Chapitre Dix-Neuf - Celle qui trouvait refuge à Wood Green
Liv buvait pensivement un café dans le lobby de l’hôtel où elle s’était réfugiée en sortant de l’hôpital. Des images brutales envahissaient son esprit : sa maison ravagée, violée. Son réveil agité dans l’ambulance, comme si elle sortait la tête de l’eau juste avant de se noyer. Le visage inquiet de Jane Farrell, son associée de Scarborough, à ses côtés. Celle-ci avait décidé de lui rendre une visite surprise et l’avait trouvée inanimée chez elle. Les médecins l’avaient laissée repartir. Mais c’était juste impossible de revenir à cet endroit. Pas ce soir. Un lieu lui était alors revenu. Un petit hôtel où elle était descendue plusieurs fois, avant de s’installer à Londres. Elle aimait le Green Rooms, une sorte d’auberge pour artistes située à Wood Green. C’était un ancien immeuble de bureaux art-déco, avec sa grande façade de briques rouges et ses fenêtres en bandes verticales, typiques de l’architecture des années trente. L’établissement ne ressemblait pas aux hôtels affectionnés par les touristes : quand on y entrait, on se croyait dans un pub, simple mais cosy. La réception se limitait à un petit bureau accolé au bar et les chambres, accessibles par un escalier discret derrière un mur, ne payaient pas de mine. Liv s’y sentait bien. Ce n'était pas le genre d’endroit qu’une avocate de renom, avec ses moyens, aurait choisi d’emblée. C’était justement cette simplicité qui l’aidait à s’y sentir chez elle. Intérieur cosy, éléments industriels, sol en béton lissé et murs de briques bruts, côtoyaient des planchers de bois, des plantes à profusion et des canapés confortables en cuir élimé. C’était un endroit chaleureux, qui sentait bon le bois et le café fraîchement moulu. Les employés de l’hôtel étaient agréables sans être intrusifs. La réceptionniste l’avait reconnue et l’avait accueillie chaleureusement, mais sans poser de question.
Cette ambiance la réconfortait. Elle avait littéralement fui sa maison de Hampstead. Sa chère maison qu’elle aimait tant, dans laquelle elle avait vécu des jours heureux avec Granny Margaret, jusqu’à ce que celle-ci s’endorme paisiblement, rassasiée d’une vie longue et heureuse. Cette chère demeure, qui avait été foulée, souillée, saccagée par une menace inconnue. La police lui avait dit que le vol ne semblait pas avoir été le mobile. Les objets de valeur, ses économies, tout était encore là. Alors pourquoi ? Et qui ? Qui l’avait prise ainsi pour cible ?
L’arrivée de Jane la sortit de ses pensées. Liv regarda cette femme qui comptait beaucoup pour elle. C’était grâce à Jane si elle était devenue l’avocate émérite qu’elle était aujourd’hui. Elle avait défendu Jake lorsqu’il avait été accusé de meurtre, vingts ans plus tôt. Puis elle avait pris Liv sous son aile, fraîchement diplômée en droit, à l’Université de York. Liv sourit en se rappelant qu’à l’époque, on surnommait Jane Farrell “La Faucheuse”, grâce à son efficacité qui ne laissait pas de chance à ses adversaires et son apparence de femme fatale, belle, puissante, et toujours vêtue de noir. Aujourd’hui, malgré ses soixante ans, Jane n’avait rien perdu de sa prestance. Ses cheveux autrefois blonds brillaient aujourd’hui d’un blanc lumineux. Ils étaient toujours rassemblés en un chignon serré, dégageant son cou fin et gracieux. De petites rides au coin de la bouche et des yeux montraient que le temps avait passé. Mais la prestance et la grâce étaient toujours là. Jane Farrell restait la puissante, attirante et redoutée Faucheuse.
— Ça me fait plaisir de te voir sourire, déclara Jane en s'asseyant sur le canapé de cuir usé en face de Liv.
— Je repensais au passé. Aux exploits de la Faucheuse.
— Oh, mon Dieu, ce surnom ! Tout ça parce que ces messieurs avaient du mal à accepter qu’une consoeur, que dis-je, une femme, soit plus efficace qu’eux. Ils ont préféré me prêter des pouvoirs surnaturels. Les pauvres.
Elles rièrent ensemble. Puis Jane prit un air plus grave.
— Plus sérieusement… Comment te sens-tu ?
— Je… Ça va, hésita Liv. Je suis encore un peu secouée, mais ça va. Je… je n’arrive pas à comprendre ce qui a pu se passer. Je veux dire… Pourquoi ? Il paraît qu’ils n’ont rien volé.
— Peut-être un vulgaire acte de vandalisme. Notre profession peut attirer la jalousie ou même l’antipathie. À moins qu’ils n’aient cherché quelque chose de précis, répondit Jane pensivement. Peut-être le dossier d’un de tes clients ?
— Je ne vois pas… Enfin, je n’ai pas d'affaire liée au grand banditisme ou quelque chose qui justifierait qu’on vienne fouiller chez moi…
Elles restèrent silencieuses, essayant de comprendre, de chercher ce qui pouvait expliquer le chaos qui avait surgit sans prévenir.
Jane leva la tête. Quelqu’un venait de franchir la porte du Green Rooms. Liv se retourna. Jake était là. Et à voir la tête qu’il faisait, quelque chose lui était arrivé. Quelque chose d’inquiétant.
Annotations
Versions