Chapitre Vingt-Huit - Celle qui reprenait du poil de la bête

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Ari avait les yeux fixés sur le cadavre d’Alistair McCrowdt. Dans toute sa carrière, jamais elle ne s’était sentie aussi incompétente, inutile même. Le tueur les devançait à chaque fois. Qu’importaient les moyens de protection mis en œuvre, les victimes tombaient inexorablement et le tueur demeurait insaisissable. Percy se faisait passer un savon par le chef de la police locale et le Directeur Waltman. Celui-ci était hors de lui. Deux de ses agents, qu’il avait détachés spécialement pour cette enquête, s’étaient fait massacrer comme des amateurs. L’image du FBI en avait pris un sacré coup, et ça, Waltman ne le supportait pas. Il rejetait donc la responsabilité de cette débâcle sur l’agent Pendleton et, par extension, sur le MI6. Les retombées diplomatiques allaient être terribles.

— Expliquez-moi une chose, agent Pendleton, lança Waltman d’une voix glaciale. Comment se fait-il qu’un homme sous protection fédérale ait été assassiné, ici, à New York, sous nos yeux ? J’ai accepté de collaborer, j’ai détaché deux agents pour cette mission. Et maintenant, ils sont morts. Je vais devoir annoncer à deux femmes qu’elles sont veuves, et que leurs maris sont tombés lors d’une mission pour votre pays. Sans compter le fait que je doive rendre des comptes à Washington dans deux heures !

Andy Bracks, du NYPD, croisa les bras, le visage fermé.

— Et moi, j’aimerais savoir pourquoi on découvre aujourd’hui qu’une opération classée se déroule sur mon territoire. Vous pensiez quoi ? Qu’on allait juste gérer les cadavres pendant que vous jouiez aux espions ? Je vous signale qu’entre les guerres de gang et les meurtres politiques, on a déjà assez affaire en ce moment. Sans compter la manifestation contre les dernières déclarations du Président…

— Peut-être que si nous avions été tenus au courant plus tôt, coupa Waltman, on ne serait pas en train d’essuyer un bain de sang. Les “partenaires” britanniques ont visiblement une définition très personnelle du mot coopération.

Percy garda le silence, le regard rivé sur le sol. Il savait qu’il ne pouvait rien dire sans aggraver son cas.

— Écoutez, commença-t-il, je suis bien conscient de la situation catastrophique dans laquelle nous nous trouvons. Laissez-moi appeler mon supérieur, c’est tout ce que je peux faire pour le moment.

Percy et Waltman disparurent dans la pièce adjacente et fermèrent la porte. Ari pensa que la fierté de Percival venait de prendre un sacré coup et qu’il préférait qu’elle n’assiste pas à son lynchage. Elle remarqua soudain que Bracks s’était attardé sur la scène de crime, et qu’il la regardait.

— Vous avez été catapultée dans cette affaire contre votre gré, hein ? déclara-t-il d'une voix douce.

Ari le regarda. Ses cheveux grisonnants, son regard fatigué et ses épaules voûtées témoignaient du poids qu’il portait depuis tant d’années. Ce n’était pas juste un bureaucrate. C’était un homme de terrain, avec de l’expérience. Et à la façon dont il la regardait, Ari comprit qu’il la comprenait et lui voulait du bien.

— Je… Oui, en effet. Au début, c’était juste une enquête pour meurtre à Los Angeles. Mon enquête. Ça fait des années que je suis inspecteur à la Criminelle. J’étais en terrain connu. Mais là, quelques heures plus tard, je me retrouve ici, à des milliers de kilomètres de chez moi, à me débattre dans une affaire qui pourrait déboucher sur une guerre totale. Je me sens complètement nulle.

Il se rapprocha doucement, sans pour autant paraître menaçant.

— Vous me rappelez mon ancienne co-équipière. Elle était très douée. Vous avez la même lueur dans les yeux. Je suis sûr que vous allez assurer. Essayez juste… de mettre toute cette histoire d’espionnage de côté. Revenez à ce dont pourquoi vous êtes douée. Fiez-vous aux faits. Que voyez-vous ? De quoi êtes-vous sûre ? Vous verrez, les points se relieront à un moment ou un autre, et vous y verrez plus clair.

Ari regarda le chef Bracks.

— Merci, chef. Et qu’est devenue votre coéquipière ?

— Elle est à la tête d’une section chargée de venir en aide aux victimes. Elle vient de contribuer au démantèlement d’un gang particulièrement violent.

Il regarda la porte d’un air las.

— Bon… Je vous laisse. Je vais m’occuper de ce cher Pendleton.

Ari lui sourit et le laissa partir. Encouragée par cette discussion avec Bracks, elle se ressaisit et examina le lieu du crime avec un regard nouveau. Ou plutôt : son regard d’enquêtrice, qui s’était voilé, troublé par toutes ces histoires d’espionnage. Elle regarda autour d’elle. Elle se trouvait dans une chambre de motel bon marché. Les meubles — une chaise et une table d’appoint — avaient été renversés, signe qu’il y avait eu une bagarre. La victime — Alistair McCrowdt — était couchée sur le flanc. Il gisait dans une flaque de sang. Une blessure s’ouvrait profondément sur le côté gauche du cou de McCrowdt, comme s’il avait reçu un coup de couteau. L’artère carotide avait sans doute été rompue, ce qui expliquerait la quantité de sang dans cette pièce. Par contre, cette fois-ci, ni incendie, ni odeur d’essence. Soit le tueur avait-il trouvé ce qu’il cherchait — le microfilm ? — soit il perdait patience. Il commençait à perdre pied, ce qui n’était jamais bon. Ari perçu aussi de petites traces de pattes de chien ensanglantées parcourir la pièce. Elle se rappela de Peggy, le carlin, co-star des réseaux sociaux. Sans doute la petite chienne avait-elle trottiné dans tout ce sang en essayant de réveiller son maître après le départ du tueur. Ari espérait qu’elle n’avait pas été blessée et se demandait ce qu’était devenue la pauvre bête, lorsque quelque chose attira son attention. Un bout de papier, ou de carton chiffonné gisait sous une tenture de la porte-fenêtre. Elle s’accroupit et saisit ce qui semblait être une vieille photo. C’était un cliché en noir et blanc d’un groupe d’une vingtaine d’homme, rassemblés et souriants, dans une sorte de village. Des enfants de type améridien semblaient jouer et s’amuser autour d’eux. L’un des hommes enlaçait une jeune fille indienne qui semblait être enceinte. Ari se sentit mal à l’aise en regardant cette photo, car presque tous les visages étaient barrés de rouge, comme un décompte morbide. Seuls trois hommes restaient encore, le visage bien visible. Ari saisit son téléphone d'une main tremblante. Son cœur semblait vouloir sortir de sa poitrine. Elle composa un numéro et attendit, haletante, que son correspondant décroche. Elle entendit une sonnerie, puis deux, puis trois, avant qu’on décroche enfin.

— Vince… Écoute-moi attentivement et fais ce que je te dis. Jake et Liv sont peut-être en danger !

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