Noha s'approcha de moi et me chuchota:

- Tu es toujours convaincue qu'il est quelqu'un de bien?

- Maintenant, je n'ai plus de doute possible. Craig est un monstre.

Elle me prit dans ses bras et me dit:

- Je suis vraiment désolée pour ce qui s'est passé. Si seulement j'avais essayé de faire quelque chose.

- Ce n'est pas de ta faute. Tu ne pouvais rien y faire.

- Ce que tu ressens maintenant, je l'ai ressenti au moment même où j'ai vu ma mère se faire tuer. Ne t'inquiètes pas, la douleur s'estompera.

- Pas toujours. Quand j'ai appris que ma mère s'était faite tuer, j'avais ressenti quelque chose, c'était comme si mon cœur se divisait en deux. C'était insupportable. Le problème c'est que la douleur ne s'est pas estompée, au contraire, elle n'a fait qu'accroître. C'est drôle, quand j'ai appris que mon père s'était fait tuer, lui aussi, je n'ai rien ressenti de tel.

- Ton.... père s'est fait lui aussi tué...?

- Oui, et tu ne devineras jamais par qui.

- Euh... Attends.. Laisse-moi réfléchir... Vollard?

- Non, c'était Craig.

- Quoi? Pourquoi est-ce que tu ne me l'as pas dit?

- Souviens-toi, je voulais te convaincre qu'il était quelqu'un de bien.

- Ah oui, c'est vrai!!! Et qu'est-ce que tu as fait?

- Rien. Je n'ai rien fait.

- Tu n'as pas cherché à te venger?

- Je n'ai jamais connu mon père. Pendant dix-sept ans, je croyais qu'il nous avait abandonné, ma mère, mon petit frère et moi. Mais, il s'était avéré que non. Il avait été tué par Craig, c'était plutôt un accident. Craig avait perdu le contrôle, mon père a essayé de maîtriser son pouvoir, et c'est là qu'il a perdu la vie.

-Je suis vraiment désolée pour ton père. J'imagine qu'il était une bonne personne .

- Je le crois aussi.

Maître Gloderhel, qui dormait en face de nous, se réveilla en disant:

- La vie est parfois très dure, mais il faut savoir la surmonter.

- Maître, vous étiez réveillé?

- Non, mais j'ai tout entendu.

Il s'interrompit avant d'ajouter:

- Je comprends que vous détestiez Craig, mais c'est lui qui m'a sauvée la vie. Faites le pour moi, ne lui parlez pas de Fahey.

Je m'écriai:

- Mais Maître, il l'a tué et....

- Je sais très bien qu'il l'a tué, et le détester ne ferai qu'empirer les choses. Mon enfant, rendez-moi ce service.

Noha s'avança en disant:

- Soit, nous nous tiendrons à carreau de lui, seulement, garantissez-nous notre survie.

- Je vous le garantis, il ne vous fera aucun mal.

- Il est où maintenant?

- Il ne tardera pas à arriver. Nous voyagerons ensemble.

- Vous vous rendez bien à Paris?

- C'est exact. Vous venez avec nous?

- Je n'ai pas d'autres choix.

Maître Gloderhel retourna à sa place, s'assit et se mit à attendre Craig. 

Je n'arrivais pas encore à croire que c'était Craig qui avait tué Maître Fahey, pas plus que j'allais voyager avec ce monstre. 

Je m'assis, et Noha vint près de moi.

- Mon enfant, ne t'inquiète pas. Tout se passera bien. 

- Je ne sais pas si je pourrais me retenir d'aller lui flanquer une de ces gifles.

Elle éclata de rire.

- Je ne savais pas que tu étais agressive à ce point.

- Il faut savoir l'être, non?

- Oui, tu as raison. Et ce Craig, il est comment?

- Comment ça?

- Physiquement, il ressemble à quoi?

- Tu ne tarderas pas à le savoir.

- Est-ce qu'il fait peur?

- Non, il ressemble à un garçon ordinaire, il est très renfermé, très froid. 

- Je vois.

Nous continuâmes à discuter. Jada se réveilla et nous rejoignit. Elle se mit à nous raconter des histoires de magie et de fées. 

- On y va?

Nous nous retournâmes avant de voir Craig, debout. 

Je le regardais pendant un moment en me disant que  c'était lui qui l'avait tué. C'étaient ces mains là qui avaient été tachées du sang de Maître Fahey. Maintenant que j'y pensais, c'était vraiment insupportable de se tenir devant un meurtrier.

Maître Gloderhel lui répondit:

- Oui, nous partons.

Il aperçut Noha et Jada et demanda:

- Nous avons de la visite?

- Oui, elles vont voyager avec nous.

- Pourquoi est-ce qu'un membre du Haut ministère voyagerait avec nous?

Noha se leva et s'écria:

- Comment ça....!!

Je l'interrompis:  

- Elles sont avec moi.

Il me jeta un regard glacial comme s'il venait de me remarquer. Après ça, il disparut.

Noha me demanda:

- Pourquoi est-ce que as tu fais ça?

- N'oublis pas, nous avons fait une promesse à Maître Gloderhel, et c'est pour ça que nous devons l'éviter au maximum.

- Tu n'aurais pas peur?

- À vrai dire, oui.

- Tu avais raison. Il est très fort. Rien qu'en me voyant, il a pu savoir qui je suis.

Nous nous levâmes et suivîmes Maître Gloderhel. 

Craig marchait en premier suivi du mage. Ce dernier lui chuchota quelque chose à l'oreille que je ne pus discerner. Mais à quoi jouait-il? Il devrait,lui aussi, le détester,mais non, il veillait toujours peur sur lui, et l'aimait encore plus. Il y avait quelque chose de plus dans toute cette histoire, quelque chose de louche.

Nous marchâmes longtemps avant d'arriver à la sortie de la grotte. 

L'air frais commençait à me manquer. Les rayons lumineux me réchauffaient et je me sentais revivre. 

J'étais en train de contempler le beau paysage, quand Jada s'écria:

- Maman!!! Maman!!

- Qu'est-ce que tu as ma chérie?

Noha se précipita sur Jada, qui était tombée. Elle semblait mal au point et sa cheville commençait à gonfler.

- Maman, j'ai mal!!!

Je me précipitais à mon tour en disant:

- Elle s'est foulé la cheville. Elle ne peut plus marcher. Il faut la porter.

- J'ai mal!!!

- Jada!! Calme toi, tout se passera bien!!

Noha me dit:

- Je ne peux pas la porter.

- Pourquoi?

- Eh bien, c'est difficile à expliquer. Disons que j'ai mal au dos.

- Tu ne parais pas convaincante.

- Je t'expliquerai plus tard.

- D'accord. Je vais la porter.

- Merci!

- Mains avant, il faut lui attacher la cheville. 

Noha déchira un morceau de tissu de sa chemise, et nous le nouâmes sur la cheville de Jada. La douleur se soulagea un peu. 

Nous continuâmes à marcher, Jada sur mon dos. Elle ne criait plus, et petit à petit, oublia son entorse.

À la nuit tombée, nous nous retrouvâmes au beau milieu de la forêt. Nous décidâmes de faire une  pause.

J'adossais Jada contre un arbre, et m'allongeai à côté d'elle. Noha me dit:

- Comme le ciel est beau!!

- Oh oui, ça m'avait manqué.

- De retour à Paris, qu'est-ce que tu comptes faire?

- Je continuerai sûrement à travailler, moi et Joséphi......Joséphine??

Je me précipitais vers Maître Gloderhel en lui disant:

- Maître!! Maître!! Où est Joséphine?

- Calmez-vous voyons!!

- Non, il faut que je sache où elle est.

- Eh bien, elle n'a rien de grave. Elle va bien.

- Alors pourquoi n'est-elle pas avec nous?

- Elle est tombée malade en route et maintenant, elle se repose.

- Est-ce qu'elle va bien au moins? 

- Oui, enfin je l'espère. 

- Et maintenant, où est-elle?

- Elle se repose à Ambra, un petit village non loin d'ici.

Noha s'écria:

- Ambra? Dites-moi que je rêve.

- Noha, tu n'es pas obligé d'y retourner. 

- Je te signale que toi non plus tu ne peux pas y retourner.

- Je suis bien obligée de le faire. Joséphine est ma meilleure amie.

Noha retourna près de Jada tandis que Maître Gloderhel me demanda:

- Pouvez-vous m'expliquer ce qui se passe au juste.

Je me mis à lui raconter toute l'histoire sans essayer de n'omettre aucun détail. Sa seule réponse fut:

- Vous avez de la chance d'être encore avec nous.

Je retournais m'asseoir près de Noha.

Je me mis à réfléchir à tout ça, à comment j'avais pu oublier Joséphine, cette personne si chère à mes yeux, cette personne qui comptait énormément pour moi. J'étais vraiment pathétique à oublier mes amis. D'abord Maître Fahey et maintenant elle. La voilà maintenant dans ce village maudit. J'espérais seulement que rien ne lui soit arrivée et qu'elle soit saine et sauve. Je ne pourrais supporter de la perdre, elle aussi.

Soudain, une idée jaillit de nulle part. Et si elle ne se trouvait pas à Ambra? C'était Craig qui  avait raconté à Maître Gloderhel qu'elle était tombée malade, et s'il mentait, et si en fait, il s'était occupé de son cas, comme il l'avait fait avec Maître Fahey. Non!! Il faudrait que j'arrête de penser à tout ça. Joséphine était à Ambra, et il fallait que je m'en convins. Cependant, je ne pouvais omettre cette possibilité.

Je jetais un regard furtif vers Craig. Il dormait. Il paraissait si innocent, si faible alors qu'en fait, il était un meurtrier sans pitié. 

Sous le clair de lune, dormait un monstre sanguinaire. Sous cette enveloppe charnelle, se cachait une bête féroce.