Chapitre Trente-Quatre - Celui qui se cachait dans les bois

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George Barrie remit une bûche dans son vieux poêle en fonte. En cette période de l’année, ce n’était pas vraiment pour chasser le froid, mais plutôt pour couper l’humidité et limiter l’invasion des moustiques. Il avait plu toute la nuit sur le toit de tôle de sa bonne vieille cabane. Le soleil, dont la lueur trop timide peinait à traverser les branches de la forêt, n’arrivait pas encore à réchauffer l'atmosphère. Le vieux George, comme l’appelaient ses voisins, sentait cette humidité s'immiscer dans ses os. Aux alentours, les piverts faisaient résonner le son de leur bec martelant le tronc d’un arbre, tandis que le brame d’un orignal retentissait au loin, dans un déluge de chants d’oiseaux.

À une époque, il n’y avait pas si longtemps, George était un gars en pleine forme, capable de courir des kilomètres sans ressentir de fatigue. Il avait été increvable, rapide et à même de maîtriser un homme en quelques secondes. D’ailleurs, lorsqu’il fallait s’infiltrer dans un endroit dangereux et nettoyer le terrain avant l’arrivée du groupe, c’est lui qu’on appelait. Lorsqu’il était dans la place, les gardes et autres hommes de main étaient neutralisés dans le plus grand silence. Une fois les accès libérés, le reste des hommes arrivait et finissait le travail.

Il s’assit pour boire son café, les yeux fixés sur une vieille photo, entre son râtelier à fusils et une tapisserie Dena’Ina. Une photo du bon vieux temps. À cette époque-là, il s’appelait James Miller. À ses côtés, il y avait John, Charlie, Alistair… Ce fumier de Jasper… William, aussi, ce cher William. Et dans ses bras, la douce Tikaani. La seule femme qui avait réussi à l’aimer malgré ce qu’il était. Un mercenaire.

Cette photo, c’était aussi la dernière avant cette nuit de cauchemar. Cette nuit où la plupart des Tarantulas sont devenus fous et ont commis l’irréparable. Tous ces gens, ces enfants… morts. George n’avait pas participé. William l’avait aidé à cacher Tikaani et sa famille. Après ça, plus rien n’avait été pareil. Le groupe était sans cesse déchiré dans des conflits. Plus personne ne se faisait confiance. Il y avait un traître au sein des Tarantulas. William savait qui c’était. William avait toujours su. Et maintenant, il reposait au fond de la Manche.

George savait que ce n’était pas un hasard. Et il savait que la taupe le retrouverait, un jour où l’autre. Qu’il vienne. Les environs de sa cabane étaient truffés de pièges à loups et de chausse-trappes. Qu’il vienne.

Il versa une bonne lampée de bourbon dans son café et vida sa tasse. Ses yeux embués glissèrent sur une autre photographie. Un petit garçon, au teint d’argile et aux cheveux noirs corbeau, lui souriait. Fargo. Son petit Fargo. Dieu seul savait ce qu’il était devenu. Il n’avait pas été là pour lui bien longtemps. Il avait essayé d’être ce qui se rapprochait le plus d’un père, mais il avait lamentablement échoué. Cela faisait plusieurs années, maintenant, que son fils était tombé sur ce foutu journal. Il n’avait pas supporté ce qu’il y avait découvert. Il était parti. Le vieil homme l’avait cherché durant des années, en vain. Aujourd’hui, il se sentait trop vieux, usé, sans force. Il restait encore là dans le seul espoir que Fargo revienne.

Soudain, un cri retentit dans la forêt, là, tout prêt. George saisit son fusil, un Winchester hérité de son père, le chargea et sortit à la hâte. Son cœur battait à tout rompre dans sa vieille carcasse. Il fit le tour de sa maison, cherchant du regard d’où venait le cri. Est-ce qu’on l’avait retrouvé ? George vivait-il ses dernières minutes ? Il tourna la tête vers les fourrés et vit ce qui faisait ce boucan d’enfer. L’orignal, un jeune mâle un peu trop curieux, s’était approché trop près, à la lisière de la forêt, et avait la patte coincée dans un piège. Les dents acérées de la mâchoire de fer déchiraient la patte de l’animal, qui souffrait le martyr. George se lamenta, car il savait ce qu’il allait devoir faire. Dans ces coins reculés de l’Alaska, la bête ne pourrait pas se faire soigner facilement. Si George ne faisait rien, elle allait vivre une véritable torture avant de périr dévorée par un ours, ou, pire, des suites d’une infection. George soupira, arma son fusil, visa la tête et tira. L’écho de l’explosion fit s’envoler un groupe de bernaches dans un fracas d’ailes et de cris.

George resta là, seul. Son heure n’était pas encore venue.

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