Chapitre 78 - Partie 2

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  Le Prince ne s'était pas trompé quand il avait décrété que cette jeune femme avait été choisi pour sa puissance et non son expérience. En un instant, son mirage ténébreux fut créé et il engloutit Son Altesse. Toutes sensation s’effacèrent autour de lui. La lumière, les sons, le sol sous ses pieds, il ne percevait plus rien. Ce brusque néant le fit vaciller, mais ne l’empêchait pas de se téléporter. Il se transféra en vitesse, évitant de justesse un coup d’estoc à son flanc. Cela le libéra aussi de l'illusion, comme il se libérait de mes pouvoirs lors de ses voyages. Toutefois, le mirage l'avala derechef lorsqu'il se matérialisa.

  Son sang-froid se fissura et une chaleur brûlante se déversa dans ses veines. C'était comme si une vague d'énergie pure l'envahissait et mon propre pouvoir s’en retrouva attisé. Ma migraine s’atténua un brin ; mes poumons se gonflèrent entièrement pour la première fois depuis le début de l’attaque. Lorsque cet afflux de puissance se répercuta en moi, j’étais en train de mettre un terme à la traque de la Reine pour me concentrer sur l’Illusionniste, déployer mes griffes au sein de ses pensées. Alors que cela aurait dû me demander plusieurs secondes, tout s’accéléra et, d’un coup, la sbire se retrouva intégralement sous ma coupe. Je ne perdis pas une seconde de ce précieux temps gagné et refermai mes serres sur elle.

  Le mirage se brisa net et la partisane tomba à genou dans un cri sourd, la tête entre les mains, son esprit lacéré de toutes parts. Toute sa souffrance ricocha en moi et je dus serrer les dents pour supporter ce déchirement, ainsi que le retour en force de mon mal de tête.

  Malgré cette douleur insupportable, la partisane avait gardé un œil ouvert et je pus voir le Prince réapparaître à côté de la gloriette. Le brusque retour à la réalité le déséquilibra et l'éblouit. Les Voyageurs se précipitèrent sur lui pour profiter de cet instant de faiblesse, mais une fois encore, il disparut. Ils l'imitèrent dans la seconde, craignant une nouvelle attaque.

  Cependant, ce n'était pas eux qu'il visait cette fois-ci.

  Il n'y eut aucun signe avant-coureur, pas même la morsure de fer sur ma peau. La douleur explosa dans ma gorge, purement et simplement. Dans un hoquet de stupeur, je rouvris les paupières et me figeai. Une horrible brûlure s’ensuivit. Dévorante. Tumultueuse.

  Paniquée, je portai une main à ma gorge alors que mes liens entre les différents esprits faiblissaient. La morsure d'une lame fichée dans ma chair et la sensation de brûlure décrurent de concert.

  Et soudain, je compris. Avant même que mes doigts ne frôlent la peau intacte de mon cou, un éclair de lucidité me traversa. Avec plus d'empressement que jamais, je quittai l'esprit de l'Illusionniste et trouvai refuge dans celui du Prince, qui se tenait juste derrière elle. Son poignard était enfoncé jusqu’à la garde dans la gorge de la partisane.

  Toute trace de douleur me quitta et je me sentis de nouveau respirer.

  Une énième téléportation de son Altesse coupa court à mon soulagement. Abandonnant sa lame dans la chair de l'Illusionniste, il se transféra pour échapper à la Voyageuse. Je me raccrochai à lui dès qu'il apparut.

  –Par la Déesse ! siffla-t-il en portant la main à son second poignard.

  Mais avant qu'il n'ait l'occasion de le tirer, le bosquet disparut, remplacé par l'image de sa femme, étendue dans son lit, la gorge tranchée. Puisant dans ses dernières forces et les vestiges de son pouvoir encore actifs, l'Illusionniste venait de créer ce mirage plus vrai que nature. Seul le bruit du sang, goûtant sur le parquet interrompait le silence sépulcral de la chambre. L'odeur du fer imprégnait l'air ; le visage de la Princesse Lunixa avait pris une pâleur morbide ; plus aucun mouvement ne soulevait sa cage thoracique ; plus aucune étincelle ne brillait dans ses yeux vitreux...

  Son mari savait que cette scène n'avait rien de réelle, qu'elle n'était que le fruit de l'Illusionniste, la dernière action d'une mourante, qu'il se trouvait toujours dans le bosquet, face à deux Voyageurs qui lui donnaient du fil à retordre. Mais cette vision d'horreur le figea et le feu en lui s’éteignit, si soudainement qu’un frisson me secoua.

  Cela ne dura qu'une seconde, tout comme cette ignoble mirage.

  Cependant, lors d'un combat avec des Voyageurs, c'était une seconde de trop.

  Lorsque l'illusion se brisa et que le Prince reprit ses esprits, la lame du subalterne n'était plus qu'à un centimètre de son épaule.

  La rage explosa dans ses veines, me causant une brusque bouffée de chaleur. Lui qui avait toujours été incroyablement véloce redoubla de vitesse, propulsé par cette fureur. En un clin d’œil, il esquiva le coup, désarma son assaillant et l’empoigna. L'instant d'après, le partisan mordait la poussière, à plat ventre dans l'herbe, les bras tordus en arrière par le Prince.

  Mon cœur manqua un battement.

  –Altesse, non !

  Son poignard enfin en main, il se figea et écarquilla les yeux. Le Voyageur était peut-être désarmé, mais il touchait le Prince, à présent, et plus qu'il n'en fallait pour se téléporter !

  Mon esprit effleura celui du sbire. Alors que son Altesse imprimait précipitamment l’image du kiosque dans le sien, je vis celle du salon beige emplir la moindre pensée du Lathos.

  Puis ils se téléportèrent.

  Leur volonté s’entrechoqua avec tant de violence que leur corps fut comme écartelé entre ces deux destinations. À cause de mon lien avec le Prince, je ressentis toute la brutalité de cette lutte. Un cri m'échappa et toutes les connexions que j'avais établies menacèrent de céder. Je parvins à les maintenir in extremis, exceptée celle du Prince, qui me glissa entre les doigts, comme à chaque fois qu'il se téléportait.

  Je pris une vive inspiration en le sentant réapparaître à mi-chemin entre la gloriette et l'endroit où ils se tenaient avant. Il avait eu le dessus.

  Tous deux accusèrent toutefois un sévère contrecoup. Le partisan s'effondra dans l'herbe comme une poupée de chiffon, le corps disloqué. Le Prince s’écroula aussi, l’épaule droite démise, un élancement sourd pulsant dans le reste de son être et un horrible sifflement bourdonnant à ses oreilles. L’écartèlement que j’avais ressenti n’avait pas été qu’une sensation. Ils l’avaient vraiment été.

  Après une seconde de stupeur, la Voyageuse se rua sur le Prince, plus déterminé que jamais, tandis que je projetais mon esprit vers le salon beige, espérant dénicher enfin la Reine, comprendre leurs intentions.

  Malgré son esprit embrouillé et son corps perclus de douleur, il parvint à l'esquiver et se relever dans une roulade.

  En revanche, il ne pouvait se téléporter, encore trop confus pour visualiser une destination. Et lorsque la partisane franchit sa garde pour le toucher, il réagit par pur automatisme. Il para le coup de son bras valide, emprisonna celui armé de la Voyageuse, puis précipita sa tête vers la sienne.

  Ils disparurent avant qu'elles ne se heurtent.

  Au même instant, j’atteignais le salon beige.

  Ce que j’y découvris, couplé à la téléportation de la Voyageuse avec le Prince, me glaça. Quatre Lathos, dont la reine, attendaient l'arrivée Son Altesse. Un panel d'émotions et de pensées m'envahit.

Dès qu'ils arrivent...

Où vont-ils l'avoir touché ? À l'épaule ? À la jambe ? Dans le dos ?

    De l'impatience

C'est pour son bien... cela doit être fait...

        L'angoisse d'une mère

Une mélodie fredonnée en pensées, sur le point de devenir ensorcelante une fois entonnée.

            Ils ne devraient plus tarder...

Hum hum hummm....

   Ce n'est qu'un léger empoisonnement...

    L’image de différentes blessures.

  En dehors de la reine, une Furtive, un Guérisseur et une Sirène se tenaient prêt à prendre en charge Son Altesse. Un cinquième partisan, un Chanteur, se trouvaient également devant la porte, dans le couloir, afin d'étouffer tous les sons venant de l'intérieur. Pourtant, le choc les frappa tous lorsque Son Altesse et la Voyageuse apparurent au milieu de la pièce.

  Qu'est-ce que...

  Mais...

  –Quelqu'un ! s'écria la Voyageuse.

  Revenant à elle dans un spasme, la Télékinésiste déploya ses pouvoirs. Un cri échappa au Prince lorsque la pression invisible s'abattit sur son épaule déboîtée.

  –Mon poignard, reprit la Voyageuse, en faisant un signe de la tête vers son arme tombée au sol.

  Cette fois-ci, ce fut le Guérisseur qui se reprit. Alors qu'il courait vers l'arme, je me glissai dans la tête de la Télékinésite, rassemblant mes forces, rejetant la douleur que j’allais ressentir avec cette seconde attaque psychique.

  –Par la Déesse, Magdalena, que se passe-t-il ? s'exclama la Princesse Valkyria.

  Je l'ignorai, comme j’ignorai la reine, qui demandait à la Voyageuse ce qu'il s'était passé, pendant que son fils se débattait pour se libérer des deux partisanes. Écraser un esprit me demandait trop de concentration.

À la Déesse les plans de mon père !

  Je retins brusquement mon attaque, surprise par ce nouvel éclat de la Marquise Piemysond.

      Il n'est peut-être pas trop tard.

Je ne le laisserai pas tout gâcher en la gardant.

  Je serai la seule. Hors de question de le partager.

  Le partager ?

  –Magdalena, je jure sur la Déesse toute puissante..., gronda la Princesse Valkyria.

  Sa menace me ramena au salon beige, au Prince et à ses agresseurs. Durant l’infime moment que j'avais passé dans les pensées de la Marquise, le Guérisseur s'était emparé de la lame et la Sirène s’était remise. Elle commençait à chanter.

  Mon cœur eut un violent soubresaut. Tandis que le Guérisseur plaçait le poignard sur le bras du Prince, je redéployai mes griffes autour de la Télékinésiste, enveloppant son esprit sans laisser le moindre espace libre.

  Mais alors que j'allais l'écraser, une vague de chaleur venant de son Altesse me submergea.

  Puis ses pensées s’envolèrent.

  Celles de la Télékinésiste et de la Voyageuse également.

  Ils avaient tous les trois disparus.

  Son Altesse venait de se téléporter en les entraînant avec lui. Toutes les deux.

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