Cherry s’ennuyait ferme. Aucun client n’avait franchi la porte de l’agence de détective aujourd’hui. Vince était parti avec Manolo sur une mission, continuant à le former au métier. Au départ, elle s’était méfiée du géant tatoué. Quelle idée bizarre de se défigurer avec ce masque horrible. Elle pensait qu’il avait eu un bol monstre (sans mauvais jeu de mot) pour décrocher ce job. Puis elle avait appris à le connaître et avait découvert qu’un être gentil et généreux se cachait sous les tatouages cauchemardesques. Finalement, elle avait décidé qu’elle l’aimait bien.

Par pure conscience professionnelle, Cherry avait essayé de s’occuper de manière constructive. Elle avait classé les derniers dossiers, vérifié qu’aucune demande n’était passée à la trappe, avait mis à jour le fichier des clients et les agendas… Elle avait même rangé son bureau, qui ressemblait désormais au domaine d’une maniaque de l’ordre.

Ne trouvant plus rien à faire, sa bonne volonté s’étiola et elle se retrouva à vérifier ses réseaux sociaux. Elle se permit même une petite virée sur Instagram. Après avoir scrollé un moment, elle tomba sur une vidéo courte d’un compte qu’elle aimait depuis un moment, « Johnny & Peggy ». On pouvait y suivre les aventures de Johnny, un homme âgé et de sa chienne (Peggy, donc), un carlin qui, en guise d’aboiements, poussait des cris grotesques. Johnny emmenait Peggy dans différents endroits, elle criait, et les gens autour d’eux réagissaient, certains amusés, d’autres perplexes.

La vidéo d'aujourd'hui était différente. On y voyait Johnny, à l’arrière d’une voiture, entouré de bagages. Peggy, à ses côtés, ne criait pas. Elle avait l’air perdu, ses gros yeux roulant de droite à gauche. Johnny expliquait qu’il allait devoir suspendre son compte un moment, car il vivait une situation assez compliquée dans sa vie personnelle. Il remerciait tous ses followers et leur souhaitait de les revoir très vite. Cherry fut très déçue par cette nouvelle. Mais rapidement, un détail en arrière plan attira son attention. Une femme, derrière la vitre arrière de la voiture, se disputait assez violemment avec un homme. Un sacré bel homme, en passant. De faux-airs d’Henry Cavill. Elle avait déjà vu cette femme. N’était-ce pas… ? Mais oui ! Elle avait accompagné Jake, l’autre jour, au bureau. Il l’avait présentée comme étant sa femme… C’était quoi, encore son nom… Ally ? Ari ! C’était ça ! Cherry regarda la localisation sous la vidéo : New York.

Que faisait la femme de Jake, à se disputer avec le sosie de Henry Cavill à New York ?

Quand Vince et Manolo franchirent la porte, Cherry leur montra la vidéo. Le silence s’installa, seulement interrompu par la voix monocorde de Johnny en fond sonore. Même Manolo, d’habitude impassible, jeta un œil intrigué.

— Attends, tempéra Vince. Il doit y avoir une bonne raison pour qu’Ari se retrouve à New-York. Jake doit être au courant.

— On ne devrait pas l’appeler ? insista Cherry. Elle a l’air sacrément remontée contre l’autre type… Et si elle avait des problèmes ?

Vince regarda encore la vidéo défiler, l’air pensif.

— Je m’occupe de ça… Cherry, tu peux montrer à Manolo comment on encode un rapport de mission ?

Vince n’attendit pas la réponse de l’assistante et disparut dans la cuisine. Il ferma la porte. Il hésita. Fallait-il qu’il appelle Ari. Ne risquait-il pas de mettre les pieds dans quelque chose qui ne le concernait pas ? En même temps, Cherry avait marqué un point en argumentant qu’elle avait peut-être des problèmes. Bon sang Ari, qu’est ce que tu fous à l’autre côté du pays, hors de ta juridiction ?

Tant pis. Il décida de composer le numéro de son amie. Advienne que pourra. Il laissa sonner un moment et tomba sur sa messagerie. Il décida de raccrocher sans laisser de message. Ari le rappellerait. Il fit un rapide calcul. Il devait être un peu plus de 11h00 du soir à Londres. Tant pis, il tenta d’appeler Jake. Après deux sonneries, il entendit sa voix.

— Hey Jake ! Comment ça va, mec ? Je ne te réveille pas ?

— Vince !? Heu, non… Tout va bien ?

— Oui, oui…

Il y eut un silence gêné. Vince ne savait pas comment aborder le sujet. Plus les secondes passaient, plus il était nerveux.

— Vince, reprit Jake. Qu’est-ce qui se passe ?

— Bah, c’est sans doute rien… Tu sais, avec mon expérience, je deviens vite parano… Tout va bien avec Ari ?

— Ari ? Heu… Ouais… Bon sang Vince, crache le morceau, tu me rends nerveux, là !

Alors Vince expliqua ce qui le tracassait. Ari, en train de se disputer avec un inconnu à New York. Il envoya le lien à son ami.

— Tu crois que c’est le mec que tu as entendu au téléphone avec Ari ?

— Je… Je ne sais pas. Je vais tirer ça au clair. Merci Vince.

Deuxième long silence. Bon sang, Vince détestait ça.

— Hey, reprit-il. T’inquiète pas. Elle a certainement une très bonne raison de se trouver à New-York.

Jake ne répondit rien. Il ne savait pas quoi penser.