Chapitre 78 - Partie 1

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MAGDALENA


  Je perçus l'esprit des Voyageurs au moment où ils se matérialisèrent autour du Prince. Un homme et une femme. Le premier dans son dos, le surplombant comme s’il avait bondi et la seconde devant lui, baissée au niveau de la taille. Je projetai immédiatement mon pouvoir en eux et leurs pensées m’assaillirent.

Peu importe la blessure tant qu'elle n'est pas mortelle.

Un Guérisseur le soignera.

L'empoisonner et l'emmener à la reine. La seule chose qui compte.

  Tous deux étaient armés d'un poignard et, sans la moindre hésitation, ils les plongèrent vers son Altesse. Leurs lames se trouvaient déjà si près de lui lorsqu'ils apparurent qu'ils auraient dû l'atteindre. Si nous n'avions rien su du guet-apens, le Prince n'aurait jamais eu le temps de réagir. Mais Son Altesse se tenait prêt. Les propos de l'Illusionniste avaient beau l'avoir perturbé, il était resté sur ses gardes depuis qu'ils avaient quitté la salle de réception. Il s'attendait en outre à l'implication de Voyageurs ou de Furtifs : c'étaient les seuls Lathos capables de surveiller de loin son arrivée dans le bosquet et de le rejoindre en un battement.

  Aussi écarta-t-il son bras de sa fausse femme, juste assez pour ne plus la toucher, et il se téléporta, les armes de ses agresseurs sur le point de le toucher.

  Sa disparition brisa le lien entre nos esprits, mais je le sentis aussitôt réapparaître derrière le Voyageur, sa froide détermination faisant dévaler un frisson le long de mon échine.

  Au même instant, l’intense animosité que je percevais dans un autre coin de mon esprit s’accentua encore et finit par m’enserrer la gorge : la Marquise Piemysond arrivait au niveau des écuries avec la Comtesse Hemmeligsdottir et l'idée de partir, d'être renvoyée comme une mal propre la mettait hors d'elle.

          Je suis la future Reine !

    Père ne peut me traiter de la sorte, refuser de m'écouter.

  Parfaitement détendu, ce dernier discutait de ses troupes avec une poignée de nobles et n’avait pas encore remarqué le retour de son valet, qui avait regagné la salle de bal quelques instants plus tôt.

J'aurais dû suivre Detlef et me charger de cette chienne avant qu'il ne me remarque. Maintenant, il est trop tard ; ce stupide Illusionniste doit déjà l'avoir rejoint.

  Fermant les yeux sur ressentiment de la Marquise Piemysond, l'accélération de mon pouls et la pulsation douloureuse qui commençait à poindre à mes tempes, je me concentrai sur le plus urgent – le combat du Prince – et plongeai dans l’esprit de la jeune Illusionniste qui s’était faite passée pour Lunixa, afin de le suivre à travers elle. J'eus tout juste le temps d'apercevoir la dague empoisonnée au poing de son Altesse, à quelques centimètres des reins de son assaillant, que celui-ci disparut à son tour. Il réapparut avec sa comparse aux côtés du Prince et leurs lames, aussi couverte d’havankila que la sienne, fusèrent derechef sur lui.

  Le bosquet de la petite musique avait été créé dans le but de tenir des concerts intimistes. À l'opposé du bosquet de la symphonie, véritable amphithéâtre de verdure capable de recevoir plus de deux cents spectateurs et un orchestre symphonique, il accueillait sous sa gloriette de petits ensembles qui jouaient pour une douzaine de personnes. C'était un lieu dédié à la musique et la sérénité.

  Le terrible ballet qui éclata en son cœur ravagea toute trace de cette quiétude mélodieuse. À un rythme presque trop rapide pour les yeux de l'Illusionniste, les trois Voyageurs apparaissaient et disparaissaient, leurs armes miroitant à la lueur du soleil. Tantôt, elles ne rencontraient que le vide. Tantôt elles rencontraient un vêtement. Tantôt, elles s'entrechoquaient. L'Illusionniste en restait stupéfaite, alors que dans mon ventre, un nœud se resserraient. Son Altesse avait beau être le plus puissant Voyageur que je connaissais, ses adversaires n'étaient pas en reste. Il aurait pu essayer de les séparer pour se faciliter la tâche ; cependant, en téléporter un ailleurs le fatiguerait et rien ne garantissait qu'il en viendrait à bout avant que le partisan ne retourne au bosquet prévenir son comparse de leur nouvel emplacement. Quant à moi, je ne pouvais l'aider. Ils se téléportaient bien trop vite pour que je me lie à l'un de leur esprit.

  J'essayai malgré tout, forçant sur mon pouvoir, grappillant la moindre bribe de pensées des partisans dans l'espoir dans savoir plus. Hélas, l'Illusionniste ne songeait à rien, trop ahurie par le combat, et les deux Voyageurs étaient trop focalisés sur leur advsesaire pour songer à autre chose que le but de cette attaque : « L'empoisonner et l'emmener à la Reine. »

  Pour quelle raison ? Et où était-elle ?

  Moins d'une minute s’était écoulée depuis l'arrivée des Voyageurs de la Cause, mais déjà, ils s'échauffaient de leurs échecs. Le Prince aussi. Alors que les offensives devenaient plus hargneuses, j’interrompis mes recherches du Marionnettiste afin de déployer mon pouvoir dans le palais et de dénicher la Reine. En temps normal, j’aurais pu les chercher en même temps, mais j’étais déjà lié à trop d’esprits. Le mien ne supporterait pas une nouvelle scission. En plus, cela ne devrait pas long. Contrairement au Marionnettiste, Sa Majesté Grimhild m'était familière ; je n'avais pas besoin de plonger dans ses pensées pour reconnaître son esprit.

  Un mouvement du côté du Marquis Piemysond me coupa presque aussitôt dans ma nouvelle traque. Il venait de remarquer Detlef et le lui faisait comprendre d'un discret signe, tandis qu'une sombre satisfaction le gagnait.

  Il était temps.

       Ce garçon va enfin se montrer obéissant.

  À l'autre bout du palais, l’animosité de sa fille s’intensifia encore, sa haine suintant à travers la moindre de ses pensées.

Comment père peut-il penser qu’il l’aime encore ?

Kal a été dans une maison de plaisir, pour l’amour de Dame Nature !

Il a beau dire que les hommes se satisfont parfois ailleurs, même s'ils tiennent profondément à sa femme, je sais que ce n’est pas son cas !

Si Kalor a trompé cette chienne, c’est qu'il ne l'aime plus autant qu'avant  .

Il est en train de revenir à lui !

         De me revenir !

  Par la Déesse, fais quelque chose ! cingla au même moment la Voyageuse à l'Illusionniste.

  Un spasme secoua l’intéressée et le voile d'hébétude qui l’enveloppait se dissipa.

  –Magdalena, où en sont les choses avec mon frère et Lunixa ? s'enquit la Princesse Valkyria.

  Le martellement à mes tempes s'accentua.

  –Un instant...

  Les esprits que je suivais avec précision étaient trop nombreux, trop éloignés et trop différents les uns des autres. Lunixa qui prétendait avoir été envoûtée, l'Illusionniste que j'habitais pour suivre son époux, la Princesse Valkyria qui surveillait son neveu et me demandait des nouvelles, la Marquise Piemysond qui fulminait contre son père aux écuries, ce dernier qui se délectait de savoir que tout serait bientôt fini autant qu'il se délectait de son champagne, la Reine que je devais trouver avant de me remettre à analyser les convives et les domestiques un à un pour déceler le Marionnettiste... C'était comme si je me trouvais à six endroits à la fois et vivais six vies en même temps. Toutes leurs pensées se mêlaient aux miennes avec la même intensité, ce qu'ils voyaient et ce qu’ils entendaient menaçaient de se mélanger à la moindre faiblesse de ma part.

  La tension de la Princesse Valkyria se renforça à ma réponse et accentua la mienne en écho. Cependant, la naissance d’un nuage noir dans l’esprit de l’Illusionniste relégua très vite ce problème au second plan.

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