Chapitre 47

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Je restais blottie contre la vitre, tremblant de peur. Je me sentais de plus en plus faible et surtout, inoffensive. Se sentir emprisonnée, se sentir captivée, vouloir bouger tout en sachant que ça restera impossible, je puis vous dire que c'était la pire chose qui puisse exister en ce monde.

Jada était accrochée à mon bras et ne cessait de répéter: "Oh mon Dieu!! Que va-t-on devenir?"

Je savais qu'il fallait que je fasse quelque chose, je savais qu'il ne fallait pas que je reste les bras croisés à attendre je ne savais quoi. Je me décidais enfin à prendre une décision dont j'ignorais totalement l'issue. Je dis à Jada:

- Écoute, il faut que tu fuies!!

- Hein? Mais qu'est-ce que tu racontes?

- Il faut que tu vives!! Tu ne peux pas mourir maintenant!! Alors vas-y, cours loin d'ici et ne t'arrête pas!!

- Je ne peux pas t'abandonner!!

- Il le faut!! Je ne peux ni marcher ni courir, si tu restes avec moi, tu mourras.

- Comment peux-tu en être si sûre?

- Joséphine est allée appeler Edgar, il ne tardera pas à venir!!

- Mais je...

- S'il te plaît!! Va-t-en!! Fais-le pour moi!!

Des larmes coulèrent sur ses joues. Elle ouvrit la portière et disparut. 

Je restais seule, assise sur la banquette arrière, ne sachant que faire.

À cet instant précis, je ne m'attachais plus à cette vie. Tout n'avait plus aucun sens. Pourquoi m'acharnerais-je à vivre? Pourquoi devrais-je me battre? 

Cette vie m'avait appris que rien n'avait plus de valeur. S'attacher à des personnes tout en sachant qu'un jour, elles ne seront plus là. S'attacher à la vie tout en admettant qu'elle nous sera reprise. C'était cela que j'appelais la cruelle ironie.

Alors que je pensais à des choses futiles, quelqu'un ouvrit la portière et vint s'installa à côté de moi. Ce n'était autre qu'Edgar. Il me fusilla d'un regard froid avant de me dire:

- Tu vois, c'est toi qui as voulu jouer avec moi. Maintenant, tu paies le prix de tes erreurs. Ta mère n'était pas comme toi tu sais.

- Tu ne connais rien d'elle.

- Oh que si!! Alors, ça fait quoi d'être handicapé?

- Je ne vois pas pourquoi je devrais te répondre.

- Si c'était moi, je ne t'aurais pas fait ça. Mais c'est ce crétin de Vollard qui ne réfléchit pas.

- Si c'était toi, tu m'aurais tué.

- Ah non!! Je veux encore m'amuser, mais maintenant que tu ne m'amuses plus, je pense que je te ficherais la paix.

En entendant cette dernière phrase, je sentis quelque chose  m'envahir, quelque chose que je ne connaissais plus, quelque chose que j'avais oublié. Cette chose était le bonheur, la joie de vivre. 

Je croyais que cette chose n'existait plus, mais la voilà qui surgit de nulle part. Je voulais encore vivre, je voulais encore respirer, je voulais encore souffrir.

Ça pourrait vous paraître improbable, mais, au moment même où j'ai entendu cette phrase, je me voyais libre. Même si je devais passer ma vie clouée à un fauteuil, je voulais encore vivre.

Je ne me croyais plus capable de sourire, mais à cet instant précis, c'était ce que j'étais en train de faire. 

Edgar éclata de rire et me dit:

- Alors, tu tiens encore à la vie?

J'essayais de cacher mes émotions en disant:

- Pourquoi tu veux savoir?

- Ça m'intéresse. Tu vois, ta vie ne tient plus qu'à un fil, et ce fil, c'est moi.

- Si tu crois que je vais te supplier pour me laisser la vie sauve, eh bien, tu te trompes.

- Attends... Je crois que tu peux encore me servir... Ah oui, pourquoi n'y ai je pas pensé?..... Que suis je bête.....

Il se mit à marmonner des phrases que je ne pus entendre. Je savais bien qu'il me préparait encore quelque chose. J'étais vraiment stupide de croire qu'un jour je pourrais vivre normalement.

Soudain, il dit:

- Joséphine, viens là!!

La portière s'ouvrit. Joséphine apparut. Je m'écriais:

- Qu'est-ce que tu lui as fait?

- Elle allait mourir, je l'ai sauvé.

- Tu appelles ça sauver? Tu en as fait un serviteur!!

- C'est toi qui l'as abandonné!!

- Arrête de mentir!! 

- Tu ne t'en rappelles pas?

- Je sais bien que tu essayes de me troubler, mais je peux te dire que cette fois, tu ne vas pas réussir. Il est vrai que je ne peux plus marcher, mais je peux encore me battre. J'étais stupide de croire que je pouvais vivre normalement, et je l'étais encore plus quand j'avais espéré la mort. Mais maintenant, je dis assez!! Tu veux t'amuser? On va s'amuser!! Mais à ma manière!! Tu as tué ma mère, tu as tué Maître Fahey, tu as tué Maître Gloderhel, tu as tué Noha, tu as fait de Joséphine un esclave, qu'est-ce que tu veux encore? 

- Je...

- C'est à cause de toi que je suis maudite!! C'est à cause de toi que je suis habitée par un monstre, mais détrompes-toi, j'ai compris, j'ai tout compris!! Tu voulais me rendre faible, mais tu n'as fait que me durcir. Grâce à toi j'ai appris beaucoup de choses, mais maintenant, je ne vois plus ce que tu peux m'apporter.

- Tu parles comme si tu étais capable de faire quelque chose.

- J'en suis capable.

Tout ce que j'avais dit venait du plus profond de mon cœur. Je n'avais jamais imaginé qu'un jour je dirais cela. Je me sentais encore plus libre, encore plus vivante. Seulement, j'ignorais comment j'allais m'en sortir. Mon instinct me disait de parler, et c'était ce que je faisais. 

Edgar éclata de rire et me dit:

- Là je reconnais ta mère!!! Elle était exactement comme toi, faible mais à la fois forte. Avec le feu dans le regard, la passion dans les gestes, elle était une adversaire redoutable. 

Il se tut un moment avant d'ajouter:

- Dis-moi, qu'est-ce que tu veux?

- Je veux être libre.

- Tu veux donc te libérer du monstre qui est en toi, soit, c'est ce que tu auras.

Il sortit de la voiture et me dit:

- Tu n'as pas su faire de ta faiblesse une force. Je t'avais donné l'occasion de changer, de devenir encore plus forte, mais tu n'as pas su en profiter.

- Comment ça?

- Tu es le guide du monstre. Si tu voulais en faire une arme, tu en étais capable. Tu étais la seule qui pouvait le contrôler, mais, tu étais si aveuglée par la haine, par la soif de vengeance que tu n'y as pas fait attention.

Sur ce, il disparut.

Les dernières paroles d'Edgar m'avaient bouleversé à un point inimaginable. Il prétendait que je pouvais contrôler la bête qui habitait en moi. Après tout ce qu'elle m'avait fait subir, c'était difficile à y croire. 

Je ne savais pas si j'étais encore maudite, et je ne voulais pas le savoir. Ça n'avait plus aucune importance à mes yeux. La seule chose qui me préoccupait c'était de sortir de cette voiture.

Joséphine était toujours debout devant la portière en train de me fixer du regard. Elle était sûrement là pour me surveiller.

Soudain, elle s'effondra sur le sol, et se releva et resta à genoux. Son visage devint pâle, ses cheveux ébouriffés, ses yeux  exorbités. Je lui dis:

- Joséphine, qu'est-ce que tu as?

- Je...... suis .... désolée..

J'avais reconnu la voix de la vraie Joséphine, une voix plein d'innocence qui m'avait beaucoup manqué. 

Je m'écriais:

- Réponds-moi!! Qu'est-ce qui t'arrive?

- C'est....... Edgar...

- Edgar? Comment ça?

- Je..... suis..... désolée..

- Essaie de respirer!! Vas-y!!

- Je... suis.... désolée..

- Arrête de parler!! Vas-y, inspire et expire!!

- C'est à.... cause... de moi... que .... tu ne ... peux plus....marcher...

- Arrête de raconter n'importe quoi!! Allonge-toi!! 

- Je.... vais... mourir..

- Joséphine!!

- Ne t'inquiète... pas.. pour moi!! 

- Joséphine!! Tu t'étouffes!! S'il te plaît!!! Essaye de respirer!!

- Les meilleurs.. moments.. de ma vie... sont ceux... que..j'ai.. passé avec.... toi..

- Joséphine!!

- Tu te rappelles.....quand on s'entraînait..... avec.... Maître ... Fahey..

- Bien sûr que je m'en rappelle!!

- On était... tellement... nulle..

- Tu t'en sortais bien!! Moi, je galérais...

- Je...

- Joséphine!!

Elle s'allongea par terre et ne bougea plus.

- Joséphine!! Joséphine, réponds-moi!! Je t'en supplie!!! Joséphine!!

Rien. Ni un signe, ni un son, ni un bruit.

Le silence total.

Je me poussais tant bien que mal jusqu'à arriver au bord de la banquette. Je m'allongeai mais je ne pouvais l'atteindre. 

Mes jambes étaient comme un boulet qu'on transporte.

Mon cœur se serrait de plus en plus. J'avais encore perdu une personne qui m'était chère, j'avais encore perdu une partie de moi.

Je ne pourrais vous décrire ce que je ressentais à cet instant précis, les larmes m'empêcheraient d'écrire. 

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