Chapitre 97 - Partie 3

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  Lorsque nous mîmes un terme à nos duels, j'étais plus détendu que je ne l'avais été depuis la naissance de Baldr. Le souffle court, nous nous installâmes sur la volée de marche autour du carré d'entraînement, père remplit me remplit le verre qu'il avait amené, puis bu une longue rasade directement au pichet.

  –Ton frère et le général Upseeri ne mentait pas. Tu es devenu redoutable, fils.

  –Vous avez emporté trois duels, lui fis-je remarquer.

  Il me lança un regard en biais.

  –Parce que tu crois que je n'ai pas remarqué que tu retenais tes coups ? (J'eus un sourire crispé.) Te sens-tu tout de même mieux ? s'assura-t-il.

  –Plus que je ne l'avais espéré. Vous ?

  Un sourire discret frôla ses lèvres et il opina avant de reporter son attention devant lui. Il se perdit dans la contemplation du complexe plongé dans l'obscurité, dans le silence bienfaisant seulement interrompu par notre respiration haletante.

  L'absence de sa Lame me revint soudain en mémoire.

  –Où est votre le lieutenant Snoski, Père ?

  –Avec ta mère. J'avais besoin de me vider la tête pour retrouver mes esprits et je ne pouvais le faire avec quelqu’un m’observant avec attention.

  Je grimaçai.

  –Ce n'est pas prudent, père, les Lathos...

  –Il le fallait.

  Le silence qui suivit ses mots me permit de mesurer tout le poids qu'ils contenaient. Père avait obtenu ce qu'il était venu chercher et entre deux coups d'épée, il avait déjà recommencé à songer à la situation.

  –Alors ? soufflai-je.

  Il vida la broc avant de me répondre.

  –J'ai réfléchi à la situation des Lathos, à ce que tu m'as dit à notre arrivée dans l'abri... Et tu as raison, Kalor. Nous avons sous-estimé ces erreurs et plus le temps passera, moins elles se laisseront faire sans réagir. Cette attaque n'était que la prémisse de ce que le futur nous réserve. Bientôt, nous aurons à en affronter d'autres ; celle-ci était bien trop organisée pour qu'il en soit autrement. J'ignore ce qu'il en est dans les autres royaumes, comment réagiraient les autres souverains à notre place. Certains décideraient peut-être de mettre un terme aux exécutions pour éviter une guerre civile, mais nous ne serons pas de ceux-là, déclara-t-il avec force. Nous ne ploierons pas le genou devant la menace, ni n'iront à l'encontre de Dame Nature. Elle nous a donné pour mission de purger la terre de cette vermine et il n'est pas question de La décevoir, que Talviyyör deviennent l'objet de Sa colère.

  J'eus du mal à inspirer ; toute sérénité s’était envolée.

  –Donc nous allons poursuivre les persécutions, comme si rien ne s'était passé ?

  Il secoua la tête. Je fronçai les sourcils.

  –Si je souhaite protéger nos sujets du courroux céleste, ce n'est pas pour les livrer en pâtures aux Lathos. Puisque ces êtres ne sont pas aussi dépourvus de sentiments que nous le pensions, il faut limiter ce qui attise leur haine, étouffer le feu de leur révolte. C'est pourquoi, dès demain, il n'y aura plus ni lynchage, ni exécution publique, même pour le Télékinésiste de l'attaque. Nombre de personne me le reprocherons, mais je n’en ai que faire. Je n'en ferais pas un martyr. Désormais, lui et les siens seront considérés, arrêtés et condamnés comme n'importe quel criminel.

  Les coudes posés sur les genoux, je regardais mes doigts blanchis tant je serrai mon verre. Cette amélioration – si tant est que l'on puisse appeler cette décision une amélioration – était à la fois bien inférieure à ce que j'avais espéré et plus importante que ce que j'avais craint.

  –Donc la chasse au Lathos...

  –Nous devons absolument savoir si d'autres erreurs ont investi des positions élevées, à l'instar d'Ulrich. Elle va donc se poursuivre, le temps d'enquêter sur les familles nobles, les chefs militaires, ou encore les chefs de grandes compagnies. Néanmoins, elle sera faite dans la plus grande discrétion et uniquement par l'escadron blanc. Comme le Général Stormski et toi l'aviez dit, la propager à l'ensemble de la population risquerait d'être contreproductif.

  Encore une fois, cette décision me laissa un arrière-goût amer.

  –J'avais songé à vous envoyer dans l'un de nos manoirs secondaires, précisa mon père, le temps que les personnalités très présentent à la cour soient passées au crible et disculpées. Mais vous ne seriez pas forcément plus en sécurité qu'au palais et nous ne devons pas donner l'impression de craindre les Lathos. Cela nous discréditerait aux yeux de nos pairs et galvaniserait ces erreurs : notre peur serait vue comme une victoire malgré l'échec de leur massacre.

  Mon cœur bondit soudain dans ma poitrine. Contenant ma fébrilité à grand peine, je me tournai vers lui.

  –Et si je vous disais que j'avais peut-être une solution à ce problème ?

  Mon père haussa un sourcil interrogateur.

  Dix minutes plus tard, il était installé sur le canapé de mon bureau, une cigarette entre les lèvres et le dossier dont seules Valkyria et Magdalena étaient au courant entre les mains. Je m'attendais au moins à ce qu'il me réprimande pour cette cachotterie, mais ce ne fut pas le cas. À la fin de sa lecture, il me posa simplement des questions, auxquelles je répondis, puis fixa le dossier un long moment sans dire un mot, revenant parfois à telle ou telle page pour en relire le contenu.

  Malgré les conséquences de mon idée, un immense soulagement me gagna. Je connaissais mon père. Cette réaction calme, ces interrogations pragmatiques et la profonde attention avec lequel il étudiait encore et encore ma proposition, tout m'indiquait qu'il avait déjà pris sa décision. Il effectuerait sans nul doute quelques ajustements, mais il allait appliquer ce qu’il avait sous les yeux. Il le confirmerait dans les jours à venir.

  Finalement, il ne fut même pas question de jour. Alors que je m'attendais à être congédié lorsqu'il referma la chemise, il releva la tête. Un éclat satisfait illuminait son regard, reflet du sourire sur ses lèvres.

  –Tu as raison, fils, c'est exactement ce qu’il nous fallait. Non seulement, ce voyage nous offre de nombreuses raisons sans aucun lien avec l'attaque de nous éloigner du palais. Mais avec tout ce que tu as déjà préparé, nous pouvons aussi prétendre qu'il était prévu depuis des semaines et démontrer que les récents événements ne nous ont pas affaibli car nous ne laissons pas la situation bouleverser nos dispositions. Autant d'arguments contre quiconque verrait dans cet éloignement une tentative de fuir de futures attaques.

  Je ne pus contenir plus longtemps mon soulagement : alors que mes épaules s'affaissaient, un long soupir m'échappa.

  Enfin, ils seraient bientôt hors de portée de la Cause...

  Se rallumant une cigarette, mon père se renversa dans le dossier tout en rouvrant le dossier. Les pages qu'ils feuilletaient bruissaient entre ses doigts.

  –Oui, c'est vraiment parfait... Nous n'avons que quelques rectifications à effectuer et ce sera bon.

  –Le nombre de gardes ? demandai-je.

  Il opina.

  –Et les personnes concernées.

  Je me crispai.

  –Vous désirez rajouter mère ?

  Dame Nature, merci, il répondit par la négative. Je n'aurais pas su quoi dire dans le cas contraire. Cependant, s'il n'était pas question d'elle...

  –Thor ?

  –Non. Je ne veux rajouter personne, mais effectuer un échange.

  Toute chaleur me déserta. À part lui, seul un membre de la famille n'était pas encore concerné.

  –Père...

  –Tu vas prendre la place de Nicholas et Valkyria.

  –Non, c'est impossible. Je ne peux pas partir. Je dois vous épauler pour surmonter cette situation sans précé...

  –J'aurais encore ta mère, ton frère et ta sœur, en plus de nombreux conseillers.

  –Je ne dis pas le contraire, mais ils... (Prenant une profonde inspiration, je me redressai pour appuyer mes dires.) Aucun d'entre eux n'égale mon niveau au combat. Je suis le plus à même de nous défendre ou de me protéger moi-même en cas d'offensive. Ces capacités font de moi la dernière personne à devoir être mise en sécurité.

  –En effet, tu nous surpasses tous sur ce point. J'en ai eu la preuve directe pas plus tard que tout à l'heure. Mais il n'est pas question de tes facultés, Kalor. Il est question de ton importance au sein de notre famille et de tous mes enfants, c'est toi, le plus important.

  Soufflé, je le dévisageai comme s'il avait perdu l'esprit. Comment pouvait-il dire une chose pareille ?

  –Thor...

  –Est le futur Roi et il a finalement pu avoir un fils, la Déesse en soit louée. Malheureusement, un enfant ne suffit pas à assurer la pérennité d'une lignée, surtout en des temps sombres, et nous savons tous qu'un tel miracle ne se reproduira pas. Aussi difficile m'est-il d'imaginer le pire, je ne peux l'ignorer. Thor n'aura pas d'autre enfant, Valkyria a aussi des problèmes pour concevoir et n'est qu'en quatrième position dans l'ordre de succession. Alors si je dois protéger l'un d'entre vous, c'est toi. Car tu es mon second fils, Kalor. Celui à qui reviendra l'Héritage de la marque s'il arrive quoi que ce soit à ton frère et ton neveu, et le seul encore capable de perpétrer notre nom. Maintenant, plus que jamais, nous avons besoin d’héritiers. Et tu ne pourras en concevoir en étant loin de Lunixa.

  Je ne répondis pas à sa tirade, trop choqué pour réagir. Qu'aurais-je bien pu dire, de toute façon ? Aucun argument n'aurait pu le contredire.

  Si Père attendait une quelconque réponse, il ne chercha pas à me sortir de mon mutisme, ni à obtenir un signe de compréhension. Terminant sa cigarette, il referma le dossier, quitta son siège, puis se dirigea vers la porte. Cela l'amena à passer à côté de moi.

  –Je te laisse l'annoncer à Lunixa, je m’occupe des autres, conclut-il en posant une main sur mon épaule. Si elle se rétablit bien, vous devriez partir dans une semaine.

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