Chapitre Vingt-Sept - Ceux qui déterraient l’Oncle Jasper

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«Ne faites confiance à personne. Protégez la montre.»

Ces mots tournaient en boucle dans ma tête. En route vers la maison de Liv, j’essayais d’y voir plus clair. Que voulait dire ce message mystérieux ? De quelle montre était-il question ? Qui était cet homme qui semblait vouloir nous aider ? Et puis il y avait Ari. J’avais essayé de la joindre la veille au soir, mais elle n’avait pas répondu. Et elle ne m’avait pas rappelé depuis. J’avais la boule au ventre. Et elle ne semblait pas vouloir dégager.

Pour l’heure, je ne pouvais rien faire, à part espérer que ma femme me rappelle et tenter de la joindre de temps en temps. Je devais me concentrer sur Liv, qui avait besoin de moi. Elle m’avait laissé le volant de sa voiture à regret. Je savais qu’elle était stressée de revenir chez elle. Sa maison avait été foulée par des inconnus et, même si elle ne voulait pas le montrer, je la sentais encore fragile. En jetant de brefs coups d'œil, je pouvais voir son profil délicat tourné vers sa vitre.

— Tout va bien ? me suis-je assuré.

— Oui. Je suis un peu nerveuse de retourner là-bas. Mais ça va aller. C’est chez moi, après tout. Et puis… Je veux tirer tout ça au clair. Cette histoire est vraiment bizarre…

Nous avons gardé le silence jusqu’à ce que nous arrivions devant chez elle. À cette heure, la plupart de ses voisins étaient partis au travail, et la rue était déserte. Je me suis engagé dans l’allée de son garage, mais Liv m’a demandé de m’arrêter là. Elle ne voulait pas reproduire les mêmes gestes que ce soir-là.

Nous avons gravi les marches de son perron. Elle m’a regardé sans rien dire. J’ai compris qu’elle voulait que j’ouvre la porte et que j’entre le premier. Je me suis exécuté et arrivé dans le hall d'entrée, j’ai instinctivement posé les yeux sur le sol. Mais cette fois-là, il n’y avait aucune enveloppe mystérieuse. J’aurais presque espéré qu’il y en ait une autre. Un indice en plus n’aurait pas été du luxe.

Nous avons avancé silencieusement jusqu’à entrer dans la cuisine. La police avait fini son travail et nous avait dit que nous pouvions remettre les choses en état. J’ai ramassé une chaise, redressé le vaisselier et saisi un balai pour rassembler les débris de bocaux mélangés à un mélange de farines, céréales et cacao en poudre. Liv a respiré un bon coup et s’est attaquée au salon. Deux heures plus tard, nous avions réussi à redonner à cette maison une impression de confort, sans pour autant nous occuper des détails. Pas encore chaleureux, mais vivable. Il restait encore beaucoup à faire, mais nous voulions nous reposer un peu et enfin nous attaquer à l’énigme qui nous collait à la peau.

Très tôt, Liv avait suggéré que la montre que l’inconnu nous demandait de protéger était cette vieille montre que papa avait héritée de son grand-père. Elle était dans le coffre qu’elle gardait dans son bureau à l’étage et faisait partie des objets de valeur qui n'avaient pas semblé intéresser l’intrus. C’était une montre à gousset assez banale avec sa petite chaînette, brisée. La montre en main, ma sœur a souris. Je savais à quoi elle pensait.

— Papa était furax quand il a vu que j’avais cassé la chaînette de sa montre, ai-je dit pensivement.

— Il nous avait interdit d’y toucher, répondit Liv, et toi tu t’es faufilé dans son bureau pour jouer avec. Tu avais quoi… huit, neuf ans ?

— Quelque chose comme ça. Je croyais que cette montre était magique.

— Ca, oui, elle était magique. Elle t’a attiré plus d’ennuis que si tu avais mis le feu à la maison.

Nous avons ri. Cette brise de souvenirs nous faisait du bien.

— J’ai jamais compris pourquoi il tenait tellement à cette montre.

— Je ne sais pas, a-t-elle répondu. Elle venait de son grand-père, mais il nous a toujours dit qu’il ne l’avait jamais connu.

J’ai ouvert le couvercle de la montre et poussé une exclamation de surprise. Papa avait mis, enchâssé dans le couvercle, une photo de nous quatre. Maman, Papa, Liv et moi.

— Je reconnais cette photo, s'exclama Liv. C’était un de ces jours où il avait fait particulièrement chaud, sur la plage à Cayton. Je crois que Granny Margaret avait des photos de cette journée dans son album.

En silence, elle s’est dirigée vers la bibliothèque et en a sorti un gros album usé. La couverture était de faux cuir et le mot “Memories” brillait en lettres dorées. Liv a ouvert l’album et a tourné les pages cartonnées, garnies de nos souvenirs d’enfance.

— Là, regarde, a-t-elle dit en pointant du doigt une photo.

C’était bien la même image. Papa, stoïque, grand, moustachu, avec ses grosses lunettes sévères. Maman, avec son sourire solaire, ses longs cheveux bruns bouclés et sa grâce ibérique. Liv, fillette au sourire timide, maillot rose à volants. Et moi, petit garçon grimaçant auquel il manquait deux dents. Il y avait d’autres photos de cette journée à cette page, que Granny avait gardé de côté, sans les exposer. En les regardant, nous en avons trouvé que nous n’avions jamais vu. L’une d’elle, prise quelques secondes après celle que nous connaissions, montrait notre père regarder quelque chose au loin, l’air agacé. Sur une autre, il y avait juste Maman, Liv et moi. A l'arrière-plan, Papa. Il avait l’air de s’énerver. Il pointait son doigt sur une silhouette floue. Sur une dernière photo, un bras s’échappait de la silhouette. Un bras avec un tatouage de rose que Liv reconnut instantanément.

— Oncle Jasper !?

Je l’ai regardée en fronçant les sourcils. Je ne me souvenais pas avoir entendu parler d’un “Oncle Jasper”...

— Mais si ! Rappelle-toi ! C’était le meilleur ami de papa à l’époque ! On l’appelait Oncle Jasper ! Je me souviens de son tatouage en forme de rose.

— Heu… Peut-être, ouais, ai-je réfléchi… Mais c’est vague…

— On ne l’a plus vu du jour au lendemain… Je crois qu’ils s’étaient disputés.

— C’est ce qu’on dirait bien sur cette photo…

Liv parut réfléchir.

— Je me demande ce qu’il est devenu… Et si ça se trouve, il pourrait nous aider à y voir plus clair ?

— Ben ouais, mais aucun moyen de le savoir. Qui sait ce qu’il est devenu ?

— Je me souviens, dit pensivement Liv… On lui avait rendu visite, à l’époque… Il vivait dans une grosse maison à York. Avec un peu de chance…

— Tu connais l’adresse exacte ?

— Non, mais je me souviens du quartier, et je suis sûre de pouvoir reconnaître sa maison.

J’ai hésité. Pouvions-nous réellement débarquer à York en espérant retrouver un homme du passé, juste comme ça ? Et, en même temps, ça ne nous coûtait rien d’essayer. Je me suis levé et j’ai regardé ma sœur.

— Viens, lui ai-je dit. On va à York.

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