Chapitre 11 - Partie 2

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  En retournant dans la chambre, j'eus la déplaisante surprise de découvrir que toutes les filles étaient vêtues de tenues de l'Ancien Temps, même Magdalena. Elle s'était finalement changée dans la chambre avec les hétaïres. L'ensemble que lui avait choisi l'Horloger se composait d'une simple robe en laine vert forêt qui suivait les lignes de son corps et lui arrivait à mi-cuisses, d'un collant plus fin que le mien et de petites bottines en cuir à talons.

  Robe et culotte courtes, pantalon en cuir moulant, d'une façon ou d'une autre, nos jambes étaient plus ou moins dévoilées. C'était la seule chose qu'il avait retenu de l'évocation de l'Anamnisi durant notre conversation.

  –Ça faisait longtemps qu'il nous avait pas donné des vêtements pareils, commenta Berta en ajustant les plis de son haut. C'est toujours aussi bizarre.

  Bizarre n'était pas suffisant pour décrire ce que je ressentais. J'avais presque l'impression d'être nue.

  L'Horloger revint quelques minutes plus tard et nous ordonna de nous mettre en ligne. Tel un capitaine inspectant l'état de ses troupes, il nous passa en revue, nous étudiant avec attention pour juger le résultat de ses choix. Lorsqu'il arriva devant moi, il ouvrit sans vergogne mon gilet. Je ne pus m'empêcher de tressaillir. Tout comme il l'avait fait avec les autres, son regard me détailla lentement de bas en haut. Le coin de ses lèvres se souleva.

  –Tu as des jambes de rêve, ma douce, ne les cache pas. (Il s'écarta d'un pas.) Bien, vous êtes toute parfaite. Maintenant, ma petite rousse, suis-moi, tu vas préparer le petit-déjeuner.

  Un frisson traversa Magdalena. Avant même de m'en rendre compte, je m'étais placée devant elle.

  –Elle est fiévreuse, intervins-je, elle a besoin de repos.

  –Ce n'est que cuisiner, ma douce, ne t'inquiète pas, elle aura toute la journée pour se reposer. Maintenant, petite rousse, viens.

  Son regard sombre m'intima de ne pas insister. Il m'avait rappelé plus d'une fois qu'elle n'était qu'un bonus à sa collection ; il n'hésiterait pas à s'en prendre à elle. Rongée par l'inquiétude, je repris ma place et observai Magdalena disparaître avec lui.

  –Pourquoi n'a-t-il pas encore ramené Hermine ? demanda Ottilie, après leur départ.

  Je baissai les yeux pour croiser les siens ; elle était toujours coincée dans son corps de petite fille.

  –Que veux-tu dire ?

  –Normalement, il ne fait jamais sortir deux filles en même temps. Quand on passe la nuit avec lui, il nous reconduit à la chambre avant d'en choisir une autre pour le petit-déjeuner.

  Pourtant il était aussi venu ici pendant la nuit…

  –Il couche avec une fille tous les soirs ? m’enquis-je.

  –Oui, confirma Hedwige, et quand ton tour viendra, je te conseille de te plier à ses désirs au risque de te faire punir comme Hermine ou Otti.

  –Au moins, j'ai essayé de résister ! rétorqua cette dernière.

  –Et regarde comment tu as fini.

  Des larmes de colère et de détresse gagnèrent les yeux de la sœur de Sven, et elle se réfugia dans la salle de bains. Berta réprimanda Hedwige, tandis que je fixais la porte close qu'Ottilie venait de passer. J'aurais voulu l'aider à redevenir celle qu'elle était, mais je n'en avais pas le pouvoir. Elle resterait dans cet état tant que l'Horloger le jugerait nécessaire.

  Une pensée horriblement malsaine jaillit soudain dans mon esprit.

  –Lui est-il arrivé de coucher avec vous après vous avoir rajeunies ?

  –Pas quand si on est aussi jeune qu’Otti, répondit Hedwige. Par contre, quand il lui rendra son âge normal, il risque de la faire passer par un stade intermédiaire : l’âge qu’elle avait quand elle a perdu sa virginité. Il l’a déjà fait à plusieurs reprises après avoir puni Hermine. Je crois qu’il aime bien nous déflorer.

  Une vague de nausée me gagna. C’était ignoble, d’une perversité et cruauté inimaginable !

  –Avez-vous déjà tenté de vous échapper ? m'enquis-je aussi écœurée que révoltée par cette pratique.

  –Oui et non. Personnellement, j'ai trop peur de ce qu'il pourrait me faire, avoua Berta. Ottilie a déjà essayé, il y a trois jours, lorsque l'Horloger l'a choisie pour la nuit ; c'est pourquoi elle a été punie. Hermine a été la première à avoir été enlevée. On ne compte plus ses tentatives, mais elle s'est fait prendre à chaque fois.

  –Pourriez-vous me décrire le manoir ? Je n'ai traversé qu'un couloir, hier.

  –Tu veux t'enfuir ? s'affola Hedwige. Après tout ce qu’on vient de te dire, tu devrais avoir compris que c’est impossible !

  –Tu as peut-être accepté ton sort, mais ce n'est pas mon cas, répliquai-je. Il est hors de question que je le laisse me toucher plus qu'il ne le fait déjà. Alors l'une d'entre vous peut-elle me décrire ce maudit manoir ? J'ai besoin de le connaître les lieux.

  –Ne viens pas te plaindre quand il te punira.

  Elle retourna s'asseoir à table. Je reportai mon attention sur Berta.

  –On est au troisème étage, m'expliqua-t-elle. Au fond du couloir, à droite, il y a un escalier qui permet de descendre au rez-de-chaussée et qui donne directement sur l'entrée. Mais c'est impossible de mettre un pied dehors : toutes les portes sont fermées à clef et les fenêtres sont condamnés.

  –Comment le sais-tu, tu es déjà descendue ?

  –Oui, la cuisine est en bas et on passe devant la porte d'entrée dès qu'on doit s'y rendre.

  Ma mâchoire se contracta. À chaque fois que je pensais ne pas pouvoir détester davantage cet homme, on me prouvait le contraire. Nous montrer que la sortie était juste là, à portée de main, mais à la fois hors de d’atteinte était tellement vicieux, sournois… Comment pouvait-on se comporter de la sorte, être aussi cruel ?

  Je secouai la tête pour chasser ces questions de mon esprit. Je n'avais pas le temps de m'interroger sur l'attitude condamnable de notre ravisseur, je devais me concentrer sur notre fugue.

  –A-t-il un emploi du temps précis ?

  –Plus ou moins, répondit Ottilie en revenant dans la pièce, les yeux encore humides. Le matin, il vient chercher l'une d'entre nous pour faire le petit-déjeuner, puis il en choisit une avec qui passer la matinée ; c'est souvent elle qui s'occupe aussi du déjeuner. Ensuite, il en prend une ou deux pour passer l'après-midi, mais chacune notre tour si c'est deux. Puis pour finir il en choisit une pour le dîner et une dernière pour la nuit.

  –Et il laisse les autres ici sans surveillance quand il n'est pas là ?

  –Pas vraiment, intervint Berta. Déjà, on est enfermée à clef, donc on risque pas de sortir, et en plus, il vient souvent vérifier ce qu'on fait.

  –Pourtant, hier, il a passé toute l'après-midi avec moi, fis-je remarquer.

  –C'est rare qu'il le fasse ; ça veut dire que tu l'as occupé suffisamment pour qu'il nous oublie l'espace de quelques heures.

  –Et il n'y a personne d'autre que nous ici ?

  Elles secouèrent la tête.

  Très bien.

  Maintenant que je savais où était la sortie, il me restait à mettre en place un plan pour y accéder, l'ouvrir et faire sortir tout le monde. Le fait que l'Horloger soit seul allait jouer en notre faveur : nous n'avions qu'à nous méfier de lui. Qu'il pense que nous enfermer à double tour suffisaient à nous garder prisonnières était aussi à notre avantage ; déverrouiller les portes risquait de me prendre du temps, mais ce n'était pas un obstacle insurmontable. La vraie difficulté venait en réalité de ses passages imprévus dans cette chambre ; elles allaient limiter ma marche de manœuvre.

  Je passai nerveusement une main dans mes cheveux. À cause de ces visites imprédictibles, un jour me semblait trop juste pour sortir sans risque. Malheureusement je ne pouvais m'accorder plus de temps, pas avec ce qui m'attendait cette nuit. Nous devions sortir aujourd'hui, ce n’était pas une option.

  Alors que j'allais m'approcher de la porte pour étudier la serrure, je me rendis compte que toutes les filles me fixaient d'un air désolé.

  –Qu'y a-t-il ?

  –Pourquoi tu ne nous as pas dit qu'il t'avait vieilli ? demanda Berta. On ne t'aurait pas jugée.

  Mon cœur manqua un battement.

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