Chapitre 43 - Partie 1

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KALOR


  –Comment va-t-elle ?

  –Je l'ignore.

  Le visage de Lunixa semblait détendu, son sommeil profond, mais cela ne voulait absolument rien dire. Je l'avais appris de manière forte cette nuit.

  Mes muscles déjà grandement crispés se tendirent encore plus ; la température de ma peau s'accentua. Les dents serrées, je me mis à enrouler mes bandes de combats autour de ma main avec des gestes de plus en plus secs.

  –Kalor..., murmura Valkyria en se rapprochant.

  Je bloquai l'extrémité du tissu en le glissant sous les différentes couches au niveau de mon poignet, puis m'éloignai avant qu'elle ne m'atteigne.

  –Vieille sur elle, ordonnai-je d'une voix sombre.

  Sans attendre la réponse de ma sœur, je passai de l'autre côté du rideau et quittai les appartements de Lunixa.

  Personne ne chercha à me parler ou à m'arrêter alors que je traversais le palais à grandes enjambés : nobles comme domestiques, tous s'écartaient au contraire sur mon passage, un filet de crainte dans les yeux. Je ne m'en formalisai nullement et continuai d'avancer sans essayer de contenir la sombre colère qui couvait en moi. J'en aurais été bien incapable de toute façon. Elle avivait le feu de mes veines, consumait chaque parcelle de mon être, transparaissait par tous les pores de ma peau... En me voyant dans cet état, un éclat dangereux dans le regard et vêtu de ma tenue de combat, seul un fou aurait tenté de m'interpeller.

  Même une fois au complexe d'entraînement, aucun soldat n'essaya de m'adresser la parole. Je ne sentais que leur attention qui me suivait tandis que je me rendais dans la zone des sacs de frappe. Arrivé devant celui qui était le plus éloigné des allées, je pris à peine le temps de bander mes chevilles avant de porter le premier coup. Le premier d'une série aussi intense que violente. Comme une étincelle qui met le feu aux poudres, ce crochet venait d'embraser l'ire qui avait gonflé en moi depuis le départ du médecin, après la terreur nocturne de Lunixa. Pieds, poings, cela n'avait aucune importance tant que je frappai ! Tant que j'extériorisai toute cette agressivité !

  Le sac de sable prit plusieurs formes alors que mes coups devenaient de plus en plus puissants : celle de l'Horloger que je n'avais pu faire payer et qui continuait de hanter ma femme, celle de ma stupidité qui m'avait poussé à ne pas prévenir tout de suite un praticien de son état, celle de ma fierté qui m'avait poussé à croire qu'elle n'avait besoin que de moi, celle de mon impuissance face à sa détresse de la veille, celle de mon incapacité à la réconforter...

  Mon souffle se raccourcissait, de la sueur coulait de mon front à mes yeux, la morsure de l'effort commençait à brûler mes muscles, mais frapper cet adversaire immobile ne suffisait pas. Après un dernier coup qui manqua de le décrocher de son portoir, je me tournai vers les zones de combats au corps à corps et m'y rendis sans attendre. Il ne me fallut pas une minute pour faire mordre la poussière à mon premier opposant.

  Les soldats se succédèrent les uns après les autres, mais aucun ne réussit à me mettre à terre, même ceux qui me posèrent quelques difficultés. Ces derniers, en revanche, m'obligeaient à me concentrer davantage sur l'affrontement et parvenaient à me détourner en partie des objets de ma colère.

  –Suivant ! ordonnai-je après avoir gagné à nouveau.

  Où était passé ceux qui excellaient en combat rapproché ? Seuls ceux-là étaient susceptibles de me faire oublier mes problèmes.

  J'enchaînai encore trois affrontements avant de m'arrêter en remarquant les tâches rougies sur les bandes qui enserraient mes mains, au niveau de la premières articulation de mes doigts. Malgré les couches de tissu protecteur, j'avais porté tant de coups que ma peau avait cédé.

  Dans un claquement de langue excédé, je me retirai du terrain, puis ôtai mes bandes en marchant vers les zones d'entraînements à l'épée.

  –Quelque chose vous travaille, Altesse ?

  Le silence tomba comme une chape de plomb autour de nous. Le regard mauvais, je me tournai vers le général en chef d'Illiosimera. Il était le premier à oser me parler depuis le début de la journée, en dehors de Valkyria.

  –J'ai eu vent de l'état de votre femme, poursuivit-il en se rapprochant. Elle n'avait pas évoqué ses terreurs nocturnes lors de notre entretien.

  –Elle n'aime pas en parler.

  –Savez-vous ce qui en est à l'origine ?

  –Sa famille en temps normal et l’Horloger aussi depuis son rapt, répondis-je vaguement en saisissant une lame d'entraînement.

  Le Marquis m’imita.

  –Puis-je savoir ce que vous faites ?

  –Il semble que personne n'arrive à vider votre esprit.

  Il bougea et d'un coup, son arme se retrouva juste devant mon visage. Je ne la contrai que par réflexe, à la dernière seconde. Interdit, je fixai les deux fers croisés, puis portai mon attention sur le Marquis Marcus. Son visage avait perdu toute chaleur et semblait à présent dénué de toute expression, à l'instar de son fils.

  –Je me propose donc comme adversaire, déclara-t-il.

  Il s'écarta, puis se rendit au centre du terrain. Sans un mot, je lui emboîtai le pas et me plaçai face à lui. Dès que nous nous fûmes salués, le premier coup partit.

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