Chapitre 67 - Partie 2

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  Les pouvoirs du Marionnettiste étaient terrifiants, mais le contact qui lui était nécessaire et le quart d'heure de possession dont il était au plus capable restreignaient son champ d'action. Il y avait donc de fortes chances qu'il ne passe pas à l'attaque durant la cérémonie elle-même, même si tous les regards seraient tournés vers moi à un moment donné et qu'il n'y aurait pas de meilleur instant pour me faire commettre l'irréparable aux sus et aux vus de tous. Entre le trajet depuis le palais, la procession de Thor et Mathilda avec leur fils prodige, les chants, puis les lectures qui précéderaient mon intervention, bien plus de quinze minutes seraient passées avant que je ne m'approche de Baldr. Nous ne comptions toutefois relâcher notre attention une fois au temple – un religieux qui n'était pas présent au début de la cérémonie pourrait rejoindre l'hôtel en même temps que moi –, cependant ce n'était pas de ce moment de la journée dont nous nous méfions le plus.

  C'était de la réception qui s'ensuivrait.

  Après un tour de la ville en carrosse pour présenter Baldr au plus de citoyens possible, un vin d'honneur serait donné, puis un dîner lui succéderait et la journée se conclurait sur un bal entrecoupé d'un feu d'artifice. Le vin d'honneur et le bal étaient les moments les plus propices pour le Marionnettiste. La salle serait pleine, les déplacements, contacts et interactions nombreuses. Me parasiter risquait presque de se transformer en jeu d'enfant pour lui : il n'aurait qu'à prendre possession d'un noble, venir me saluer d'un baise-main que je ne pouvais refuser, puis écraser mon esprit avec le sien et il n'aurait plus qu'à s'approcher de Baldr pour lui porter le coup fatal et tout serait fini.

  –En plus des esprits de Lokia et Ulrich, il faudrait donc que vous sondiez en particulier les personnes s'approchant de Lunixa, Magdalena, décréta Kalor. Ce sont d'elles dont nous devrons nous méfier en priorité.

  Valkyria et moi acquiesçâmes de concert, alors que les lèvres de Magdalena se réduisaient en une ligne contrariée.

  –Qu'y a-t-il ? demanda aussitôt Kalor. Vous en êtes incapable ?

  –Non, pas vraiment... L'esprit des Animalistes est particulièrement volatiles et puissants, ce qui rend l'accès à leur pensées plus ardues que la normale. Je devrais donc facilement déceler si quelqu'un est possédé, même si je ne distingue pas clairement ses intentions. Cependant, vous ne devriez pas comptez sur moi pour l'arrêter, comme je l’avais fait avec votre ancienne fiancée et l’Assassin. Si l'esprit d'un Animaliste est déjà difficile à atteindre, celui d'un Marionnettiste l'est encore plus. Je crains de ne pas y parvenir avant qu'il n'atteigne la Princesse.

  –Ce sera donc à nous de l'empêcher de toucher Lunixa et de trouver un moyen de le stopper, conclut Kalor.

  –Tout en veillant à ne pas nous faire posséder dans le processus, ajouta Valkyria. (Magdalena opina.) Et si nous en sommes incapables et qu'il parvient à la parasiter, il faudra isoler Lunixa jusqu'à ce qu'il atteigne sa limite et soit obligée de la quitter pour survivre.

  Alors qu'elle terminait sa phrase, Kalor baissa les yeux vers moi et nos regards s'ancrèrent l'un à l'autre. Le temps sembla se suspendre. Dans mon esprit, et probablement dans le sien, cinq mots résonnaient en boucle.

  « S'il parvient à la parasiter. »

  Me posséder voudrait dire qu'il aurait non seulement réussi à me toucher, mais aussi à franchir mon étrange résistance, un détail dont Valkyria n'était pas encore au courant.

  –Puis-je lui en parler ?

  Ma poitrine se contracta. Kalor ne formulait pas cette question à voix haute, mais son regard était si parlant que c'était tout comme.

  L'idée qu'une personne de plus soit au courant de ma bizarrerie ne me rassurait pas du tout. Après tout, l'Horloger avait essayé de me tuer dès qu'il en avait été témoin, l'associant à Siryane, la légendaire déesse funeste qui avaient cherché à éradiquer son espèce dans les mythes lathiens. Cependant... Kalor n'avait jamais fait le lien, ni Magdalena, ni Freyja, qui connaissait pourtant l'existence des Stracony depuis toujours, contrairement aux autres. Il n'y avait que Frigg qui m'avait associée à cette déesse. Frigg et son savoir aussi dément qu'incommensurable.

  La gorge nouée, je finis par cligner longuement des paupières pour donner mon accord. Kalor pressa mon épaule en signe de soutien avant de se tourner vers sa sœur.

  –Si le Marionnettiste en vient à toucher Lunixa, nous devrons attendre que Magdalena nous dise dans quel corps il se trouve avant d'isoler Lunixa pour rien. Il se pourrait qu'il ne parvienne à la posséder même en établissant un contact.

  Sa sœur cilla plusieurs fois, puis fronça les sourcils en le dévisageant comme s'il avait perdu la tête.

  –Mais de quoi parles-tu ?

  –Lunixa fait preuve... d'une certaine résistance face aux pouvoirs intrusifs. Magdalena ne peut pas accéder à ses pensées, la Guérisseuse qui s'est occupée d'elle après la tentative d'assassinat de Lokia a eu énormément de mal à la soigner, l'Assassin a cherché à lui provoquer une crise cardiaque, mais elle s'est relevée, puis l'Horloger n'a pas pu la rajeunir alors qu'il a essayé à plusieurs reprises.

  À chaque aveu supplémentaire, les yeux de Valkyria s'agrandirent un peu plus et finirent par ressembler à deux billes presque aussi rondes que ceux de Frigg. Une seconde passa, puis ils glissèrent sur moi. Je m’enfonçai dans le dossier.

  –C'est impossible, murmura-t-elle. Il n'existe aucun pouvoir capable de bloquer nos pouvoirs, mais même si c'était le cas, elle est humaine ! Le Gardien qui l'avait testée l'a affirmé.

  –Nous le savons, murmurai-je, mal à l'aise.

  –Et j'ai eu beau me creuser la tête, je n'ai pas d'explications, ajouta Kalor. Mais le fait est qu'elle en est dotée et que le pouvoir des Marionnettistes est également intrusif. Cette particularité devrait jouer en notre faveur.

  L'attention de sa sœur se reconcentra sur lui, puis jongla un instant entre lui et moi avant qu'elle ne referme sa bouche entrouverte et invite Kalor à poursuivre. La façon dont elle le fixa sous-entendait toutefois qu’ils n’avaient pas fini de parler de ma bizarrerie.

  Nous discutâmes encore de longues heures de ce qu'il pourrait se passer lors du baptême et des maigres solutions qui s'offrait à nous. Me posséder au cœur de la réception n'était pas la seule option de la Cause ; elle pouvait aussi avoir l'intention de me pousser à quitter la pièce, pour que je rejoigne le Marionnettiste et que je me fasse parasiter loin des regards, avant de revenir commettre l'infanticide. Lorsque je demandai si je devais jouer le jeu si cela arrivait, l'air de Kalor s'assombrit encore plus. L'idée lui déplaisait fortement, mais il estima que si je n'avais pas le choix, je devrais faire comme si de rien était et obtempérer bêtement. Lui ou Valkyria s'arrangerait pour m'accompagner.

  Le Marionnettiste ne serait également pas le seul partisan à être présent ce jour-là ; Ulrich viendrait bien entouré et avec un plan de secoues, comme il en avait l'habitude, assura Kalor. Nous convînmes tous que des Illusionnistes se trouveraient certainement avec lui, pour s’assurer de toujours me faire porter le chapeau si le Marionnettiste s'en retrouvait incapable. Cette solution ne serait pas parfaite, car tromper tous les convives présents de la même façon serait impossible, mais elle restait redoutablement dangereuse et fatale pour Baldr. Si Magdalena trouvait ces partisans supplémentaires lorsqu'elle sonderait des esprits aux hasard, elle préviendrait Kalor et Valkyria afin qu'ils les mettent hors d'état de nuire ou elle s'en chargerait elle-même. Pour cela, ma camériste proposa de nous fournir en havankila. Si Kalor pâlit à cette proposition et que les yeux de Valkyria s'obscurcirent, il finit par admettre qu'il s'agissait d'une bonne idée. Nul doute que la Cause viendrait avec ses propres doses de poisons, alors pourquoi ne pas avoir les nôtres et riposter à armes égales ?

  Au souvenir de Kalor, rendu fou par la violence de cette fleur et se tordant de douleur, dévoré par un pouvoir devenu incontrôlable, de sombres pensées m'envahirent. La perspective d'avoir de l'havankila en ma possession et d'en faire usage me plaisait bien plus que cela n'aurait dû, mais enfin, j'allais avoir la possibilité de leur rendre la monnaie de leur pièce, de leur faire goûter à leur propre méthode, de les faire payer un tant soit peu pour tout ce qu'ils avaient fait.

  Une autre plante serait même bien plus adéquate pour l'une d'entre eux...

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