Chapitre 54 - Partie 3

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  La possibilité que mes explications nourrissent les terreurs nocturnes de Lunixa ne m'avaient traversé qu'après lui avoir raconté tout cela. Dame Nature merci, elles ne l'avaient pas empêchée de s'endormir et si elle eut le sommeil quelque peu agité, je n'eus pas besoin de la réveiller pour l'apaiser. Il en fut de même pour les nuits suivantes.

  Toute cette semaine se déroula d'ailleurs dans une atmosphère plus sereine que je ne l'aurais imaginé. Les sourires provocateurs de ma mère m'irritaient, mais sans attiser mon pouvoir. Alors que je craignais que Lokia revienne et se réjouisse de la situation devant moi maintenant que le Marquis Marcus était parti, il n'en était rien. Les messe-basses qui circulaient dans le couloir, à propos du fait que je cherchais à raffermir ma position pour le trône avec la grossesse de Lunixa, glissaient sur moi sans m'atteindre. Savoir que cette dernière profitait vraiment de sa convalescence pour se reposer et reprendre des forces me délestait d'un poids. Elle passait ses journées à lire, à jouer du piano et à tenir compagnie à Mathilda. Avec Thor, nous voyions leurs liens se renforcer un peu plus jour après jour et cela me réchauffait le cœur. Ce sentiment chaleureux se transforma en véritable bonheur, presque en félicité, le soir où elle m'apprit qu'elle avait accepté d'être la marraine de leur enfant. L'idée de la réprimander pour avoir pris une décision aussi importante qui nous concernait tous les deux sans en avoir discuté avec moi auparavant ne me traversa même pas l'esprit. À cause de sa séparation avec les siens, je m'étais souvent demandé si elle arriverait un jour à se considérer comme un membre de notre famille et cette décision venait de m'apporter la réponse. Elle n'aurait pu me le prouver d'une meilleure façon. J'eus envie de la remercier en la comblant de bonheur, mais me retins finalement de lui faire la moindre avance. Elle était encore convalescente.

  Hélas, la vieille de sa visite médicale, un nouveau cauchemar la hanta et cette fois-ci, les simples caresses le long de son dos ne suffirent à l'apaiser. Elle s'agita tellement que je finis par me réveiller complètement.

  –Non... Non, s'il vous plaît, geignit-elle en Illiosimerien.

  Je me redressai et m'empressai d'allumer la bougie de ma table de nuit. La faible luminosité fit luire la fine couche de transpiration sur son front ; tous ses traits étaient tendus.

  –Ne vous réveillez pas...

  –Lunixa, l'appelai-je en douceur.

  Je posai une main sur sa joue et un spasme la secoua. Sa mâchoire se crispa encore plus, de concert avec les muscles de mon dos.

  –Non... Non... Laissez-moi, laissez-nous.

  –Lunixa, s'il te plaît…

  Ne m'oblige pas à chercher le médecin.

  Elle tourna brusquement la tête à droite, puis à gauche, puis encore à droite, et son corps commença à être pris de gestes frénétiques. Ses jambes s'agitaient en tous sens, de mêmes pour ses bras.

  L'un de ses poings fusa soudain vers son visage. Vif comme l'éclair, j'attrapai ses poignets et les plaquai au-dessus de sa tête. Ses paupières se soulevèrent d'un coup.

  –Laissez-moi ! hurla-t-elle.

  Son regard était planté dans le mien, mais elle ne me voyait pas. Un voile couvrait complètement ses yeux.

  –C'est moi, Lunixa, réveille-toi.

  –Non ! Je ne veux pas ! Laissez-moi !

  Cherchant à m'échapper, elle se contorsionna tant que je dus me placer au-dessus d'elle pour bloquer ses hanches et ses jambes.

  –Lunixa, ne m'oblige pas à chercher le docteur ! (Elle gesticula de plus belle, manquant de me glisser entre les doigts.) Par la déesse.

  Je raffermis mon emprise sur elle et un éclat paniqué, désespéré passa dans son regard lointain.

  –Non... Non ! Ne le touchez pas ! Laissez-les !

  –Lunixa... Nix... (Elle se débattit encore.) Tu vas être alitée !

  Elle se pétrifia.

  De longues et insupportables secondes passèrent, puis, enfin, le voile sur ses yeux tomba et elle reprit conscience. Son souffle se coupa aussitôt et elle fut prise de violent tremblement.

  –Ka... Kalor.

  Masquant mon inquiétude, je lui offris un doux sourire.

  –Oui, c'est moi, ma chérie. (Je lâchai ses poignets et retirai une mèche qui lui barrait le visage.) Tout va bien, resp...

  Dans une tempête de boucles blanches, elle se jeta à mon cou, m'emprisonnant dans une étreinte aussi brusque que ferme. Surpris, je restai figée un instant, puis je passai un bras dans son dos et la serrai en retour. Tout son corps tremblait contre le mien et je l'entendais étouffer des sanglots au creux de mon épaule. Sans même que j'y songe, mon pouvoir se propagea dans mes veines pour la réconforter.

  Nous restâmes ainsi quelques minutes, le temps qu'elle retrouve son souffle et cesse de trembler. Et même lorsqu'elle fut de nouveau maîtresse de son corps, aucun de nous ne chercha à bouger.

  –S'il te plaît, n’appelle pas le docteur, finit-elle par murmurer contre mon épaule. Je ne veux pas être alitée.

  –Je ne vais pas le faire, assurai-je en m'écartant juste assez pour la regarder. Tu as réussi à te reprendre en main.

  Elle hocha faiblement de la tête tandis que je chassais les quelques larmes qui lui avait échappé. Une fois qu'elle consentit à me lâcher, j'allais lui chercher un verre d'eau. Assis au bord du lit, face à elle, je ne la quittai pas des yeux pendant qu'elle le buvait. Le fantôme de sa terreur nocturne tendait encore ses traits.

  –De quoi as-tu rêvé ? demandai-je quand elle eut fini. Pas d'être à nouveau enceinte, j'espère. Je me vois mal redemander un nouveau test pour la semaine prochaine.

  Cette petite plaisanterie lui arracha l'ombre d'un sourire.

  –Non, je n'étais pas enceinte cette fois-ci.

  Je soutins son sourire un instant avant de retrouver mon sérieux.

  –Alors que s'est-il passé ?

  Elle replia ses jambes contre sa poitrine et ce geste de renfermement tendit mes muscles.

  –S'il te plaît, Lunixa, parle-moi. Je ne veux que t'aider.

  –Je sais...

  Les yeux baissés, elle joua avec son verre vide. Un moment passa avant qu’elle ne reprenne la parole.

  –Je... j'ai rêvé que quelqu'un s'en prenait à mon frère et ma sœur.

  –Sont-ils toujours au cœur de tes cauchemars ?

  –Oui, mais cette fois, ils n'étaient pas seuls. (Ses doigts se crispèrent sur le verre.) Toi aussi, tu étais là.

  Je ne pus m'empêcher de hausser les sourcils. C'était bien la première fois qu'elle m'avouait que je me trouvais également dans ses terreurs nocturnes.

  Lunixa se recroquevilla encore plus sur elle-même.

  –Et elle voulait vous faire du mal... Tant de mal.

  –Qui donc ? (Un frisson la secoua.) Ma chérie ?

  De nouvelles secondes s’écoulèrent avant qu'elle ne me réponde d'une voix à peine audible :

  –Siryane.

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