Assis dans une vieille Honda Civic de 1983, achetée la veille à une veuve indienne dont le mari prenait grand soin de sa voiture, l'homme observait la scène, profitant de l'obscurité de la nuit tombée. Jake et Liv Turner discutaient avec un vieil homme — identifié comme étant Vince Morgan — et une espèce de géant tatoué des pieds à la tête. Même son visage arborait un tatouage, comme un masque de mort, donnant à l’individu l’aspect d’un monstre. L’homme avait entendu parler de Manolo Cervantes, mais en le voyant en personne, il se demanda ce que les Turner pouvaient bien trafiquer avec ce genre d’individu. En voyant la scène, on aurait pu s’attendre à ce qu’ils se fassent agresser par les deux lascars, mais l’homme fut abasourdi de voir Liv se jeter dans les bras du colosse.

Il vérifia son arme, juste au cas où. Cela faisait un moment qu’il était sur la piste des Turner. Il connaissait leur histoire, les difficultés rencontrées après la mort de leurs parents. Puis il les avait vu reprendre pied, prendre leur envol. Liv en avocate redoutable, Jake en ingénieur informaticien. Il avait vu le départ de Jake à Los Angeles. Cela lui compliqua la tâche, car il ne pouvait plus les surveiller tous les deux. Il trouva alors un allié chez un ex-flic, qu’il avait rencontré des années plus tôt, et à qui il avait sauvé la vie. Celui-ci lui faisait des comptes-rendus réguliers sur Jake, pendant que l’homme pistait Liv à Londres. Il savait qu’elle s’était fait cambrioler et que Jake volerait à son secours. Il avait retrouvé sa trace à l’aéroport et l’avait suivi jusqu’à l’hôtel de Wood Green, puis la maison de Liv, en visite chez ce cher Jasper, puis de retour ici, à Hampstead. L’homme ne les avait pas lâché d’une semelle. Il estima que le moment de passer à l’action n’était pas encore arrivé. Cela faisait des années qu’il attendait de pouvoir se venger. Et même si les années lui avaient appris la patience, maintenant que le moment s’approchait, il se sentait fébrile.

Ce qui l’inquiétait vraiment, c’était cette visite chez Jasper. Que leur avait-il raconté ? Avait-il révélé les secrets du passé ? Avait-il parlé du microfilm ? Il fallait qu’il sache. Mais il ne pouvait pas risquer de compromettre sa couverture, pas maintenant. Son contact de L.A. pourrait peut-être lui en apprendre plus. Il lui fallait être prudent. Très prudent.

Car on ne réveille pas les morts sans conséquences.