Chapitre 27 - Partie 1

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LUNIXA


  La gorge nouée comme rarement elle l'avait été, j'eus toutes les difficultés du monde à ne pas fondre en larmes. Les mots de Magdalena et la sincérité qui transparaissait dans chacun d'entre eux me touchaient au plus profond de mon être. Toute la peur que j'avais ressentie s’effrita, puis tomba en morceau, entraînant avec elle le poids de ce secret.

  –Merci.

  Je fus incapable d'en dire plus sans me mettre à pleurer. Magdalena me sourit et serra ma main en silence. Il n'y avait rien à ajouter, tout avait été dit.

  Son regard s'attarda sur moi encore un instant, puis se baissa vers la photo qu'elle tenait toujours.

  –Je n'aurais jamais pensé que vous aviez fui pour cette raison, avoua-t-elle. Des enfants...

  Je ne savais pas encore que j'étais enceinte au moment de ma fugue, mais je ne la corrigeai pas. Cela n'avait aucune importance.

  –Ce sont des jumeaux, précisai-je.

  –Même si je croyais qu'ils n'en existaient plus, je m'en suis doutée. Ils ont l'air d'avoir le même âge et j'imagine qu'attendre un enfant aussi jeune a été assez traumatisant pour que vous ne recommenciez pas.

  Le cœur lourd, j’acquiesçai. Découvrir qu’Arès m’avait fécondé m’avait traumatisé à jamais et apprendre que j'allais donner vie à un second enfant, juste après la naissance du premier, avait été le coup de grâce. Il m'avait fallu beaucoup de temps pour me reconstruire après cette épreuve. Je n'étais d'ailleurs toujours pas parvenue à m'en remettre entièrement ; mes terreurs nocturnes continuaient à tourmenter mon sommeil.

  –Puis-je connaître leur nom ? s’enquit Magdalena, me détournant de ces sombres pensées.

  –Bien sûr. (J'essuyai les quelques larmes qui m'avaient échappé, puis désignai mon fils.) Alors voilà Alexandre et sa sœur, Éléonora.

  –Votre fils me rappelle les portraits de votre frère Apollon, quand il était enfant.

  –Ils se ressemblent, confirmai-je.

  Sans être de parfaites copies, comme ma mère et moi aurions pu l'être si j'avais encore des yeux bruns et des cheveux bruns, ils avaient beaucoup de traits en commun. Je ne savais pas si cela changerait à l'avenir, mais pour l'instant, il n'était pas difficile de revoir le visage enfantin de mon frère à travers celui d'Alexandre. C'était à cause de cela que je ne pouvais garder ce cliché au palais tant que la délégation serait présente. Si ma ressemblance avec la reine pouvait passer pour une coïncidence, que mon frère fasse aussi penser à Apollon pourrait éveiller les soupçons.

  –Qui d'autre est au courant ? poursuivit-elle.

  –Seulement mes parents adoptifs, mais depuis la mort de mon père, Giulia était la seule.

  Les fins sourcils de Magdalena se froncèrent. Elle me dévisagea d'un drôle d'œil, puis regarda de nouveau la photo, l'air perdu.

  –Qu'y a-t-il ?

  –Si les gouvernantes de vos enfants ne sont pas au courant, comment cachez-vous leur marque ?

  –Leur marque royale ? m'assurai-je. Ils n'en ont pas.

  Surprise, elle cilla plusieurs fois.

  –Parce qu'ils sont illégitimes ?

  –Non, pas du tout. Même si tous les enfants d'un roi naissent avec cette tache de naissance, seul son successeur légitime possède ce que nous appelons « l'héritage de la marque », la capacité de la transmettre à sa descendance. Il s'agit normalement de l'aîné de la famille, mais en cas de décès, cette aptitude se transfert au membre de la famille le plus proche. C'est ce qu'il s'est produit à la mort de mon frère Poséidon et désormais, les enfants d'Apollon viendront au monde avec une marque royale. Dame Nature a mis en place cet héritage afin de limiter le nombre de personnes possédant ces taches de naissance et d'éviter les luttes pour la couronne, même au sein d'une fratrie. Si un Prince venait à monter sur le trône mais que ses héritiers naissaient sans la marque, tout le monde saurait qu'il usurpe la place du successeur légitime.

  –Maintenant que vous le dites, il me semble en avoir vaguement entendu parler, murmura Magdalena, songeuse.

  –Ce n'est pas quelque chose que nous abordons souvent et comme nous évoluons principalement au sein de la noblesse, ces informations sont très peu sorties de ce milieu. Mais étant donné que tu travailles au palais, cela ne m'étonne guère.

  Son regard s'illumina d'un coup.

  –Cela me revient. Je n'en ai pas entendu parler, mais j'ai surpris quelques bribes de pensées à ce sujet dans l'esprit de la reine. Elles restaient cependant très floues et avant vos explications, je n'avais jamais compris ce qu'elle voulait dire par « l'héritage de la marque ». Même quand elle y a beaucoup pensé en découvrant la grossesse de la Princesse Mathilda.

  Cela ne me surprenait pas. Elle avait voulu s'appuyer sur la stérilité de Thor pour légitimer l'ascension de Kalor, bien qu’il ne soit pas le successeur légitime. Comme son frère ne pouvait avoir d'enfant, il finirait bien par le devenir, alors pourquoi retarder les choses ? Mais Mathilda était tombée enceinte et ses plans ne tenaient désormais plus qu'à un fil. Si l’enfant qu’elle attendait était bien celui de son mari, ce dont je ne doutais pas, Kalor ne pourrait plus accéder à la couronne par ce biais.

  –Il y a juste un point que je ne comprends pas, reprit Magdalena. Vous avez dit qu'en cas de décès, l'héritage de la marque se transmettait au membre de la famille le plus proche. Alors pourquoi ne vous est-il pas revenu et pourquoi la reine n'a pas voulu pousser Valkyria a monté sur le trône ? Vous êtes toutes deux les secondes de vos fratries.

  –Car nous sommes des femmes. J'ignore pourquoi, mais l'héritage se transmet avant tout aux hommes... Si certaines Princesses trouvent cela injuste, je suis heureuse d'y avoir échappé, avouai-je.

  –Pourquoi ?

  De vieux souvenirs ressurgirent et me nouèrent l'estomac.

  –Recevoir l'héritage de la marque... est loin d'être indolore. Comme si la perte d'un frère n'était pas assez douloureuse, notre tache de naissance brûle à un point inimaginable. Un matin, alors qu'Apollon et moi jouions avec des petits soldats de plomb dans sa chambre, nous avons soudain hurlé. Un élancement comme je n'en avais jamais connu s'était déclenché à l'emplacement de ma marque. Cela n'a duré qu'une seconde pour moi, la douleur dans ma cuisse ayant disparu aussi vite qu'elle n'était apparu. Mais Apollon... Jamais je ne pourrais oublier cet instant. Il se tordait dans tous les sens, hurlait jusqu'à s'en déchirer la voix, se griffait le cou, là où se situe sa marque royale, comme s'il cherchait à l'arracher.

  » Les gardes n'ont pas tardé à arriver, alertés par ses cris, et ma mère a suivi juste après. Dès que son regard s'est posé sur Apollon, quelque chose s'est brisée en elle. Elle avait compris avant tout le monde que son premier fils n'était plus et une partie d'elle est morte à ce moment. J’ignore comment elle a fait pour ne pas s'effondrer, mais elle n'a pas versé une larme et nous a immédiatement emmené dans un abri royal, où elle a essayé d'apaiser Apollon. En vain. Il a continué à hurler pendant plus d’un quart d’heure.

  Une larme m'échappa à ces souvenirs. Voir mon petit frère de tout juste neuf ans souffrir autant, sans que rien ne puisse l'aider, avait été l'un des pires moments de ma vie. Quant à ma mère... Elle l'avait caché dû mieux possible pour ne pas nous inquiéter, pour être ce soutien dont nous avions besoin, cependant son regard avait reflété une telle tristesse... Aucun de ses sourires réconfortants n'avaient pu l'effacer.

  –Cette douleur insupportable est la première raison pour laquelle je suis contente de ne pas avoir reçu l'héritage de la marque. Je ne sais pas si j'aurais eu la force de la supporter comme lui l'a fait. La seconde raison est arrivée quelques années plus tard, quand j'ai fui le château. Je n'aurais jamais pu me faire passer pour morte si j'étais devenue l’héritière légitime et mes enfants seraient nés avec une marque royale.

  –Je ne souhaite en aucun cas que cela se produise, mais s'il arrive malheur à votre frère, que se passera-t-il ?

  Mes muscles se tendirent.

  –Je refuse d'y penser.

  Je ne pouvais perdre mon dernier frère. Même si je ne l'avais plus vu depuis près de neuf ans, je l'aimais toujours autant et ne pourrais supporter son décès, ni ce qui en découlerait. Devenir à mon tour l'héritière de la marque. La voir apparaître sur mes enfants alors qu'ils auraient à endurer la même souffrance que leur oncle...

  Magdalena pinça ses lèvres.

  –Je suis navrée, Madame, cette question était déplacée.

  –Pas du tout, elle est légitime.

  J'avais beau ne pas vouloir y songer, cela me travaillait aussi beaucoup.

  Les doigts de Magdalena étreignirent les miens en guise de soutien, puis elle reporta son attention sur la photo. Son visage se détendit et un doux sourire illumina ses traits.

  –Quoi que vous ayez traversé depuis votre fugue et quoi que vous ayez à traverser à l'avenir, ne doutez jamais de vous, Madame. Vous aurez la force de vous relever.

  –Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

  Elle tourna le cliché vers moi.

  –Le bonheur qui transparaît sur cette photo. Vous n'auriez pas réussi à retrouver le sourire et à le transmettre à vos enfants si étiez faible.

  –C'est parce que les Zacharias étaient là pour moi, la contredis-je. Je n'y serais parvenue sans eux. Ni sans toi depuis que je suis dans ce pays. Même avant que je t'avoue ce secret, tu as toujours été là pour me soutenir, alors merci. Merci pour tout.

  –Vous n'avez pas à me remercier, c'est normal.

  Bien sûr que si...

  Toujours souriante, elle rangea la photo dans l'enveloppe, puis récupéra les autres objets que je lui avais confiés. Je ressentis un léger pincement au cœur en les voyant disparaître dans une commode remplie de chutes de tissu et de matériels de couture.

  –Voilà, personne ne devrait songer à fouiller ici. Je vous les ramènerais quand la délégation sera partie et que je reviendrais au châ...

  Un tambourinement retentit soudain contre la porte et la coupa dans sa phrase. Il me surprit tant que je sursautai.

  –Psiiiiiiit, Magda ! Ouvre la porte. Je veux voir la Silencieuse.

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