Chapitre Trente-Six - Celle qui traçait un profil

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Assise à bord d’un vol Alaska Airlines au départ de JFK pour Anchorage, Ari essayait de faire bonne figure. Elle ne voulait pas que Percival se doute qu’elle se méfiait encore de lui, surtout depuis qu’elle avait découvert que des détails cruciaux avaient été sciemment retirés du dossier — sans doute par le MI6. Cette histoire de plumes de corbeau cachées dans les cadavres donnait une toute autre dimension à l’affaire. Il ne s’agissait pas simplement d’anciens agents secrets qui se faisaient refroidir. Ce détail en révélait beaucoup sur le tueur. Déjà, il y avait de fortes probabilités qu’ils aient affaire à un homme : les femmes recourent rarement à ce genre de mise en scène macabre et très intime. De ses cours de criminologie, elle se souvenait que les plumes de corbeau pouvaient avoir une dimension spirituelle, notamment dans les traditions amérindiennes ou celtiques. Si c’était bien le cas ici, le message était clair : « Je te domine, tu es à moi… ». Enfin, le tueur était organisé. Une telle mise en scène supposait une préparation méticuleuse. En y associant ce qu’ils savaient déjà — le tueur était en pleine forme et assez fort pour venir à bout de deux agents à lui tout seul, et il avait, ou travaillait pour quelqu’un qui avait une dent contre les Tarantulas, sans doute à cause du massacre de Talkeetna — Ari déduisit qu’ils avaient affaire à un homme, jeune ou dans la force de l’âge, peut-être lié d’une façon ou d’une autre à la culture amérindienne. La mise en scène pouvait traduire un désir de vengeance, peut-être en rapport avec un traumatisme ancien. L’idée que ses ennemis portent sur eux un symbole de son identité culturelle pouvait lui donner l’impression de reprendre le pouvoir, de réaffirmer qui il est. Elle se dit qu’elle enverrait ce profil dès que possible à « Tante Greta ». Elle voulait être sûre que Jake et les autres aient un maximum d’infos pour se protéger. Quitte à trahir sa promesse faite à Percy.

— Tout va bien ? demanda Percival, la sortant de ses pensées. Vous semblez être à des milliards de kilomètres.

Ari regarda l’agent anglais assis à ses côtés. Elle pouvait sentir son parfum, mélange de bois de cèdre et de cuir. La lumière du soleil se reflétait dans ses pupilles couleur ambre foncée, comme si une flamme couvait en lui. Sa chemise ajustée laissait deviner un corps musclé et puissant. Il avait l’air distingué mais dangereux. Ari se surprit à être troublée par son apparence et elle se redressa sur son siège, gênée. Elle s’en voulut d’avoir ressenti cette pointe d’attirance pour cet homme. Jake, son mari qu’elle aimait tant, ne méritait pas ça. De surcroît, derrière son physique avantageux et ses manières de gentleman, Percival Pendelton était un menteur et un manipulateur, elle le savait maintenant. Mais elle aussi savait jouer à ce petit jeu.

— Ça va, merci, répondit-elle. Je suis juste un peu fatiguée. Cette affaire ne me laisse pas dormir. Au fait, qui est l’homme que nous devons retrouver ?

— Il se fait appeler George Barrie. Son véritable nom est James Miller. Il faisait partie de ceux qu’on envoyait en premier lors des missions, pour nettoyer la zone discrètement avant le déploiement du reste de l’équipe. Un véritable ninja. Il s’est entiché d’une jeune Dena’Ina, à Talkeetna. Après l’incident survenu dans ce village, il a disparu un moment, avant de réapparaître. Mais il n’était plus le même. Il semblait moins engagé. Depuis cette affaire, il est vite devenu le mouton noir de l’équipe. Il a bénéficié du programme de protection uniquement grâce à ses états de service passés. On devrait le retrouver dans les environs de Talkeetna. Nous avons recueilli des témoignages parlant d’un vieil homme vivant reclus dans les bois. Sa description correspond à celle de Miller.

— Si nous savons où il vit, qui nous dit que le tueur ne l’a pas déjà retrouvé ?

— Espérons qu’il n’ait pas les moyens dont nous disposons. C’est pour cela que dès que nous aurons atterri à Anchorage, nous devrons nous mettre à sa recherche.

Après environ six heures de vol, ils atterrirent à Seattle pour prendre leur correspondance. Leur avion décollant presque deux heures après, ils s’installèrent pour prendre un café. Ils échangèrent des banalités quand Ari remarqua que Percival l’observait d’une façon étrange.

— Vous avez quelque chose à me demander, agent Pendleton ? demanda-t-elle.

— C’est juste que… Je suis curieux. Pourquoi une femme de votre trempe s’est-elle encombrée d’un mari ? Je veux dire… Vous et moi sommes de la même race. Nous nous donnons corps et âme dans nos missions. Cela laisse peu de place à une famille. Alors… Pourquoi ? Pourquoi vous enchaîner, vous empêcher d’être libre ?

Ari le regarda et eut un sourire en coin. Elle comprenait parfaitement ce qu’il voulait dire.

— Avant de rencontrer Jake, je pensais comme vous. Ma vie entière était dédiée à mon boulot. Je vivais pour mes enquêtes. J’adorais ma liberté. Mais je dois avouer que parfois, quand je m’arrêtais de courir dans tous les sens, je me sentais vide. Et très seule. Vous savez que parfois, ce boulot peut-être très compliqué à gérer, émotionnellement. Et affronter tout cela seule, ça devenait pesant. Je n’avais personne à qui me raccrocher. Et je ne voulais pas imposer ce genre de vie à quelqu’un.

— Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis ?

— J’ai rencontré Jake lors de l’enquête sur l’enlèvement de sa sœur. Il faisait sa petite enquête de son côté. Il a même risqué sa vie face à un gang dangereux pour la retrouver. J’avais beau lui dire de rester en arrière, que c’était dangereux et que nous nous occupions de l’enquête, il persistait à tout faire pour la retrouver.

Elle sourit en se remémorant ces événements.

— Il était si têtu. Ça me tapait sur les nerfs. Et en même temps, je ne pouvais pas m’empêcher de le trouver courageux. Il ne lâchait rien, même face à des hommes armés jusqu’aux dents. Il m’a même sauvé la vie ! Bref… Après tout cela, nous avons passé du temps ensemble. Et j’ai découvert un homme très profond, droit et fidèle. Il peut avoir un foutu caractère, mais il est mon roc. Il est toujours là pour moi.

Pendleton eut un sourire en coin.

— Ben dites donc ! Un vrai héros de roman noir, votre Jake.

— Oh, ne lui dites jamais ça, s’exclama Ari. Il détesterait. Mais, entre nous, oui. C’est mon héros. Alors je vous réponds : croyez-moi. Lorsque vous trouvez la bonne personne, le mariage en vaut la peine. Ça n'a rien d’une prison.

Percy la regarda, pensif. Puis il sortit de ses pensées et regarda sa montre.

— Houlà, il est temps d’y aller. Notre avion va décoller.

Ils se dirigèrent vers la porte d’embarquement. Devant eux, un homme aux longs cheveux noirs comme la nuit serrait dans sa poche quelques plumes de corbeau. Lui aussi allait à Talkeetna. Mais pour des raisons bien plus sombres.

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