Chapitre 78 - Partie 3

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  –Oh Déesse Toute Puissante, souffla la reine en portant une main à sa poitrine.

  J'avais déjà vu le Prince Kalor réaliser cette prouesse jusqu’alors inégalée à ma connaissance. J'avais même été l'une des passagères de cet incroyable voyage. Mais l'espace d'un instant, j'en restais aussi bouche-bée. Jamais je n’aurais cru qu’il en serait à nouveau capable. Surtout après le choc de volonté avec l'autre Voyageur.

  Il allait finir par s'effondrer.

  Rongée par l'inquiétude, je me lançai à sa recherche. Il n'avait pas pu aller bien loin. La dernière image que j'avais perçu dans ses pensées était la gloriette du bosquet de la petite musique. Dans sa précipitation, il n'avait pas pu choisir de destination et avait visé l’endroit où il était avant le salon beige. Le dernier dont les caractéristiques étaient encore marquées en détails dans son esprit.

  Et ce fut bien là-bas que je le trouvais. À genou dans l’herbe, son bras intact pressé contre son ventre et penché en avant, il vomissait, le corps tremblant de toutes parts. À côté de lui, la Voyageuse gisait, inconsciente. Quant à la Télékinésiste, elle avait été empalée sur le toit du kiosque.

  –Altesse ?

  –Je... Je vais bien, assura-t-il en se redressant maladroitement, les jambes chancelantes. Je peux... Je peux leur régler leur compte, puis m'occuper de ma mère et des autres.

  –Non, vous n'êtes plus en état de faire quoi que ce soit ! Vous venez...

  Si, me coupa-t-il. Un voyage. Je peux encore faire un voyage.

  –Vous tenez à peine debout...

  Et je pouvais sentir toute l'intensité de son épuisement, le malaise qui le guettait.

  –Je peux le faire, insista-t-il.

  Humectant mes lèvres sèches, je baissai les armes.

  –Comment... Comment va Lunixa ? me demanda-t-il en balayant l'herbe des yeux, à la recherche d'un poignard empoisonné.

  –Bien, pour le moment elle va...

  Une brusque froid me frappa, en provenance de son ancienne fiancée. Le regard noir, elle fixait la main de la Comtesse Hemmeligsdottir, qui la tenait par le poignet.

  –Mademoiselle, s'il vous plaît, essaya de la retenir cette dernière.

  J'avais été tellement préoccupé par son Altesse que je n'avais pas vu que la Marquise Piemysond avait commencé à revenir sur ses pas, bien déterminée à retourner au château.

  –Votre père, insista sa comparse.

  –Se trompe, trancha la Marquise. Nous n'avons pas besoin de cette chienne.

  Elle repoussa la Comtesse – une autre Puissante – et sa température corporelle chuta encore. Sa pair porta une main à sa tempe en titubant sur le côté.

  –Mademoiselle, tenta-t-elle une dernière fois, mâchoire serrée.

  La Marquise perturba le flux sanguin de la Comtesse, puis se détourna alors que sa compagne tournait de l'oeil, victime d'une chute de tension. L'un des palefreniers la vit se rattraper de justesse à la porte et s'empressa de lui venir en aide. En revanche, il ne fit pas du tout attention à l'ancienne fiancée de son Prince, qui s'éloignait à grandes enjambées.

  Kalor ne restera pas enchaîner à cette chienne jusqu'à la fin de ses jours.

  Puisque père n'est pas assez fort pour l'en libérer, je vais m'en charger moi-même.

Nous n'avons pas besoin de le garder en vie pour le ramener sur le droit chemin.

  Ces pensées haineuses en soulevèrent d'autres, inconscientes, et soudain, tout ce qu'elle savait du plan déferla dans mon esprit.

  Oh Dame Nature...

  –Magdalena ?

  Alors que les intentions de la Cause se diffusaient dans l'esprit de la Marquise, elle accéléra la cadence, son champ de vision réduit à un seul point : le palais.

  –Magdalena !

  –Nous nous sommes fourvoyés, murmurai-je.

  –Comment ?

  –Si le Marquis a un jour désiré condamner votre épouse pour le meurtre de votre neveu, ce n'est plus le cas. Il a l'intention de...

  Un bruissement d'herbe s'éleva dans le silence du bosquet. Je dirigeai aussitôt mon attention vers lui et le Prince pivota si vite qu'un vertige le prit. Malgré tout, il reconnut le nouveau venu.

  Sa mère.

  Remise du choc de voir son fils se téléporter avec deux passagers, elle s'était lancée à sa poursuite à son tour et, suivant le même raisonnement que moi, était venue ici. À présent, elle fixait, les yeux écarquillés d'effroi, le massacre qui se tenait entre elle et le Prince. L'Illusionniste, une jeune femme d'à peine vingt ans, étendue à moitié morte dans l'herbe, un poignard enfoncé profondément dans la gorge. Le Voyageur, un soldat dans la fleur de l'âge et combattant chevronné, allongé par terre comme une poupée désarticulée. Sa comparse, inconsciente au pieds du Prince. Et enfin, la Télékinésiste, transpercée par une ornementation du kiosque.

  –Par la Déesse, fils, qu'as-tu fais ?

  Une sombre détermination envahit ce dernier et chassa la brume de son esprit. Cessant de s'appuyer sur la gloriette, il se redressa de toute sa taille, le regard noir et le feu grondant dans ses veines.

  –Altesse, nous n'avons pas...

  –J'ai fait ce qu'il fallait, mère, répondit-il.

  –Tu... Tu as tué les tiens, tes frères et tes sœurs !

  –J'ai tué des traîtres à la couronne, rétorqua-t-il. Des meurtriers qui participaient à l'assassinat de ma femme et de mon neveu, ton futur roi !

  Un véritable déchirement saisit la Reine.

       Mon pauvre fils...

  Dans un autre coin des jardins, son ancienne fiancée marchait si vite qu’elle arrivait bientôt aux portes du palais.

  –Lokia est en chemin pour tuer Lunixa !

  Cette fois-ci, mon injonction traversa la colère de Kalor et l’atteignit. Il cilla plusieurs fois, comme arraché d'un rêve. Puis, il s’empressa de visualiser le salon framboise sans poser de question, repoussant douleur et épuisement.

  Si je n'avais pas été aussi préoccupé par son état et l'avancée de la Marquise, je n'aurais jamais manqué un esprit éveillé. Ils attiraient mon pouvoir comme le miel attire les abeilles.

  Pourtant, je n’avais pas senti la Voyageuse reprendre connaissance durant la courte conversation entre le Prince et sa mère. Je ne m'en rendis compte qu'au moment où elle frappa, quand, dans un sursaut d'énergie, elle crocheta les jambes de son Altesse. La surprise désagrégea instantanément l'image du salon dans les pensées de ce dernier. Il se hâta de songer à un autre lieu, mais sa tête heurta le sol avant qu'il n'en ait le temps. Après tout ce qu'il avait subi, le choc manqua de lui faire tourner de l'œil.

  La Voyageuse en profita pour se positionner au-dessus de lui et le plaquer dans l'herbe. À l'entrée du bosquet, une sombre résignation gagna la Reine.

  Non...

  Je me précipitai sur son esprit, mais ne fus pas assez vive. En un clin d'œil, elle se téléporta deux fois : une fois pour récupérer l'un des poignards empoisonnés et la seconde, pour rejoindre son fils. Touché par un rayon de soleil, la lame étincela. Le Prince chercha immédiatement à repousser la personne qui brandissait cette arme au-dessus de lui.

  Son coup ne toucha jamais sa cible.

  Lorsqu'il découvrit que cette personne n’était autre que sa mère, il se pétrifia, son coude à quelques centimètres d'elle.

  –Mère....

  –C'est pour ton bien.

  La panique déferla en moi. Rompant tous liens, je me ruai sur la Reine.

  Je l’effleurais à peine lorsqu’elle plongea la lame dans l’épaule déjà meurtrie de son fils.

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