Dans la tempête

8 minutes de lecture

Lorsque nous avons commencé à nous écrire l'an dernier, j'ai lu "Correspondance passionnée" entre Anaïs Nin et Henry Miller. Sans doute ai-je alors rêvé d'entretenir moi aussi une relation épistolaire passionnée, sorte d'amitié amoureuse cérébrale et sexuelle...

J'avais effectivement plein de choses à te dire et j'ai envie de répondre en toute sincérité à ce que tu m'as écrit l'autre jour. Ça me fait du bien de t'écrire ce que je ressens, d'autant plus que je me sens libérée d'un poids : J'ai trop longtemps fait semblant de ne pas être amoureuse de toi de peur de te faire fuir, ce qui fut vain finalement. C'était l’objet du paragraphe que j'ai effacé dans mon dernier message et que voici :

"Je vais être honnête : j'en ai marre de faire attention à ce que j'écris pour te cacher mes sentiments.

Je t'aime.

Je n'aime pas le "premier venu" qui m'a aidé à me libérer, comme tu le crois : j'aime l'homme sensible qui s'est construit petit à petit, l'homme qui a perdu des plumes mais a guérit ses blessures, l'homme fort et intransigeant, l'homme passionné et courageux, l'homme gentil et attentionné qui devient le grand frère des âmes en peine, j'aime le petit garçon complexé devenu un bel homme mûr et fier de lui, j'aime le professionnel qui a commencé en bas de l'échelle pour devenir l'un des meilleurs, j'aime l'homme solitaire qui écoute des chansons tristes mais a ces pulsions de vie magnifiques, j'aime ta culture, ton humour, ta force tranquille, ta sensibilité, j'aime quand tu me parles de toi, de ton métier, j'aime ton regard, ton attention, tes mots pour moi.

Je te dis ça sans but, sinon celui que tu comprennes que c'est difficile pour moi de renoncer à toi. Prendre un pied incroyable et oser tous les jeux sans tabous avec un homme qu'on aime vraiment n'est pas donné à tout le monde. Je me sens comprise, respectée et en sécurité quand je suis avec toi. Je ne crois pas que cela puisse m'arriver à nouveau. Il fallait que ça m'arrive avec un homme qui ne m'aime pas, c'est bien ma veine."

J'ai supprimé ce paragraphe car j'ai pensé que ça allait te fâcher et que tu allais couper tout contact avec moi. Je sais maintenant que tu es surtout embêté qu'une femme t'aime alors que tu ne le souhaites pas. Tu déplores que l'on s'attache à toi et tu ne comprends pas pourquoi c'est le cas. Tu voudrais n'être qu'une parenthèse pour une femme, ne pas être irremplaçable. Et pourtant tu le deviens, malgré toi. Plus tu te veux détaché, pire c'est. Tu penses être clair dès le début que cela suffit à éviter la naissance des sentiments.

Mais de mon point de vue, ce n'est pas un hasard si je suis tombée amoureuse de toi, et j'en suis d'autant plus sûre aujourd'hui que tu m'avoues que je ne suis pas la seule à être tombée dans tes filets.  Pour un malentendu, il faut être deux. Et tu sais aussi bien que moi, pour t'être assis dans le fauteuil d'un analyste, que la psychologie humaine veut que l'on reproduise, malgré soit, les situations que l'on connait, même si elles nous déplaisent et que l'on croit tout faire pour les éviter. Comme me le dit mon psy "La première rencontre est le fruit du hasard, pas la seconde".

Tu m'as parlé de ta volonté de ne pas prendre "trop de place" dans la vie d'une femme pour ne pas lui donner de faux espoirs. Tu me dis que tu as été clair dès le départ sur ce que tu n'avais pas à apporter à une femme. Tu as espacé nos rencontres pour m'éviter l'attachement. Tu m'as mise en garde de ne pas "tomber amoureuse du premier venu". Oui, tu fais tout ce qu'il faut. Et  ça ne fonctionne pas.

On a le problème inverse toi et moi. Moi je m'attache, j'ai peur de faire fuir et je provoque cette fuite malgré moi. Toi tu ne t'attaches pas et tu ne veux pas que l'on s'attache à toi mais tu provoques cet attachement malgré toi. Franchement, on a l’air malin !

Plus sérieusement, je pense que ce chemin initiatique que tu proposes aux femmes, ton goût pour accompagner sur le chemin sensuel, aider une femme à se libérer, à se révéler, ton envie d'être cet ami protecteur attirent des femmes forcément sensibles et qui ont, sous couvert de découverte sexuelle, inconsciemment envie d'appartenir à un homme, corps et âme. Tu es un Pygmalion, ce n'est pas rien dans la vie d'une femme.

De plus, les jeux sensuels que nous affectionnons tous les deux sont subtils et cérébraux. Ils créent forcément un lien très fort. Il y a des subtilités qui ne sont pas anodines.

Prenons l'exemple du trio que l'on a fait avec ton ami : le jeu cérébral entre nous n'était pas "deux hommes te baisent" mais "je te prête à mon ami", "je te présente et t'offre". Mais si tu me prêtes ou m'offres, c'est que je t'appartiens, non ? J'ai vécu cette expérience incroyable avec toi comme quelque chose qui allait nous lier et j'ai beaucoup souffert de te sentir distant les jours qui suivirent.

Autre exemple pour les jeux de soumission : Se soumettre sexuellement à un homme n'est jamais anodin pour une femme. Ce n'est pas juste un jeu. Il y a un aspect psychologique très fort, un truc que chacun exorcise. J'ai rencontré deux couples illégitimes mais très soudés jouant à ces jeux de façon plus hard et j'ai beaucoup échangé avec les hommes. Ils convenaient aisément que le lien avec leur soumise était très fort et de l'ordre du sentiment amoureux. Ces jeux de possession exorcisent les vrais jeux de pouvoir qui se jouent souvent dans les couples conventionnels : au moins c'est clair et assumé par les deux dans l'intimité et la relation est plus saine en dehors des jeux, d'où un attachement fort qui se crée.

Et puis, tout simplement, faire l'amour créer de l'attachement, c'est hormonal, on n'y peut rien.

Et enfin, avant même de parler de réel, le virtuel peut aller bien au delà et créer de l'attachement tout autant que de se voir en vrai. Tu sais que l'an dernier nous avons échangé 415 mails en 3 mois ! Puis encore 180, les 9 mois suivant. En plus de toutes les séances de sexe au téléphone. L'an dernier on ne dormait plus, tu te souviens ? On restait au tel jusqu'à des heures très tardives et on a recommencé cette année en redevanant des inconnus. Ce n'est pas anodin tout ce que l'on s'est écrit, avoué, ce que l'on a partagé... Je n'ai jamais autant écrit à quelqu'un ! Et aucun homme ne m'a jamais parlé de façon si intime de son passé, de sa façon d'être, de ses blessures, de sa façon de voir la vie. Alors "virtuel", pour moi, n'est pas le contraire de "réel" ! Au contraire ça peut être encore plus fort ! D'autant plus que nos courriers enflammés et érotiques des débuts flirtent avec le registre de l'amour. "tu me manques", "ta voix me manque", "j'ai envie de t'entendre", "je suis heureux", "j'ai aimé", "j'ai adoré", "j'ai envie de te prendre dans mes bras", "j'ai pensé à toi"... Un soir, il y a même un "plein d'amour" qui t'a échappé. Honnêtement, j'ai cru que tu étais tombé amoureux.

Tu me dis que tu fais attention à "prendre le moins de place possible" dans la vie d'une femme, mais toutes ces lettres, ces mots, ces aveux, ces plaisirs partagés, aussi "électroniques" soient-ils, ont pris une grande place dans ma vie de femme, malgré tes efforts pour m'éloigner de toi. Rendre nos rencontres rares n'a fait que nourrir mon envie de toi, me pousser à voir d'autres hommes aussi car je l'ai fait en pensant à toi, pour patienter de toi. Et comme ces hommes m'ont déçue et traitée de façon peu correcte, ça m'a donné encore plus envie de te retrouver, toi !

Mais que ce soit clair : je t'explique ce que j'ai ressenti et ce qui m'a attaché à toi mais je ne te reproche absolument rien. Encore une fois, on était deux.

C'est vrai que tu es clair dès le début. Mais çà ne change rien. Les sentiments ne se contrôlent pas.
 

Tu as aussi raison sur le fait que ta façon d'être, ta sensibilité cachée derrière ta carapace d'homme sûr de lui, donne envie de te protéger, de te soigner. C'est étrange car tu provoques chez moi des sentiments très ambivalents. J'aime à la fois l'homme mûr et viril qui me guide, me conseille, me libère, m'initie aux jeux sensuels et me donne envie de perversité et le petit garçon caché en toi, ta sensibilité, ta fragilité, qui me donnent envie de te protéger, de te guérir de tes blessures passées, de te rendre la vie plus douce, plus joyeuse. Je vois en toi un homme blessé qui s'est forgé une carapace pour se protéger mais qu'en dessous il y a un cœur énorme qui a plein d'amour à donner et à recevoir. Tu me donnes envie, et pas qu'à moi apparemment, d'être celle qui saura forer cette carapace et te rendre heureux.

Je ne suis pas une "missionnaire en croisade" même si ton image me fait beaucoup rire, et je ne me sens pas non plus "redevable". J'ai juste envie de te rendre heureux. C'est une bêtise de ma part. Tu n'as pas besoin de moi.

J'ai entendu et lu plusieurs fois ta crainte de blesser les femmes, ta réticence à risquer de nous "rendre triste", ton regret de "rendre les femmes malheureuses". C'est une crainte visiblement ancrée en toi... Je me souviens aussi que tu m'as dit ton regret de ne "pas avoir su rendre ta femme heureuse" ou lui "redonner confiance en elle" comme tu me l'as écrit il y a très longtemps. Je pense que tu as tort de voir les choses sous cet angle. Tu n'es pas responsable. Rendre une femme heureuse est mission impossible si elle est de nature à se complaire dans l'insatisfaction. Tu te mets trop de pression pour le bien-être de nous autres. "Parce que nous le méritons plus que les hommes" ?

Je ne vais pas te le cacher, avec toi j'ai eu des grands moments de joie mais j'ai aussi beaucoup pleuré. Il m'est arrivé de ne pas réussir à aller travailler pendant plusieurs jours et de rester au fond de mon lit. Lors de notre break de février notamment, j'ai vraiment perdu pied. Je me suis sentie abandonnée. J'ai eu du mal à me relever et ce n'est que la perspective de reprendre contact avec toi qui m'a aidée. On s'est revu, c'était super. Et lorsque tu m'as repoussée cet été, je me suis consolée en multipliant les rencontres, ce qui n'a rien arrangé, à vrai dire. Enfin, en septembre, ta mise à l'écart m'a blessée parce que je sentais que tu utilisais une excuse pour te débarrasser de moi, tout en sentant que c'était pour mon bien que tu le faisais...

Mais toutes ces larmes, j'en suis seule responsable. Moi et les cons d'adultes qui ont provoqué de mes blessures d'enfant... Mais pas toi ! Ma relation avec toi n'a fait que rouvrir des plaies qui, de toutes façons, n'avaient pas cicatrisé. Mais ce n'est pas de ta faute. Et en plus, c'est un mal pour un bien car ça m'aide dans mon analyse. C'est dans la tempête que l'on apprends à naviguer.

Annotations

Vous aimez lire Inconnue_libertine ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0