Chapitre 50 - Partie 1

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LUNIXA


  –Que... Qu'est-ce que..., geignit Freyja. Pourqu... ?

  Un élancement l'étrangla et elle se contorsionna à nouveau. Kalor eut toutes les difficultés du monde à la maintenir dans ses bras sans la faire tomber ou la serrer trop fort. Il devait suivre le moindre de ses mouvements.

  –Par la Déesse, ne bouge pas, lui intima-t-il.

  –La ferme ! l'incendia-t-elle d'un regard noir. Tu... Tu n'as aucune idée...

  Elle gémit. Le sang qui s'écoulait de sa fracture ouverte commença à imprégner la chemise de Kalor.

  –Je sais au contraire parfaitement ce que tu ressens, rétorqua-t-il. Mes os ne se brisent peut-être pas, mais la douleur liée à la perte de contrôle, je la connais. Je suis aussi passé par là, et plusieurs fois. Essaye de prendre sur toi.

  –Plus... Plus facile à dire... qu'à faire.

  L'expression de Kalor s'adoucit.

  –Je sais.

  –Que faut-il faire ? soufflai-je. On ne peut pas la laisser dans cet état.

  –Je ne sais pas, avoua Magdalena, si pâle que ses tâches de rousseurs ressortaient avec force. C'est la première fois qu'elle perd le contrôle depuis que je la connais... Nous ne pouvons l'emmener chez un médecin pour qu'il remette ses os en place sans éveiller les soupçons. Aucun de nous n'est assez qualifié pour que nous nous en chargions nous-même sans empirer la situation. Nous ne pouvons pas non plus l'allonger dans son lit tant qu'elle se tord de douleur. Elle est si fragile que même un matelas lui semblera trop dur si elle s’appuit dessus. À la moindre pression…

  Des larmes affluèrent à ses yeux à la nouvelle plainte de Freyja.

  –Hé, Magdalena. (Je la pris par les épaules et la forçai à me regarder.) Tout va bien se passer, assurai-je avec un sourire et un ton que je voulais encourageants. Nous pouvons nous occuper d'elle, comme nous nous étions occupées de Kalor.

  S'obligeant à prendre une profonde inspiration, elle refoula ses craintes et opina.

  –Oui... Vous avez raison.

  Elle chassa ses larmes, puis se tourna vers Freyja, qui s'arquait dans les bras de Kalor. Il poussa un juron.

  –Il faudrait d'abord chercher un moyen de l'immobiliser, déclara-t-il. Elle peut se blesser au moindre mouvement.

  –Oui, c'est le plus urgent, confirma Magdalena. Frey ? (Elle s'approcha de son amie.) Te reste-t-il des racines de spatmirs ?

  –Oui, mais non. Pas ça. Je dois... Je dois rester réveillée, articula-t-elle avec difficulté. J'ai la chance... d'être une Guéri... sseuse.

  L'ombre d'un sourire arrogeant effleura ses lèvres alors que les yeux de Magdalena s’agrandissaient d'effroi.

  –Ne me dis pas que...

  –Me soigner, la coupa Freyja. Je suis en train de... de me soi...

  Une longue plainte l'interrompit et elle se tordit de plus belle, mais son gémissement couvrit à peine l'ignoble bruit de succion spongieuse émit par son bras. Je sentis mon estomac se soulever. L'os qui jaillissait à l'air libre était en train de rentrer dans sa chair.

  –Arrête ça, Freyja ! s'écria Magdalena. Tu n'es pas en état !

  Sa sœur de cœur arrêta sa guérison et reposa les yeux sur elle. Ses yeux d'un incroyable vert forêt intense, presque inhumain. Sous l'éclat douloureux et fiévreux qui les habitait brûlait une pointe de détermination.

  –Si, il faut. Celle-là... peut pas attendre.

  –Même pas cinq minutes, le temps de trouver un moyen de t'empêcher de bouger ? répliqua Kalor. L'os bloque l'hémorragie et tu vas seulement réussir à t'infliger de nouvelles fractures si tu continues à te tordre pendant que tu te soignes. Alors patiente un peu, avant de te faire plus de mal que de bien.

  Freyja le foudroya du regard, mais ne chercha pas à le contredire. Il avait raison ; nous le savions toutes.

  Ses paupières se fermèrent dans un souffle.

  –Une injection de puoli... sova, murmura-t-elle. Donnez... (Ses traits se tendirent.) Donnez-moi ça.

  Je n'eus pas le temps de me demander de quoi il s'agissait que Magdalena nous ordonna de la suivre dans la chambre de Freyja. Elle sollicita aussi Frigg, qui se releva sans un mot. Alors que nous gravissions toutes les deux les escaliers en courant, Kalor nous emboîta le pas à une allure bien plus lente afin de ne pas blesser son précieux fardeaux.

  Magdalena s'arrêta au premier étage et traversa un couloir qui donnait sur trois pièces. Elle ouvrit à la volée celle de droite et nous arrivâmes dans une chambre dans les tons ocre, sobrement décorée, mais remplie de fleurs en pots. Toutes celles qui ornaient la maison de Freyja, son potager abondant et son incroyable jardin, au cœur de l'hiver, rejaillirent dans mon esprit. Tout prenait sens à présent.

  Mais ce n'est pas le moment !

  Refoulant ces souvenirs, je me concentrai sur ma femme de chambre, qui venait d'ouvrir la porte d'un buffet en bois brut.

  –Maman, va remplir une cuvette d'eau froide et chercher quelques linges. Tu te souviens où ça se trouve ? (Frigg opina et partit.) Bien. Madame, aidez-moi à trouver la solution à base de sève de puolisova. Dans l'esprit de Freyja, il s'agissait d'un flacon au contenu blanchâtre.

  –Quel est son effet ?

  –Elle permet d'endormir l'ensemble du corps en dehors de la tête. De ce que j'ai compris, c'est très mauvais et les chirurgiens évitent de l'utiliser lors de leurs opérations, mais c'est le seul anesthésiant qui a une telle action. Le seul qui puisse l'empêcher de bouger tout en lui permettant de rester réveillée.

  J'assimilai ces informations en silence et retournai les étagères pour trouver la solution en question. Peu habituée à la plume illisible de Freyja, j'avais du mal à déchiffrer les étiquettes. Heureusement, la description du produit me permit de faire un premier tri et de me concentrer sur l'essentiel.

  Magdalena mit la main dessus au moment où Kalor et Freyja arrivèrent dans la pièce. Elle posa le flacon sur le meuble, sortit en vitesse une seringue d'un tiroir, la désinfecta, puis la remplit avec le produit de la petite bouteille. Derrière nous, un gémissement s'éleva. Freyja se pliait en deux contre le torse de Kalor.

  –Putain...

  –Encore un peu de patience, lui glissa-t-il.

  –Dis-moi encore une fois... d'être patiente, gronda-t-elle en lui adressant un regard noir, et je te jure... Dès que mes os... seront de nouveaux solides..., ta... ta royale figure... rencontrera mon poing de très... très près.

  Cette pique ne parvint à m’apaiser ou me faire sourire. Manquer de respect à Kalor lui ressemblait bien, mais son état ne s'améliorait pas. Elle ne cessait de gémir, de se cambrer ou se recroqueviller sous la douleur. Des gouttes de transpiration roulaient sur ses tempes et son front luisait de sueur. Son sang s'était étendu sur ses propres vêtements, glissant sur le cuir de son serre-taille et imbibant sa chemise crème au niveau de la poitrine. Le tissu vert olive de sa robe ne suffisait à masquer les angles anormaux de son tibia. Toutes ces fractures la mettaient au supplice au moindre mouvement et les martellements de sa migraine ne semblaient vouloir s'atténuer... Si l'havankila n'était pas en cause, qu'est-ce qui avait bien pu déclencher sa crise ?

  –Madame, pouvez-vous lui tenir le bras le plus délicatement possible ? me demanda Magdalena après avoir appuyé sur le piston pour éjecter l'air de la seringue.

  –Bien sûr.

  Le cœur battant, je m'approchai de Freyja et me saisis de son bras avec mille précautions.

  –Seulement vingt… vingt millilitres, geignit-elle. Pas plus. Surtout pas.

  –Je sais, assura Magdalena.

  Avec prudence, elle planta l'aiguille au creux de son coude et injecta tout le contenu de la seringue. Plusieurs secondes s'écoulèrent avant que le produit ne fasse effet, mais petit à petit, le corps de Freyja se relâcha jusqu'à finir complètement amorphe entre les bras de Kalor. Seul le bout de ses doigts tressautait encore légèrement.

  Alors qu'un soupir de soulagement leur échappait à tous, ma gorge se noua douloureusement. Voir cette femme, que rien ni personne, pas même Dame Nature, ne semblait pouvoir arrêter dans un tel état de faiblesse me tourmentait bien plus que je ne l'aurais pensé. Nous ne nous connaissions pas beaucoup, mais j'avais l'impression qu'un roc inébranlable, toujours là pour soutenir ceux dans le besoin, venait de s'effondrer.

  Je n'osai imaginer à quel point Magdalena devait prendre sur elle pour surmonter sa peur, sa détresse. Son visage rongé par l'inquiétude n'avait pas repris une couleur et de légers tremblements agitaient ses mains lorsqu'elles n'étaient pas occupées.

  –Voilà, murmura-t-elle. Elle ne risque plus de se blesser à présent. Nous pouvons l'allonger sur son lit.

  Nous traversâmes la pièce jusqu'à la large couche en face de la fenêtre. Magdalena tira les couettes, puis monta sur le matelas pour accompagner les gestes de Kalor, qui déposa Freyja avec une extrême délicatesse. Ma femme de chambre entreprit aussi de lui ôter son serre taille, afin de retirer la pression liée à ce type de vêtement.

  À chaque contact sur ses membres brisés, son amie gémissait ; même un simple effleurement suffisait à tordre son visage de douleur. Le reste de son corps, en revanche, resta parfaitement immobile.

  –Suis-je... autorisée à me soigner... maintenant ? ânonna-t-elle dès qu'ils eurent fini de la coucher.

  –Es-tu sûre que ce soit une bonne idée ? hésita Magdalena. Si tu nous guides...

  La Guérisseuse haussa un sourcil dubitatif.

  –Tu... me crois plus en état pour... une intervention chirurgicale que pour... utiliser mon pouvoir ?

  Un rire sans joie la gagna.

  Et l'une de ses côtes se rompit sous la brusque contraction de ses abdominaux, coupant court à tout élan d'hilarité.

  Elle étouffa de justesse un cri déchirant alors que nous restions à nos places, pétrifiés, impuissants.

  Frigg revint dans la chambre au même moment. Une cuvette en porcelaine orné d'un liseré doré et remplie d'eau pesait sur ses bras tandis que des linges immaculés reposaient sur son épaule. Toujours aussi silencieuse que depuis la première fracture de Freyja, elle se dirigea vers Kalor et lui tendit le récipient. Un grand sourire fendit soudain ses lèvres.

  –Tu as vu ? J’avais encore raison. Elle s’est bien brisée.

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