Chapitre 31
À 8 heures du matin, le car nous déposa dans ce magnifique paysage où une verdure flamboyante régnait.
Je marchais en arrière et ne cessais de penser aux dernières paroles de Craig. Ma mère? C'était impossible. Elle ne pouvait plus être en vie. Je n'arrivais pas à comprendre comment Edgar pouvait appeler une morte à la vie, mais surtout pour quelle raison aurait-il fait ça? Je ne cessais de me répéter que ce Edgar méritait quelque chose de bien pire que la mort. Après tout ce qu'il avait fait endurer à ma mère, il ne pouvait pas la laisser reposer en paix. C'était lui qu'il l'avait tué, c'était lui qui l'avait privé de sa vie. Et maintenant, il ose la rappeler parmi nous. C'était vraiment ignoble. Comment un être humain pouvait-il tuer son frère? Mais après tout, Edgar était tout sauf humain. Il était comme une bête féroce assoiffée de sang, qui n'hésiterait pas une seconde à vous tuer, ou pire encore, il serait prêt à vous dévorer, à vous arracher vos membres, pendant que vous hurlerez à vous tordre la gorge. Seulement lui, il ne fera même pas attention à vous, il n'aura aucune pitié pour vous. C'était comme ça que je le voyais.
J'avançais sans même faire attention au paysage autour de moi. J'étais tellement absorbée par mes pensées les plus obscures et les plus horribles, que je ne me rendis pas compte que nous étions déjà arrivés. Craig nous dit:
- Il ne nous reste plus que traverser cette colline avant d'arriver dans la vallée interdite. Nous devons être prudents, car là-bas, le danger est présent partout où vous posez les pieds.
Il avança et nous le suivîmes. Joséphine s'approcha de moi et me dit:
- Tu sais, Craig n'était pas sûr que c'était vraiment ta mère. Peut-être que ce n'est pas elle et que tu te fais du souci pour rien.
- Craig ne se trompe jamais. C'est lui qui vous a retrouvé, toi, Maître Fahey et Maître Gloderhel.
- Oui, c'est vrai, mai je ne vois pas pourquoi Edgar ferait ressusciter ta mère.
- Moi je vois pourquoi, pour la simple raison de nous voir souffrir. Il ne faut pas chercher à le comprendre. Il n'est pas comme nous tous.
- Oui, mais il faut lui donner une chance de tous nous expliquer. Peut-être qu'il avait une raison pour faire ce qu'il a fait.
- Alors, tu crois qu'il avait une raison suffisante pour tuer ma mère, pour la faire souffrir, et maintenant la ressusciter. Tu crois qu'il pouvait enlever Maître Gloderhel et Maître Fahey. Peu importe ces raisons, il n'avait pas le droit de faire ça, il n'avait pas le droit de nous faire souffrir.
- Il ne faut pas le juger très rapidement. On ne sait pas ce qui s'est passé entre lui et ta mère.
Je ne pris même pas la peine de lui répondre. Je ne voulais pas me disputer avec elle, et surtout, je n'avais pas la force de parler de tout ça, de parler du passé. Je me sentais faible, si faible que je pouvais à peine marcher. Je me sentais meurtrie de l'intérieur.
À chaque fois que je revoyais ma mère, je revoyais avec elle Edgar. C'était comme si tous les bons moments passés avec elle, s'étaient effacés.
J'avais mis du temps pour enfin comprendre, comprendre que ma vie était empoisonnée à jamais. Le monstre qui m'habitait ne cessait de me faiblir, ne cessait d'aspirer mes forces de l'intérieur. Et dire que je croyais que j'étais enfin libérée de cette affreuse bête, j'étais vraiment naïve au point de croire des sornettes pareilles.
La bête vivait toujours en moi. Je ne pouvais le prouver, je ne pouvais le démontrer, je ne pouvais que l'affirmer. Je ne portais ni sceau portable, ni sceau fixe, si jamais elle décidait de surgir, je ne pourrais l'en empêcher.
Pour la première fois, j'avais vécu normalement, sans me préoccuper du monstre qui vivait en moi. Mais maintenant, je savais que c'était fini.
Je sentais comme une force surhumaine en moi, qui n'arrêtait pas de bouger, de monter et de descendre, et qui finira tôt ou tard par sortir.
Nous arrivâmes enfin à la vallée interdite. Joséphine et Craig semblaient en bonne forme, alors que moi j'étais épuisée. Je ne voulaispas les ralentir en leur proposant de faire une pause. Il fallait que je marche à leur rythme.
Je ne voyais pas pourquoi ils devaient ralentir pour moi , ils n'avaient pas besoin de quelqu'un comme moi, de quelqu'un qui est maudit.
Joséphine ne cessait de me répéter qu'elle ne pouvait se battre, mais je savais bien que dans une situation difficile, elle n'hésitera pas à se servir de ces techniques de combat. Elle au moins, elle savait faire quelque chose, elle savait se rendre utile.
Nous nous engageâmes dans un chemin sinueux.Il y avait des cailloux partout, et j'étais sur le point de tomber à plusieurs reprises.
Mon bras droit commençait à saigner. Pour une fois, je comprenais ce qui se passait, ou plutôt, ce qui allait se passer.
Joséphine, en voyant mon bras, se précipita vers moi et me disant:
- Qu'est-ce que tu as au bras? Tu t'es blessé?
- Ce n'est qu'une simple égratignure.
- Ça ne te fait pas mal au moins?
- Oh, non pas du tout. Je vais bien, ne t'inquiètes pas! Allez avance, on va perdre du temps.
Elle rejoignit Craig en courant.
Je ne pouvais lui expliquer la situation. Elle qui avait déjà eu peur en voyant quelqu'un se transformer, je ne pouvais risquer de perdre une amie sincère. J'avais peur. J'avais peur qu'elle me voit, et qu'elle préfère s'éloigner de moi. Elle était très précieuse à mes yeux, et je ne pouvais risquer de la perdre.
Tous les deux étaient maintenant très loin. Ils discutaient ensemble et semblaient heureux.
Je voyais Craig rire pour la première. Même son rire était beau.
Mes membres s'étaient paralysés. Je ne pouvais plus bouger. Je me retrouvai allongé sur ce sol caillouteux.
Je regardais devant moi. Ils étaient loin à présent.
J'espérais seulement qu'il sauve Maître Gloderhel.
Je savais bien ce qui m'attendait, et je voulais être seule. Pour une fois, je voulais me prouver que j'étais capable de faire au moins une chose. Assumer les conséquences de mes actes. C'était la seule chose que je voulais.
Je sentis une décharge électrique qui me traversa tout le corps, et qui n'arrêtait pas de s'accroître. La douleur était atroce, abominable, épouvantable.
Je ne sentais plus mes jambes, et bientôt, je ne sentais plus rien.
Je sombrais dans un tourbillon obscur.
Dieu sait si je pourrais en sortir.
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