur le groupe d’hommes. Il leur fallut attendre une quinzaine de minutes encore avant qu’ils ne soient finalement intégrés à la conversation qui lui donna des nausées.
Pour Taeliya… s’encouragea-t-elle mentalement. Pour Taeliya…
[…]
Durant la journée, Taeliya souffrit de douleurs de plus en plus intenses. Se gardant bien de prévenir son kidnappeur pour ne pas se retrouver dans une situation encore plus compliquée que celle dans laquelle elle se trouvait déjà, elle dut endurer son état. Affublée d’une nouvelle tenue affreusement outrageuse, ils lui avaient épargné le maquillage. Ne voulant pas faire « souffrir » son visage avant ce soir. Car elle allait être exposée telle une vitrine alléchante. Du moins, c’était comme ça qu’on lui avait présenté la chose. Elle en avait ri intérieurement, mais son regard s’était un peu plus terni.
La douleur, l’humiliation, la fatigue et la peur la tenaient éveillée, gâchant la beauté de ses yeux, et son teint devenait de plus en plus blanc. Personne ne le remarqua ou alors ils faisaient semblant de ne pas le voir.
Étrangement, elle avait été tranquille durant tout l’après-midi. Hormis se trouver assise dans le grand bureau du maître des lieux à lire quelques livres sur l’art qu’elle connaissait déjà, qu’il lui avait laissé choisir parmi un choix très limité de lecture de sa soi-disant « grande bibliothèque », elle n’avait pas eu à se plaindre du sursis. Du moins, avant le nouveau saut dans l’horreur. Les douleurs ne s’étaient pas calmées non plus et elle avait souvent dû changer de position, afin de trouver la bonne pour soulager son corps endolori. À plusieurs reprises, la femme du maître des lieux lui avait fait des remarques. Son mari ne les avait regardées que du coin de l’œil, sans trop s’arrêter sur les échanges à sens unique de sa femme et son nouveau jouet qui semblait de plus en plus translucide.
Devait-il s’en inquiéter ?
Il avait hésité quelques instants, avant de se décider à ne rien faire, se concentrant sur ses dossiers, afin d’en avoir le moins possible avant la grande soirée à laquelle il avait hâte de participer.
Rien que de voir Stein Carlington, le regard furieux de découvrir sa fille habillée de façon bien trop aguicheuse, dans une tenue qui donnerait envie à n’importe qui d’y jeter un œil et de potentiellement lui proposer quelques milliers pour un moment avec la jeune femme… lui donnait une sensation de pouvoir.
Imaginer cet homme, sanglant et craint de tous, devenir un véritable petit chiot face à lui procura à cet homme infect une sensation grisante de surpuissance. Quand sa grande horloge sonna 17 h, il clôtura son dernier dossier, qu’il déposa sur la pile, s’étira et se leva.
— Il est l’heure pour vous d’aller vous laver et vous reposer, avant que Natalia ne vienne vous préparer ! déclara-t-il, tout en quittant la pièce.
Sa femme se leva de son fauteuil et n’attendit pas que Taeliya les suivent pour refermer la porte sur elle. La jeune femme soupira et l’ouvrit pour quitter à son tour les lieux. Elle retrouva Natalia qui la raccompagna dans sa chambre.
Une fois arrivées, Taeliya trouva un plateau repas et un verre d’eau.
— Vous devez manger ! ordonna la femme, avant de la faire rentrer dans la cage et de fermer derrière, la laissant seule.
Taeliya soupira. Elle préféra se coucher pour se reposer un peu, sans toucher au plateau. Pourtant, quand elle se réveilla une bonne demi-heure plus tard, elle se retrouva face à son geôlier en train de l’étudier, sourcils froncés, yeux brillants et un sourire en coin qui lui donna des frissons de dégoût.
— Eh bien, jeune fille ? Je vous fais porter de quoi vous sustenter avant le dîner et je vous retrouve à bouder votre plateau ?
— Désolée, Monsieur, répondit Taeliya en se tournant doucement pour ne pas aggraver ses douleurs. J’ai bien mangé à midi et je n’avais pas très faim. J’avais besoin d’un peu de repos pour ne pas vous faire honte ce soir.
Dans son jeu, la jeune femme tentait le tout pour le tout. Il n’y vit que du feu, visiblement satisfait de sa réponse. Il hocha la tête et quitta la chambre, emportant le plateau avec lui. Elle put respirer un peu, mais avisa l’heure sur le réveil. 18 h. Natalia n’allait pas tarder à arriver pour l’aider à se préparer. Encore une fois avec cette tenue ignoble qui la dénudait plus qu’autre chose. Vivement que Noah et son père viennent, car elle commençait à sentir les effets de l’absence du traitement. Si elle restait encore une journée sans soin, elle allait mourir. De quoi tous les presser à faire un carnage.
Plus que deux heures et elle serait enfin avec les siens.
Plus que deux heures et la fin de tout ça serait actée. Mais avant ça, il lui fallait subir le lavage qui allait agresser sa peau, puis l’habillage, tout en resserrant le bandage qui lui ceignait la taille, soulageant à peine sa côte qui n’avait de cesse de la faire souffrir.
Ce ne fut qu’une heure plus tard que Natalia arriva pour la conduire dans la salle qui leur servait de salle de bain. En moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire, elle se retrouva fardée, prête à accueillir, au bras de son kidnappeur, les invités qui se rinceraient l’œil et commenceraient à chercher à obtenir de Kingsley les faveurs de la jeune femme qui en avait déjà des nausées.
Quand son père passerait la porte, elle savait ce qu’il se passerait. Mais elle voulait surtout voir le regard violent et rassurant de son homme. Étrangement, le fait de savoir qu’elle verrait Kaelis leur montrer le vrai visage de celui qu’on appelle l’Oni lui donnait des bouffées de chaleur. Elle n’avait pas peur de la violence de son compagnon et encore moins de sa brutalité sanguinaire, bien au contraire ! Elle s’en trouvait plus excitée qu’autre chose et ce fut cette sensation qui l’aida à subir le traitement infligé par Natalia.
[…]
Stein attendait qu’Alya descende pour prendre le chemin de l’hôtel particulier où se déroulerait la réception. Il était en grande conversation avec Noah quand elle s’avança dans les escaliers. Les mafieux se tournèrent pour la voir affublée d’une robe offerte par Sonia. Elle s’arrêtait à peine au-dessus des genoux, d’une couleur semblable au velours et dont la texture était tout aussi douce. Un décolleté peu profond et moins provocant que les tenues que Taeliya était obligée de porter. Un maquillage naturel, une touche de parfum fleuri et une paire de talons. Elle portait un châle autour des épaules, ce qui complétait sa tenue. Elle avait réussi à se confectionner une coiffure digne d’un magazine de mode et des boucles d’oreilles fantaisies complétaient la tenue à la perfection, donnant des sueurs au chef qui se dit qu’il pouvait remercier sa fille d’avoir mis cette femme sur sa route. Maintenant qu’Alya s’était lancée dans la quête de se faire intégrer entièrement dans cette famille si particulière, elle n’avait plus aucun retour en arrière possible. Elle ferait en sorte que Taeliya s’en sorte pour retrouver sa famille et en profiter.
— Ma chère Alya, fit Stein. Vous êtes tout bonnement exquise.
— Merci, Monsieur Carlington, répondit-elle en lui adressant un sourire timide.
— Il est temps d’aller récupérer ma fille. En route !
— Oui, Chef !
Ils se dirigèrent vers le grand garage. Répartis en groupes, ils grimpèrent dans les véhicules réquisitionnés pour la mission et quittèrent le manoir. Mais avant cela, Stein se décida à un petit discours :
— Ce soir, Taeliya sera de retour parmi nous. Ma fille rentrera saine et sauve. Nous ferons de
Kinglsey un exemple qui fera comprendre à nos ennemis qui nous sommes et qu’il ne faut pas jouer avec notre famille !
— Ramenons la princesse ! s’écria l’une des femmes en colère.
— Oui, ramenons la princesse ! Kingsley sera mort ce soir !
— Kingsley ? À compter de ce soir, ce nom n’existera plus. En route ! gronda Stein.
Il grimpa à l’arrière d’un SUV conduit par Marc, Jess en copilote et Alya assise à l’arrière avec lui. Le chef lui prit la main, comme pour tenter de se canaliser avant le grand moment, mais sa colère bouillonnait trop fort en lui. Aujourd’hui, ces dégénérés allaient malheureusement connaître une destinée bien trop tendre à son goût.
Devant eux se trouvait le véhicule des démons duquel on pouvait ressentir les auras sombres et diaboliques qui les caractérisaient s’échapper.
— Stein, l’Oni ne va rien laisser, n’est-ce pas ?
— Le lien entre ma fille et lui est très difficile à comprendre. Il possède le même regard que celui que j’ai pu avoir il y a une vingtaine d’années, quand ma femme a été tuée. Celui d’un homme qui s’est fait une dangereuse promesse.
— Madame Alya, ne vous mettez pas sur le chemin de l’Oni, lui conseilla Jess. Il écoutera personne.
— Si… Il l’écoutera Elle ! termina Stein d’une voix dure.
Durant le trajet, Alya put observer les dégâts qu’avait causés l’enlèvement de la jeune femme. Le clan était connu pour être violent. Pas autant que ce groupe de démons, mais ils n’avaient pas à rougir d’une réputation tout aussi sombre. Ils étaient tous connus pour ne pas être des tendres. Elle se retrouvait maintenant en plein dans l’action et se dit qu’elle n’aurait pas dû être là. Mais depuis qu’elle connaissait la jeune femme et encore plus depuis qu’elle avait rencontré son père, la coiffeuse ne pouvait se défaire de cette envie de faire partie de ce clan. C’était comme obsessionnel et elle n’arrivait pas à s’en séparer. De plus, son cœur battait trop durement pour Stein Carlington et pour sa fille aussi belle qu’une fée des bois.
Elle pouvait voir ses veines ressortir de son cou et parcourir ses mains tatouées des ronces du clan. Cette vision lui donnait des bouffées de chaleur et elle se dit qu’elle comprenait enfin la fascination de Taeliya pour l’Oni. Leur côté mauvais garçon était certes très excitant, mais ce qui les attirait toutes les deux, c’était le côté dangereux et l’aura mortelle qui entouraient les deux hommes, comme s’ils étaient les envoyés de la Mort elle-même. C’était pourtant ce qui aurait dû les faire fuir, mais non…
— On arrive ! les prévint Jess en se tournant vers eux.
***

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