Chapitre 32
Au coucher du soleil, la forêt était encore plus belle. Les reflets orangeâtres transformaient le paysage en un monde féerique. Les arbres, si majestueux les uns que les autres, s'alignaient formant ainsi un passage qui traversait la forêt de long en large. On aurait dit un grand labyrinthe si profond qu'on ignorait où se tourner et où se diriger.
J'étais couché sous un arbre. J'ouvris mes yeux et ne pus discerner le paysage autour de moi. Dans ma demi-conscience, j'apercevais une tache marron devant moi, avec un peu de vert.
Il me fallut quelques secondes pour recouvrer toutes mes facultés et comprendre que cette tache marron était en fait, un arbre. Je me levais tant bien que mal, et restai adossé à la cime. Tous mes membres étaient endoloris. À chaque fois que je bougeais ma main, une douleur me traversait tout le corps, me paralysant par la même occasion. À cet instant, j'avais compris ce que signifiait vraiment le mot faible.
Dans cette large forêt régnait un silence des plus anormaux. Pas le moindre bruit ne se faisait entendre, pas le moindre chant d'oiseaux, pas la moindre trace de vie. J'espérais seulement qu'une branche se brisait, qu'une feuille tombait pour rompre la monotonie du paysage.
Me voilà seule, entourée d'arbres et de feuilles, j'étais inoffensif tel un enfant qui venait de naître. Marcher était pour moi une réelle épreuve. Je me mis à traîner mes jambes et à m'adosser aux arbres.
Je me demandais où était Joséphine et Craig. Avaient-ils réussi? Avaient-ils sauvé Maître Gloderhel? Étaient-ils encore en vie? Ces questions ne cessaient de me trotter dans l'esprit. Je n'avais pas moyen de savoir, et par suite pas moyen de me soulager.
Je déambulais dans ce chemin sinueux, sans but précis. Je ne savais pas ce que je cherchais, je ne savais pas quelle direction prendre, mais je savais que je devais marcher, continuer à marcher, voilà la seule chose, dont j'étais sûr.
Le soleil était au zénith. Une chaleur insupportable planait sur ce paysage verdoyant. J'étais essoufflée, mais je devais continuer à marcher. Je savais bien que si jamais je m'arrêtais, mes jambes refuseraient de m'obéir, et je me retrouverais coincée au milieu de nulle part.
Je ne saurais vous dire ce qui s'était passé au juste. La seule chose dont je me souvins c'était que je marchais, et soudain, je ne voyais plus rien devant moi. Rien, que l'obscurité profonde.
Je me retrouvais dans une petite chambre, battis en bois. J'entendais des voix de femmes, mais je n'avais pas la force de parler. J'essayais de me lever quand soudain, une petite fille qui était assise à côté de moi, et que je n'avais pas remarquée, cria ceci:
- Maman, Maman, elle s'est réveillée!!! Elle s'est réveillée!!
Une femme de la cinquantaine environ pénétra dans la petite pièce. Elle jeta un regard sévère à la petite fille en lui disant:
- Mais qu'est-ce que tu as à crier comme ça? Tu ne sais pas que c'est impoli!!
- Désolée maman.
- Vas-y sors, et que je te revoie plus!!
La petite fille quitta la pièce, en boudant. La femme se tourna vers moi. Son visage s'était illuminé par un sourire plein de bonté. Elle s'approcha de moi et me dit:
- Je suis désolée pour le comportement de ma fille.
- Oh, ce n'est pas grave. J'étais réveillée.
- Alors, comment vous sentez-vous?
- Un peu mieux.
Je me tus un moment avant d'ajouter:
- Où sommes-nous?
- Nous sommes dans le village d'Ambra, un petit village à l'extrémité nord des montagnes.
- Sommes-nous près de la vallée interdite?
- Oh oui, même trop près à mon goût. C'est un endroit très sauvage et surtout très dangereux où je n'aimerais pas me trouver.
- Il est si dangereux que ça?
- Bien sûr, chaque année des centaines d'enfants meurt à cause de cette vallée. Personne ne doit s'y aventurer. C'est pour cela qu'elle est appelée la vallée interdite.
- Et pourquoi tous ces enfants sont morts?
- Parce que...... Voyons, pourquoi vous vous intéressez à pareil endroit? Si j'étais vous je me reposerais au maximum. Tenez, buvez cette soupe.
Elle me tendit un bol rempli d'un liquide orangeâtres visqueux.
- Cette soupe est faite à base de plantes médicinales. C'est très bon pour la santé. Ça redonne de l'énergie au corps et en plus ça le soigne. Comment la trouvez-vous?
- Contrairement à ce que je pensais, c'est très délicieux.
- Ah, tant mieux que ça vous plaise. Vous savez, mon enfant, quand on vous a retrouvé, vous étiez dans un piteux état. Qu'est-ce qui vous est donc arrivé?
- J'étais avec des amis, et je les ai perdus de vue. Je me suis perdue dans la forêt, et mes forces n'ont pas tardé à me lâcher.
Je savais bien que je lui mentais, mais je ne pouvais faire autrement. Je ne pouvais quand même pas lui raconter cette histoire sans queue ni tête. Elle me prendrait sûrement pour une folle. Elle parut convaincue.
- Ah, pauvre enfant, je ne peux même pas imaginer ce que vous avez dû endurer. Maintenant, vous devez vous reposer. Vous prendrez des forces, et si vous le voulez bien, vous pouvez même rester quelques jours, ici, à Ambra. Ça vous fera du bien de vous détendre un peu.
- Merci pour votre hospitalité, et merci pour la soupe, c'est un vrai délice.
Elle se mit à rire.
- Ça me fait plaisir que vous aimez. Vous savez, mon enfant, que vous êtes l'une des rares personnes à aimer ma soupe.
Elle sortit. Je restais à penser aux derniers événements. Je me sentais beaucoup mieux, cependant, j'avais peur que la bête surgisse encore de nulle part.
Je ne voulais pas causer des ennuis à ces pauvres gens qui m'avaient si bien traité. Mais je n'avais pas les forces nécessaires pour sortir et continuer à marcher. Je me sentais encore faible, mais je savais que bientôt, je recouvrerais toutes mes forces et que j'irais retrouver mes amis.
J'espérais seulement qu'ils ne s'inquiétaient pas pour moi, parce que moi, j'allais bien.
Cette femme était si gentille avec moi, si tendre, qu'elle m'avait rappelé ma mère. Elle s'était bien occupée de moi, elle s'était même fait du souci pour moi. Elle avait accueilli une parfaite inconnue chez elle, et en plus, elle ne se méfiait pas d'elle. Ça me touchait beaucoup.
Cette femme me rappelait également Maître Gloderhel. Lui aussi m'appelait "mon enfant", lui aussi faisait de son mieux pour me venir en aide. J'avais les larmes aux yeux quand je pensais aux moments passés avec lui. Je me rendais compte que je tenais énormément à lui, et que vraiment, je l'aimais comme un père. J'avais retrouvé en lui le père que je n'avais jamais eu, ou plutôt, que je n'avais jamais rencontré.
J'étais absorbée dans mes pensées quand soudain j'entendis ce qui suit:
- Tu es sûre qu'elle a aimé la soupe?
- Puisque je te le dis. Elle est maudite. Toute personne qui boit volontiers cette soupe est maudite. Tu devrais le savoir.
Une troisième voix s'était mêlée aux deux autres. C'était celle de la femme qui m'avait accueilli.
- Il ne faut pas le dire au Chef. Cette fille est inoffensive.
- Elle a bu deux bols de soupe. Ce qui veut dire qu'elle est dangereuse.
- Peut-être, mais moi je l'ai vu de mes propres yeux, je lui ai parlé, et elle est tout sauf dangereuse.
- Vous avez parlé de quoi au juste?
- De son état de santé, de la soupe, de la vallée interdite et de la.....
- De la vallée interdite? Tu n'es pas sérieuse!!! C'est la preuve même qu'elle est dangereuse. Il faut la faire pendre.
- Non!!!! S'il te plaît!!!
- Tu ne comprends pas?? Elle est maudite!!! Qu'est-ce que tu veux, qu'on reste les bras croisés à attendre qu'elle nous tue un par un.
- Puisque je te dis qu'elle ne fera rien.
- Je vais aller le dire au Chef.
- Attends!! C'est moi qui vais aller le lui dire, et tu verras, il me comprendra, et il ne lui fera aucun mal.
Je restais là, pétrifiée.
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