Chapitre 83 - Partie 2

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  Instantanément, l'esprit du Marionnettiste se rua vers lui. Je me jetai sur le sien, mes autres connexions pratiquement rompues, et pendant une seconde, je le sentis. Il était là, aussi tangible que n'importe quel esprit.

  Cependant, il n'avait rien perdu de sa capacité à se déformer et une fois encore, il m'échappa. J'érigeai en vitesse un obstacle juste derrière, sans plus de succès. Il se distordit, le contourna, et atteignit finalement sa cible, où il s'imposa dans toutes sa puissance. Il se déploya de toute part, referma ses tentacules mentales sur l'esprit du Marquis, le musela, le repoussa au plus profond de son être... Seul un infime spasme agita ce dernier, unique signe de cette prise de pouvoir. Ses gestes ne furent mêmes pas hésitant. Comme si ce corps avait toujours été sien, le Marionnettiste récupéra le verre, puis le porta aux lèvres de la Princesse. Cette dernière tenta de le repousser en balbutiant des phrases incompréhensibles, mais il finit par avoir gain de cause. L'une des invités lui suggéra de l'emmener ensuite au salon des rois, afin qu'elle soit au calme. L'Invisible approuva tout de suite et offrit au Marquis possédé de l'accompagner, pour tenir compagnie à son Altesse. Comprenant par là qu'il devait accepter les deux propositions, le Marionnettiste acquiesça, prit la Princesse dans ses bras, puis l'emmena hors de la pièce. L'Invisible lui emboîta le pas en ordonnant à la domestique ainsi qu'à un invité de les accompagner. Jusqu'à ce qu'ils sortent de la pièce, un murmure talonna leur progression. Son Altesse était-elle malade ? Avait-elle trop bu ? Leur avait-elle caché un heureux événement ? Avait-on glissé quelque chose dans son verre ? S'agissait-il simplement de sa mauvaise semaine ?

  L’Invisible se servit de cette dernière hypothèse lorsque les gardes à la porte les interrogèrent sur l’état de la Princesse. Comme le Marquis le confirma, ils n’insistèrent pas.

  Atterrée, j'assistai à tout cela sans réagir.

  Nous avions échoué.

  Que la Princesse Valkyria ne puisse assister au meurtre comme le désirait son chef ennuyait l'Invisible, mais le Marionnettiste possédait bien son époux. Le cœur du plan pouvait toujours avoir lieu. Aussi, dès que le Marionnettiste eut déposé la Princesse sur le canapé du salon, elle ordonna à la domestique, Elma, de lui remettre un poignard.

  Des larmes de rage et d'impuissance envahir les prunelles de son Altesse et sa détresse se répercuta en moi. Mes yeux s'humidifièrent sous mes paupières closes.

    –N... Non. Laissez...

  Le Marionnettiste lui coula un bref regard, hésitant, puis s'empara de la lame. Mon cœur eut un violent sursaut. Rouvrant brusquement les yeux, je quittai mon alcôve.

  L'alarme... Je dois déclencher l'alarme...

  –Magda.

  Je me stoppai net, avant de prendre une inspiration tremblante. J'aurais voulu m'accrocher à cet appel, remonter jusqu'à l'esprit qui en était à l'origine et m'abriter en lui, m'envelopper dans ce cocon rassurant où j'avais tant de fois trouver refuge. Il me protégerait de toute cette folie, je n'aurais plus à lutter, à redouter ce qui allait arriver.

  Mais je ne pouvais pas abandonner.

  –Pas maintenant, Frey.

  –Si maintenant, rétorqua-t-elle. Tu dois m'écouter.

  –Te souviens-tu de ta tâche ? vérifia au même instant l'Invisible. (Les yeux baissés, le Marionnettiste opina.) Bien. Alors vas-y. Quant à toi, assure-toi que la mission soit menée à bien, ajouta-t-elle pour l'invité qui les avait accompagné – un autre partisan. Elma et moi allons rester ici avec la Princesse.

  Une ombre hantée passa dans le regard du Marquis parasité. Il baissa derechef les yeux sur l'arme mortelle dans sa main, puis l'enserra si fort que ses doigts blanchir. Sa réticence et son effroi à l'idée de tuer un nourrisson étaient si fort qu'ils se collaient à moi comme une seconde peau suintante de dégoût.

  Pourtant, il acquiesça.

  –Je ne peux pas, rétorquai-je. Il n'y a plus que...

  –Je sais qu'il n'y a plus que toi. Tes pensées n'arrêtent pas de fuiter depuis tout à l'heure ; c'est comme si j'assistais à l'hécatombe de visu. Alors arrête de discuter, respire un coup et écoute-moi. Tu ne penses pas clairement.

  Malgré la pointe d'angoisse que je percevais à travers notre lien, elle s'adressait à moi d'un ton calme, détaché, presque impérieux. Elle me donnait l’impression de ne plus être vraiment seule, de prendre les choses en main.

  Mon pouls s'apaisa imperceptiblement. J'inspirai comme elle me l'avait ordonné.

  –Voilà... Reprends-toi avant de faire une bêtise. Le Marionnettiste possède Nicholas Dragor. Le mari de Valkyria. Si tu déclenches l'alarme, les soldats le conduiront auprès des autres membres de la famille avant de les amener à l'abri. Tu précipiterais l'assassinat au lieu de l'interrompre.

  Je me hâtai de repousser le malaise que cette véracité généra en moi. J'aurais dû y songer tout de suite.

  –Tu ne l'a pas fait car tu as perdu ton sang-froid, justifia Freyja.

  –Peut-être, mais je ne vois toujours pas de solution.

  À part me glisser dans l'esprit d'un garde, du Prince Thor ou de sa femme et les avertir du danger.

  –Certainement pas, trancha Freyja, intransigeante. Tu peux encore l'arrêter toi-même.

  –Je n'arrive pas à m'agripper à lui, lui rappelai-je.

  –Parce que tu es trop éparpillée. Tu te bas contre un esprit capable d'en écraser un autre, Magda. Le tien a beau être fort, tu ne peux le surpasser avec un cinquième de tes facultés. Alors romps toutes tes autres connexions. Complètement. Ne garde même pas le strict minimum. De toute façon, les autres ne craignent rien dans l'immédiat ; ils n'ont pas besoin de toi.

  Prenant une nouvelle inspiration, je refermai les yeux et m'assis à même le sol du couloir caché. Le Marionnettiste se tournait vers la porte ; du côté de la Princesse Lunixa, le Marquis l'avait conduit au salon beige et la poussait à l'intérieur de la pièce ; quant à son mari, la Sirène l'envoûtait toujours. Mon cœur se serra en percevant les première note d'effroi envahir Lunixa, lorsqu'elle découvrit la présence de son époux, son état, mais j'obéis à Freyja. Je quittai tout le monde ; même le Marionnettiste. Aussitôt, un profond silence m'enveloppa. Ma migraine se résorba. Toutes les émotions qui me parasitaient s'envolèrent, hormis l'assurance et le calme de Freyja, ce soutien infaillible. Pour la première fois depuis l’enclenchement du plan, mes muscles se relâchèrent ; mes poumons s'emplirent vraiment.

  Une vague de douceur atténua encore ma migraine et le reste de ma tension.

  –C'est ça, Magda, respire. Accorde-toi quelques secondes, repose ton esprit.

  J'obéis et mon cœur se calma encore, retrouvant presque son rythme naturel.

  –Parfait. Maintenant, retourne dans la tête de Nicholas Dragor, prends ton temps pour préparer ton attaque, puis balance tout ce que tu as. Il est grand temps de montrer à ce Marionnettiste de malheur qui a l'esprit le plus puissant.

  –Et si cela ne suffit pas ?

  –J'en doute. Mais si tu ne parviens qu'à lui infliger la migraine du siècle ce n'est rien. Les renforts ne devraient pas tarder à arriver. Ils s'occuperont de lui.

  Alors que j'allais redéployer mes pouvoirs, je suspendis mon attaque.

  –Les renforts ?

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