Chapitre 6 - Partie 1

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KALOR


  La surprise ne figea le patron de la maison Irigyès qu'une demi-seconde. Dents serrées, regard noir, il se jeta sur moi, imité par son pair. J'esquivai sans mal le coup du premier, trop prédictible. Le second proxénète en revanche fut bien plus méthodique : il avait attendu que je bouge pour déduire où j'allais arriver avant d'attaquer. Je me décalai juste à temps pour ne pas recevoir son tibia dans l'estomac, puis ripostai et portai une estocade à sa taille. La lame se brisa contre sa chair. Ma langue claqua contre mon palais.

  Le Muraille...

  Je m'empressai de reculer en voyant son pied se diriger sur mon genou et arrivai au niveau dudit Gérard. Un sourire mauvais aux lèvres, il essaya d'en profiter. Son crochet, toujours aussi maladroit, fut tout aussi facile à éviter que le précédent. Entraîné par son élan, il ne put s'arrêter à temps et son poing atterrit dans le mur, qui éclata sous l'impact. Le Puissant.

  Malgré sa force redoutable, je me méfiais plutôt du Muraille. Sa façon de se déplacer, d'observer mes mouvements avant de frapper, la précision de ses coups... Lui savait se battre, et bien. Avec sa peau plus dure que la pierre, le mettre hors d'état de nuire allait être compliqué. Elle arrêterait n'importe quel type de coup ; arme, poings... ils allaient se briser au contact de son corps.

  Je devais couper court au combat.

  Alors qu'ils se jetaient ensemble sur moi, je ne bougeai pas d'un centimètre puis me téléportai à la dernière seconde.

  –Gérard dans ton dos ! cria le Muraille lorsqu'il me vit.

  Le Puissant ne réagit pas assez vite. D'un geste vif, je me saisis de mon second poignard et il se retrouva la lame sous la gorge.

  –Un seul geste et je t'égorge, le mis-je froidement en garde. Maintenant, dites-moi où sont les filles.

  –En quoi ça t'intéresse, ce ne sont que des catins.

  Mon sang ne fit qu'un tour en moi ; j'appuyai un peu mon arme sur sa peau. Il déglutit avec difficulté, sa pomme d'Adam frottant contre le tranchant.

  –Réponds.

  Le reflet de la vitre renvoya le sourire mauvais qui fendit son visage.

  –Elles sont dans un tel état que tu ne pourras plus les reconnaître, Voyageur.

  Son coude recula d'un coup et percuta mon torse Un craquement sourd retentit. Le souffle coupé, je fus projeté en arrière et me heurtai au mur. Le temps que je retrouve mes esprits, tiraillé par la douleur, le Muraille était déjà sur moi, le poing à quelques centimètres de mon visage.

  Je me téléportai immédiatement, sans avoir le temps de bien visualiser l'endroit où je voulais apparaître. Et juste devant le Puissant, encore tordu par les élancements de mes côtes, n'était pas ce que j'aurais choisi si j'avais eu une seconde de plus. Son regard croisa le mien. Comme au ralentit, je vis sa main s'approcher dangereusement de moi. Au moment où elle commençait à se fermer pour former un poing et où je m'apprêtais à disparaître de nouveau, un carreau la traversa de part en part. Un hurlement de douleur échappa au patron. Il se tourna en même temps que moi vers le couloir, le trait toujours enfoncé dans la paume et fou de rage.

  Il se pétrifia.

  –La prochaine sera dans la tête, annonça le Marquis Marcus depuis le fond du couloir, arbalète à l'épaule.

  Derrière nous, le second souteneur bougea. Le Gardien dévia légèrement la trajectoire de son arme.

  –Ça vaut aussi pour vous, ajouta-t-il en s'approchant.

  Le Muraille ricana.

  –Tu crois que tu me fais peur ? Aucune arme ne peut me blesser !

  –Pour le moment...

  Le coup partit dans la seconde ; le Puissant se retrouva épingler au mur, un carreau dans l'épaule. J'eus à peine le temps de le réaliser que le Marquis rejetait son arbalète dans son dos et pénétrait dans la pièce.

  –Je vous laisse celui-là, me glissa-t-il en passant à côté de moi.

  Puis il fondit sur le Muraille sans aucune arme. Le visage de ce dernier perdit toute couleur lorsqu'il se rendit compte de la nature de son nouvel adversaire. Sa mâchoire se crispa et il porta un premier coup dès que le Marquis fut à sa portée. Le Gardien évita le coup avec agilité, se glissa sous son bras, puis plongea une main vers son visage. La peur tendit les traits du proxénète et il s’éloigna d’un bond en arrière.

  Le Marquis avait-il tenté... de lui enlever son pouvoir ? En plein combat ?

  Un grognement détourna mon attention de cette bataille et la ramena vers la mienne. Le Puissant venait d'arracher les carreaux de sa chair. Le regard fou, il glissa une main dans son dos et en sortit une lame. Il ne me fallut qu'une seconde pour la reconnaître. Ce poignard... appartenait à Lunixa.

  Le brasier explosa. Il se rependit en moi tel un torrent de lave, dévora la douleur de ma poitrine, aviva ma colère. Je me jetai sur le Puissant. Il n'eut pas le temps d'esquisser le moindre geste que je le désarmai. Il tenta de m'asséner un crochet du droit. Vif, je franchis sa garde et le frappai à la gorge. Son souffle en fut coupé net. Je l'achevai d'un violent coup de pied retourné en pleine tête. Il s'écroula sur le champ, assommé.

  Au même moment, un autre corps tomba au sol. Mon regard glissa sur le côté. Le Muraille se trouvait à terre, le Marquis à cheval sur son torse. Ce dernier plaqua une main contre son front, le regard dénué d'expression, alors que l'horreur déformait les traits de son adversaire. Le Muraille se pétrifia l'espace d'un instant, puis se mit à hurler.

  –Noooooooooooooooon !

  La paume du Marquis se décolla de son visage. Une fine lame, un stylet dépourvu de garde, jaillit de sa manche. Il s'en saisit et l'enfonça dans l'épaule de son opposant, le clouant au plancher. Un cri sourd échappa au Muraille.

  –Tu vois, lui souffla le Marquis, les armes peuvent te blesser à présent.

  Cette scène me sortit de l'état second dans lequel j'étais plongé. Il lui avait retiré ses pouvoirs ? Mais... il ne l'avait touché que quelques secondes ! Il fallait en moyenne près d'une minute aux Gardiens pour dérober notre essence.

  Le Marquis enfonça une autre de ses armes dans la seconde épaule du proxénète pour l'empêcher définitivement de bouger, puis il se releva.

  –Lequel des deux est votre suspect ?

  Je désignai celui à mes pieds. Le Puissant était en train de revenir à lui. Le Marquis se plaça à mes côtés, bras croisé sur son torse.

  –Si tu ne veux pas perdre ton pouvoir à ton tour, tu as intérêt à répondre à nos questions.

  –Mon pouvoir ? cracha le patron. J'en ai rien à battre de perdre mon pouvoir !

  Jusqu'à présent totalement impassible, le visage du Marquis s'arma d'un sourire mauvais. Il haussa un sourcil.

  –Un Lathos qui se moque de devenir humain... Voilà qui est intéressant.

  C'était pourtant le cauchemar de tout ceux de notre espèce, alors pourquoi cet homme... Mon sang se changea en lave lorsque je compris la raison. Il n'était pas à l'origine de ces enlèvements, il n'en était que l'exécutant. Quelqu'un d'autre les avait orchestrés, quelqu'un qui avait la mainmise sur lui et l'effrayait bien plus que l'idée de devenir humain. Le vrai responsable de toute cette histoire.

  Lunixa…

  –À qui as-tu données les filles ?

  Ses lèvres s'ourlèrent d'un demi-sourire.

  –Tu aimerais le savoir, hein, Voyageur ?

  Il roula sur le côté pour se redresser. Le monde se couvrit d'un voile monochrome. Je ne le laissai pas se mettre debout et abattis mon pied sur sa tempe. Il s'effondra à nouveau, à moitié sonné, mais tenta malgré tout de se relever. Je posai un genou à terre et empoignai sa gorge pour le plaquer au sol. Il se mit à hurler et à se tordre de douleur.

  –À qui les as-tu données ?!

  Ses cris redoublèrent d'intensité. Il voulut retirer ma main de son cou mais à peine ses doigts effleurèrent-ils ma peau qu'il les écarta en hurlant de plus belle.

  –Réponds-moi !

  Une main se referma soudain sur mon poignet et m'arracha à ma prise.

  –Qu'est-ce qui vous prend ? m'emportai-je.

  Le Marquis Marcus ne me répondit pas, trop concentré sur le Lathos à mes pieds qu'il fixait sans ciller. Son regard finit par s'en détourner pour venir rencontrer le mien. L'espace d'un instant, ses yeux s’agrandirent avant de retrouver leur indifférence.

  –Il ne pourra pas nous dire où est votre femme si vous le brûler à mort.

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